L'Opinion Maroc - Actuali
Consulter
GRATUITEMENT
notre journal
facebook
twitter
youtube
linkedin
instagram
search



Actu Maroc

PCNS : En raison de facteurs structurels, le Maroc fait partie des pays les plus risqués

Larabi Jaïdi Senior Fellow, Policy Center for the New South


Rédigé par Wolondouka SIDIBE Jeudi 21 Janvier 2021

Le 2ème Rapport 2020 du Policy Center for the New South (PCNS) sur l’économie africaine jette la lumière sur la reprise post Covid-19 ainsi que les défis qui attendent les entreprises marocaines dans la zone de libre-échange continentale. Les explications avec M. Larabi Jaïdi, Senior Fellow, Policy Center for the New South, l’un des coordinateurs dudit document



PCNS : En raison de facteurs structurels, le Maroc fait partie des pays les plus risqués
Quel constat faites-vous de l’économie africaine, en cette période de Covid-19, à la lumière du deuxième rapport ?
Dès les premiers cas en Afrique, en février 2020, les prédictions les plus sombres ont été faites sur la catastrophe sanitaire à venir sur le continent. L’Afrique ne compte que 3,6 % des cas recensés dans le monde.  Ces chiffres sont bien inférieurs à ceux de l'Europe, de l'Asie ou des Amériques. Nous sommes loin des prévisions établies dans les premiers mois après l’apparition des premiers cas. Un certain nombre de raisons expliquent les taux de létalité relativement faibles de l'Afrique : prompte riposte, implication citoyenne, une population jeune, un climat favorable, une faible densité de la population, une capitalisation de l’expérience Ebola.
 
Bien que le nombre de cas de Covid-19 et de décès puisse paraître relativement faible en Afrique, par rapport à d’autres régions du monde, le choc sanitaire a d’ores et déjà des conséquences économiques et sociales désastreuses.  Les chocs d’offre et de demande ont eu un impact macro-économique sensible et auront de fortes répercussions sur le développement du continent en 2021 et 2022.

Ils mettent les pays africains dans une situation budgétaire inconfortable et sur une trajectoire d’endettement non viable. La pandémie ébranle des modèles de croissance axée sur les produits de base. La crise de la Covid-19 est venue compromettre la consolidation des acquis de la croissance économique africaine. Son impact se trouve amplifié par les fragilités structurelles du continent.

La propagation de la Covid-19 révèle que les régions de l’Afrique sont inégalement touchées. Des diverses sources que nous avons consultées et associé à notre étude, il ressort qu’il y a une diversité de profils de pays confrontés à différents niveaux et types de risques face à la pandémie. Ces profils dépendent d’une combinaison de facteurs : taille de la population, dimensions des environnements urbains, ampleur des conflits et des déplacements, démographie et gouvernance.  L’expérience des pays africains montre, aussi, qu’il n’existe pas une variante unique dans la gestion du déconfinement. Le processus est plutôt progressif, sélectif et à géométrie variable.

D’où aussi la complexité de la mise en œuvre de stratégie de sortie de crise dans un environnement incertain, fortement pénalisant pour la relance économique. La réalité de la pandémie dans le continent est plurielle par la variété de ses modes de déploiement, les types de réactions sanitaires des pays africains pour juguler la diffusion de la crise, la diversité des stratégies de sortie de crise dans un environnement incertain. La pandémie perdure et il est encore trop tôt pour estimer, au plus près, toutes ses retombées.
 
Qu’en est-il du cas spécifique du Maroc en cette nouvelle configuration ?
Le concept de ce rapport est centré sur L’Afrique en tant que continent et sur l’évolution conjoncturelle ou les transformations structurelles des communautés économiques africaines. Nous choisissons chaque année un pays sur lequel nous apportons un éclairage spécifique. Cette année c’est le Nigeria.   Ce rapport n’a pas pour objet   d’analyser l’évolution conjoncturelle de tous les pays africains, ni de présenter le regard que porte le Maroc sur l’Afrique.

Ces deux approches sont légitimes mais nous les traitons dans d’autres publications quand l’opportunité l’exige.  Notre ambition, à travers ce rapport, est d’offrir et de partager un espace de réflexion entre les chercheurs du Policy Center et d’autres chercheurs, experts ou décideurs africains sur l’état de l’économie africaine prise dans sa globalité ou dans des déploiements dans les différentes communautés économiques régionales.

C’est notre façon de sensibiliser les décideurs nationaux sur l’état économique de l’Afrique, ses vulnérabilités, ses opportunités. C’est aussi de sensibiliser les think tank, instituts de recherches et décideurs du continent sur l’intérêt que porte notre pays au suivi des performances et des dysfonctionnements économiques de son contient d’appartenance. C’est enfin une des initiatives du Policy center de développer, à travers ce rapport et les autres rapports sur la géopolitique ou les matières premières, un narratif sur le développement du continent porteur d’une vision sud-sud à l’adresse des pays du nord ou des organismes internationaux.

Ceci étant dit, le Maroc est évidemment présent dans ce rapport. Dans la classification des pays, il fait partie des pays les plus risqués en raison de facteurs structurels, comme l’exposition à l’international, une population urbaine importante et une population plus âgée. Il recense avec l’Afrique du sud, l’Algérie et l’Egypte une proportion importante des cas signalés. Il a été exposé à la pandémie précocement. Les pouvoirs publics ont déployé des politiques hardies pour maîtriser les transmissions au sein des populations vulnérables.

