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Pass sanitaire et vaccinal : Notre vie sociale en dépendra-t-elle désormais ?


Rédigé par Anass MACHLOUKH Mardi 24 Août 2021

Au moment où l’on se dirige vers la vaccination obligatoire sans l’imposer formellement, le pass vaccinal s’annonce comme une condition sine qua non pour accéder aux endroits publics. Des experts nous expliquent l’importance et les enjeux de la normalisation de ce document qui ravive d’ores et déjà l’interminable débat sur les libertés. Détails.



Pass sanitaire et vaccinal : Notre vie sociale en dépendra-t-elle désormais ?
Lundi 26 juillet 2021, le ministère de la Santé a émis une circulaire contenant une mention particulière : « Vaccination obligatoire contre la Covid-19 ». Sans l’annoncer officiellement, le gouvernement semble déterminé à rendre la vaccination obligatoire, en vertu des dispositions du décret-loi n°2-20-292 relatif à l’état d’urgence sanitaire. Cette obligation devrait être finalisée par le pass sanitaire, un document qui serait indispensable pour prendre part à l’espace public.

On prépare l’opinion publique Bien que rien ne soit officiellement annoncé au sujet du pass sanitaire, le gouvernement y prépare les gens. A titre d’exemple, une vidéo qui a largement circulé sur les réseaux sociaux a montré des agents de l’autorité dans une ville du Nord du Maroc annonçant que ce document sera dans les prochains jours obligatoire pour accéder aux lieux publics et exigé pour les concours et l’entrée dans les universités.

En fait, plusieurs établissements ont déjà requis le pass vaccinal, sachant que plusieurs réunions et conférences, auxquelles nos collaborateurs ont assisté, ont été interdites aux non vaccinés (y compris ceux qui n’ont pas eu la deuxième dose…)

Jusqu’à présent, l’Exécutif garde le silence. Nous avons consulté le ministère de l’Intérieur, département le mieux informé de ce genre de mesures ; des sources concordantes nous ont indiqué aussi que le dossier du pass sanitaire n’est pas encore parvenu au département d’Abdelouafi Laftit.

Pourtant, les membres du comité scientifique se sont d’ores et déjà exprimés sur les plateaux de télévision pour sensibiliser l’opinion publique. Sur les chaînes publiques, les deux membres les plus médiatisés du comité scientifique, Azzedine Ibrahimi et Saïd Afif, ont clairement fait savoir qu’on se dirige vers l’imposition du certificat de vaccination.

Sur l’antenne de 2M, M. Ibrahimi a expliqué qu’il est important d’adopter le pass vaccinal pour permettre à plusieurs secteurs économiques impactés par les restrictions de mobilité, dont le tourisme, de pourvoir reprendre complètement leur activité. Ceci dit, l’accès aux villes et aux endroits publics (cafés, restaurants, administrations, cinémas, lieux de travail, etc.) sera conditionné par la possession du fameux pass.

Pour une rentrée sans restrictions

De son côté, Saïd Afif a déclaré que la vaccination est un devoir national, arguant que l’obligation du pass sanitaire est nécessaire pour faire avancer la campagne de vaccination. Concernant la rentrée scolaire, le pass vaccinal devrait être également adopté dans les universités et les écoles, à en croire les deux experts. Saïd Afifi a expliqué qu’il est important d’assurer une rentrée où les cours seraient dispensés en présentiel, surtout après l’autorisation de la vaccination des enfants de 12 à 17 ans.

Ainsi, le pass vaccinal permettra d’assurer un enseignement présentiel sans risque de fermeture des écoles, sachant que les non-vaccinés pourront suivre les cours de chez eux en attente de leur vaccination. À ce titre, le ministère de l’Education nationale est en cours de préparation d’un vaste plan de vaccination des élèves dans plusieurs établissements à travers le Royaume, nous assure une source ministérielle qui a requis l’anonymat.

Obliger tout en laissant le choix ?

Si les autorités en viennent à imposer le pass vaccinal, c’est parce que la situation épidémiologique ne permet plus aucune mansuétude ni attentisme, vu que le variant Delta semble obstruer la campagne de vaccination – il suffit de constater la hausse de la mortalité et des cas critiques qui ont augmenté de 126%.

Selon Tayeb Hamdi, expert en politique et systèmes de Santé, l’obligation du pass est une nécessité, appelant à l’appliquer le plutôt possible pour les gens qui travaillent dans les lieux publics à haute fréquentation (tous les fonctionnaires, employés des lieux de distraction et de restauration, établissements touristiques et autres secteurs importants).

Pour le reste, M. Hamdi préconise un élargissement progressif, au gré de l’évolution de la situation épidémiologique. « Il n’est pas toléré que les gens qui ne veulent pas se faire vacciner empêchent les autres de jouir de la vie publique », reprend notre interlocuteur, qui croit que les gens non vaccinés ont le devoir de veiller à ne pas transmettre le virus aux autres. « Il est inconcevable qu’une usine ou une société suspende son activité parce qu’un ou deux employés refusent le vaccin », poursuit M. Hamdi, alléguant le cas des frontliners qui ont été obligés, vu leur statut, de se faire vacciner en premier.

