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Patrimoine naturel et culturel : Gare aux prospections clandestines illégales !


Rédigé par Oussama ABAOUSS le Mercredi 29 Septembre 2021

Un collectif d’organismes marocains a récemment braqué les lumières sur les dégâts occasionnés par les recherches de terrain de scientifiques étrangers qui ne respectent pas les lois en vigueur. Eclairage.



Diffusé il y a quelques jours, un communiqué signé par neuf organisations marocaines a alerté les autorités et le grand public sur les agissements d’un scientifique étranger qui mène des études de terrain dans le domaine de l’archéologie sans disposer des autorisations et du permis scientifique nécessaires.

Les signataires du communiqué, qui s’activent dans le domaine de la protection du patrimoine culturel et naturel, dénoncent une activité illégale et récurrente de l’individu (A.R). Le chercheur et fouilleur français « a collecté sur une période de plus de 30 ans de prospection dans divers sites du territoire marocain (…) plus de 30.000 pièces dont toute trace a depuis été perdue », déplorent les auteurs qui font également référence à des articles et écrits du même individu qui seraient bourrés d’erreurs et dénoteraient d’un parti-pris à l’encontre de l’intégrité territoriale du Royaume.

Prospections clandestines

Le communiqué qui a largement circulé dans les réseaux sociaux ne manque pas d’appeler les ministères de l’Intérieur et de la Culture à intervenir pour mettre fin aux agissements du scientifique hors-la-loi. Les organisations signataires demandent à ce que des renforcements de capacités et des mesures adéquates soient mis en oeuvre afin de lutter contre le phénomène de prospections scientifiques clandestines menées par des ressortissants étrangers.

Contactée par nos soins, une source au ministère de la Culture nous a révélé que les diverses autorités concernées ont été avisées à propos de l’arrivée sur le territoire de la personne concernée « bien avant la parution du communiqué ». « Les lois et procédures qui encadrent la recherche scientifique sur le terrain sont la plupart du temps respectées par les scientifiques étrangers. La majorité d’entre eux attend toujours d’obtenir un permis scientifique avant de prospecter ou de faire des prélèvements et des enquêtes de terrain », souligne Pr Imad Cherkaoui, Enseignant-chercheur à l’École supérieure de Technologie de Kénitra.

Des publications contestables

Si la majeure partie des scientifiques font preuve d’un respect scrupuleux de la loi, une partie non négligeable d’entre eux ne suit pas cette ligne de conduite obligatoire. « Les connaisseurs savent qu’un nombre important de prospections de terrain menées au Maroc par des ressortissants étrangers dans diverses disciplines se fait illégalement. En témoigne tous les articles scientifiques qui apparaissent régulièrement dans le monde, qui ont clairement nécessité des études de terrain dans le Royaume, mais qui ne font aucune référence à un permis scientifique obtenu auprès des autorités nationales », explique Imad Cherkaoui.

Une situation déplorable et préjudiciable au patrimoine national et à la recherche scientifique qui, pourtant, serait inenvisageable dans l’autre sens : « Vous imaginez quelles seraient les conséquences pour un scientifique marocain qui déciderait de faire la même chose dans un pays étranger ? C’est tout simplement impossible au vu de toutes les implications que cela pourrait avoir sur sa carrière et sur sa crédibilité scientifique », s’exclame l’Enseignant-chercheur.

Les solutions possibles

Au vu du patrimoine riche et « alléchant » dont dispose le Royaume et du manque de ressources logistiques et humaines nécessaires pour couvrir les vastes étendues où sont éparpillés les espèces et les artefacts convoités, il semble assez difficile de trouver un moyen d’arrêter ce phénomène de prospections scientifiques clandestines.

« Je pense que la lutte contre ces pratiques devrait passer par une amélioration et un renforcement des dispositifs existants. Les institutions chargées de délivrer les permis scientifiques gagneraient à notifier systématiquement les autorités territoriales pour les sensibiliser et les informer sur les missions qui ont été autorisées. Il y a également lieu de mettre en place une veille pour détecter les articles scientifiques afin de contester ceux qui ne font pas état de permis délivré par les autorités nationales. Au vu des diverses institutions chargées de délivrer des permis dans les divers domaines de la recherche scientifique, il serait peut-être judicieux de centraliser ce genre de procédure auprès d’une entité ou conseil scientifique multidisciplinaire doté des ressources nécessaires pour ce genre de mission », recommande Imad Cherkaoui.

Oussama ABAOUSS

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Territoires


Intégrer la sauvegarde du patrimoine dans le chantier de la régionalisation
 
La lutte contre les prospections scientifiques non autorisées et la spoliation des biens culturels et naturels du Royaume se déclinent également au niveau territorial. La dynamique entamée dans le cadre du chantier de régionalisation devrait a priori permettre une meilleure efficacité concernant la sauvegarde du patrimoine local.