De son côté, Jaâfar Heikel, épidémiologiste et expert en économie de la Santé, estime que l’adoption du pass vaccinal est une question de santé publique et un moyen qui va servir à atteindre plus rapidement l’immunité collective. Pour autant, il convient, selon l’expert, de distinguer obligation vaccinal et exigence du passeport sanitaire, puisque les antivax auront toujours la liberté de choisir... pourtant, ils sont priés d’assumer leur responsabilité, quitte à se voir restreindre le droit de mobilité.

Enfin, M. Heikel exhorte les responsables à intensifier l’effort de sensibilisation afin d’éviter des débats stériles comme ce qui s’est produit dans des pays comme la France.

Une mesure licitement liberticide

Comme le pass vaccinal va conditionner l’accès des citoyens à plusieurs endroits publics, ils sont nombreux à le considérer comme attentatoire aux libertés fondamentales garanties par la Constitution.

Pourtant, la loi suprême du pays régit ce droit sous réserves : l’article 24 stipule que « est garantie pour tous la liberté de circuler et de s’établir sur le territoire national, d’en sortir et d’y retourner, conformément à la loi » ; le décret-loi sur l’état d’urgence sanitaire habilite également le gouvernement à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé publique.

Pour mieux entendre cela, Mohammed Amine Benabdellah, ancien membre du Conseil constitutionnel de 2008 à 2017, nous explique que l’Etat peut interdire l’accès à certains endroits publics, mais ne peut pas contraindre les gens à aller aux centres de vaccination. « Il s’agit d’une mesure de police qui vise à garantir la santé et l’ordre public », nous explique doctement l’auguste constitutionaliste, qui assimile le pass vaccinal au certificat du test PCR. M. Benabdellah récuse l’argument de l’inconstitutionnalité du pass sanitaire, arguant qu’il s’agit d’une mesure exceptionnelle destinée à faire face à une situation qui l’est aussi, et qui relève du domaine de la loi.

Anass MACHLOUKH

3 questions à Jaâfar Heikel


« Je suis contre obliger les gens à se faire vacciner, mais pour le pass sanitaire dans l’espace public »
 
Jaâfar Heikel, épidémiologiste et expert en économie de la Santé, a répondu à nos questions sur les enjeux sanitaires du passeport vaccinal.

 
- Le Maroc s’apprête à rendre le passeport vaccinal obligatoire dans les lieux publics. D’un point de vue sanitaire, pourquoi cette mesure est-elle si importante ?

- En effet, comme vous le savez, l’immunité collective est difficilement atteignable avec les nouvelles souches du Covid-19 qui surgissent à intervalles réguliers. Actuellement, bien que la situation reste sous contrôle vu que la létalité du virus n’a pas augmenté de façon significative, la hausse des cas positifs pèse lourdement sur le système de Santé, qui demeure sous pression élevée. Près de 2600 lits de réanimation sur 4500 disponibles sont remplis.

Cela dit, on pourrait bien puiser dans les réserves, au détriment des autres pathologies. Par conséquent, la vaccination reste un moyen de sauvetage, puisque les études prouvent qu’elle réduit les formes graves à 85%. C’est dans ce sens que le pass vaccinal se présente comme un enjeu de santé nationale, dans les lieux publics.


- Concernant le débat sur l’obligation du vaccin, peut-on se permettre des dérogations pour les gens qui redoutent le vaccin ?


- Je précise d’abord que les études ont prouvé l’innocuité des vaccins. Personnellement, je suis contre le fait d’obliger les gens à se faire injecter le vaccin, mais ceci n’empêche pas l’Etat d’intervenir pour protéger la santé publique dans les lieux dits publics.

Il est évident que les gens non vaccinés ne pourront pas jouir complètement des avantages de la vie sociale, du moment qu’ils menacent la santé des autres en n’étant pas assez immunisés pour ne pas contaminer leur entourage, surtout les personnes âgées. C’est un débat salutaire qu’on devrait avoir. Je tiens ici à appeler les décideurs à sensibiliser les gens avant d’imposer toute obligation.


- Plusieurs études préconisent une troisième dose pour immuniser les gens contre le variant Delta – est-ce envisageable au Maroc ?


- En fait, quelques études ont montré qu’il faut injecter la troisième dose… Pour le moment, il est encore tôt de se prononcer sur une telle mesure, car il faut du recul. Je crois qu’il faut mener des études supplémentaires pour relever le niveau de protection de la population après la vaccination. La question pourrait se poser lorsqu’on aura suffisamment de données et quand on aura vacciné l’ensemble de la population vulnérable.
 
Recueillis par A. M.

 








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