« Malheureusement, les activités menées dans le cadre du chantier de régionalisation n’ont quasiment jamais inclus les préoccupations relatives à la sécurisation et la conservation du patrimoine local. Il est aberrant de faire un programme pour une région sans se soucier de son capital patrimonial en termes de faune, de flore, etc. », déplore Pr Mohamed Fakhaoui de l’Institut Scientifique de Rabat.

« C’est un chantier important qui est toujours en cours et nous espérons qu’il prendra en considération l’importance d’intégrer le patrimoine en tant que composante de l’identité du territoire et en tant que richesse collective à sauvegarder et à valoriser », estime la même source.

 

Piratage scientifique


Des ressources génétiques marocaines brevetées et exploitées à l’étranger
 
Alors que les activités de terrain, pratiquées dans le cadre de certaines disciplines scientifiques, sont clairement « détectables » car liées à des sites spécifiques ou à des dispositifs de prélèvement qui sont identifiables, il existe certains domaines où la prospection est plus facile à dissimuler.

« De nos jours, il n’existe plus de vision de la systématique basée sur l’individu dans sa totalité. En d’autres termes, il n’est plus nécessaire de déplacer en laboratoire un individu (de faune ou de flore) en entier afin de pouvoir l’étudier. Grâce aux technologies actuelles, il suffit d’un petit prélèvement quasiment invisible pour pouvoir faire des études génétiques sur l’espèce, voire pour pouvoir en tirer des bénéfices scientifiques », met en garde Pr Mohamed Fakhaoui, directeur de l’Institut Scientifique de Rabat.

Au-delà de la spoliation du patrimoine archéologique, géologique, paléontologique ou écologique, le scientifique alerte sur les risques qui pèsent sur le patrimoine génétique. « Il y a eu un précédent où des scientifiques étrangères ont prélevé illégalement au Maroc une bactérie pour ensuite la cultiver et l’utiliser dans un dispositif qui a été breveté à l’étranger », confie la même source. « Heureusement, plus de 80% du patrimoine marocain est connu et répertorié.

Le travail se poursuit, mais il serait intéressant de mettre en place un système d’identification par code barre des ressources génétiques et d’étudier la faisabilité d’un système d’information centralisé qui puisse être renseigné et consulté par les parties prenantes concernées », précise la même source.

 

3 questions au Pr Mohamed Fakhaoui, directeur de l’Institut Scientifique de Rabat


« Malheureusement, ce phénomène n’est pas une nouveauté »

 
L’Institut Scientifique de Rabat fait partie des autorités consultées pendant les procédures d’octroi de permis de prospection. Son directeur, Pr Mohamed Fakhaoui, répond à nos questions.

- Ce phénomène de prospection scientifique clandestine est-il nouveau dans notre pays ?

- Tout d’abord, je tiens à préciser que le Maroc dispose de partenariats scientifiques avec plusieurs entités de recherche au niveau international et que la règle qui prédomine est le respect total des lois marocaines par les chercheurs étrangers. Les autorités chargées de délivrer les permis et de veiller au respect de la réglementation en vigueur dans ce domaine font par ailleurs un travail remarquable qu’il y a lieu de saluer et d’encourager.


Cela dit, le phénomène auquel vous faites référence n’est malheureusement pas une nouveauté. Il y a eu beaucoup de spécimens qui ont été illégalement exportés suite notamment à des prospections non déclarées. Il y a même eu des inventaires complets qui sont sortis du territoire, ce qui est encore plus grave, car s’accaparer une base de données de ce genre revient à détenir illégalement le monopole sur une information patrimoniale nationale.


- Est-il possible de demander la restitution de ces collections ?

- Les autorités marocaines ont déjà fait ce genre de démarche. Il existe cependant de nouvelles dispositions au niveau international qui facilitent l’aboutissement des démarches de demande de restitution de spécimens ou d’objets patrimoniaux spoliés. Des pays comme l’Irak ou l’Egypte ont pu mettre en oeuvre ce genre de dispositifs afin de récupérer une partie de leur patrimoine. Je pense qu’il y a lieu et moyen d’étudier la possibilité de suivre la même démarche au niveau national.


- Comment faire pour lutter contre les prospections scientifiques clandestines au niveau national ?

- En plus de renforcer les dispositifs qui existent déjà, je pense qu’il serait pertinent d’introduire dans la loi une disposition qui impose aux scientifiques étrangers qui mènent des activités de terrain au Maroc de s’associer systématiquement avec des partenaires marocains. Il est également important de sensibiliser les divers intervenants institutionnels à propos de ce phénomène pour que chacun puisse jouer pleinement son rôle.

Recueillis par O. A.

 







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