Le confinement a permis un contrôle de la situation sans aboutir aux résultats escomptés. L’économie du Maroc est une des plus les plus importantes du continent, elle a subi lourdement le choc de la pandémie. Les politiques d’urgence et de relance arrêtées tentent de contenir le choc, de négocier une sortie efficace de la crise tout en préparant les conditions nécessaires à une inflexion de notre modèle de développement.
 
Quelle évolution faut-il s’attendre au niveau des zones économiques continentales ? 
Les pertes d’activité consécutives à la crise sanitaire sont considérables pour l’ensemble du continent même si elles se différencient selon les régions. Chaque ensemble régional réagit selon ses caractéristiques propres et les contraintes auxquelles il est exposé. Outre le poids du secteur public, d’autres facteurs se combinent pour amortir ou amplifier les effets à la fois de la crise sanitaire et de la mise à l’arrêt des économies. Parmi ces facteurs figurent la durée locale du confinement, la résistance des entreprises et l’efficacité des mesures de soutien déployées.
 
La CEDEAO a réagi de manière coordonnée pour endiguer la pandémie. Ayant vécu l’épidémie d’Ebola en 2014, la région a vite déployé une approche harmonisée sur le plan sanitaire et quelques mesures pour promouvoir la croissance économique régionale tout en protégeant la santé publique. L'Afrique australe a également déployé des efforts pour fournir une assistance aux États membres à travers la création d'un dispositif régional.

La Communauté Economique de l’Afrique centrale et la Comesa ont mis en place très tôt un certain nombre de mesures sanitaire : programmes de sensibilisation, la création de centres de dépistage aux frontières. L’IGAD a dû faire face concomitamment à la crise de la Covid-19 et aux effets du changement climatique (invasion de criquets pèlerins, inondations, déplacements des personnes)  en mettant  en place des stratégies de riposte communautaire à ces défis.
 
La Communauté de l’Afrique Est a convenu d'un mécanisme unifié de certification des tests et d’une gestion fluide des transports aux frontières ; elle s’est distinguée par la mise en place de paquets de sauvetage économique : aides aux agriculteurs, soutien à la chaîne de valeur agro-industrielle, adoption de mesures de substitution aux importations, programmes de financement spéciaux pour les PME. Le Maghreb se particularise, malheureusement, par l’absence de mesures concertées, on relève à peine quelques rares actions d’entraide et de coordination bilatérales.
 
Les ripostes sanitaires communes ont néanmoins rencontré des difficultés dans la mise en œuvre notamment dans la coordination intersectorielle, l’adhésion de tous les pays, la collaboration inter-pays, les déficits en équipes/dispositifs d’intervention d’urgence, les problèmes logistiques, le déficit en approvisionnement de certains dispositifs et intrants etc… 
 
Les mécanismes régionaux pour coordonner les réponses économiques post-COVID ont été moins activés : les actions communes ont concerné essentiellement la gestion du commerce transfrontalier formel et informel, la limitation de la mobilité et des migrations au sein des espaces communautaires. Les années prochaines seront cruciales pour voir comment les membres de cette communauté agiront pour aborder collectivement les impacts sociaux et économiques à long terme qui découlent de la pandémie.
 
Justement, en quoi la Zlecaf, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, peut-elle constituer une opportunité pour les entreprises marocaines ?
La Zlecaf est une perspective dont l’impact ne se fera que dans la moyenne et longue durée. Elle présente l’opportunité d’un libre accès à plus de cinquantaine de marchés africains, à plus d’un milliard de consommateurs. Ça c’est notre représentation, grandeur nature et vue d’en haut, de ce projet. Quand on s’approche un peu plus du terrain des opérations, qui parle plus au monde de l’entreprise, la réalité est plus complexe à saisir.

Tous les pays n’ont pas encore ratifié l’accord, le libre commerce n’est pas réductible à la seule levée des barrières douanières, il est contraint par les barrières non tarifaires, par l’adhésion aux principes de la facilitation des échanges, à l’accord sur les règles d’origine sans évoquer la disponibilité des moyens logistiques, du coût de transport, des normes réglementaires etc… Autant dire que le la zone de libre-échange de jure – au sens juridique du terme- a été enclenchée, il reste encore à construire de facto en adoptant toutes le cadre et les mesures qui la rendent effective dans la réalité de tous les jours.
 
Dans ce schéma de libéralisation du commerce intra-africain, les entreprises marocaines ont leurs chances pour améliorer leurs parts de marché africain qui restent encore très restreintes, concentrées qu’elles sont sur quelques produits et quelques pays.
 
Elles ont besoin de visibilité sur les marchés-produits porteurs, d’une information qui remonte du terrain, d’un soutien des institutions du commerce extérieur marocain et de nos représentations diplomatiques. Elles ont surtout besoin de faire un effort dans la connaissance des profils et comportements des marchés africains, d’une maitrise de leurs coûts et de la qualité des produits.
 
Le différentiel que présenteront les préférences de tarification douanière permises par le démantèlement de la protection peut être largement compensé par les avantages dont disposent les concurrents intra ou extra africains. Les entreprises marocaines devraient affuter leurs armes de pénétration, agir en collectif. C’est une bataille qui ne peut être gagnée que si les entreprises se débarrassent d’un regard condescendant, considèrent que le marché africain est celui de l’avenir et qu’il se construit sur les fondements d’un partenariat pérenne plutôt que par des approches « one shot ».
 
Des leçons sont à tirer de nos accords de libre-échange avec l’Europe, la Turquie, et les Etats-Unis. Cela fait plus de quinze ans que nous somme dans des relations de libre-échange avec l’Union Européenne. Qu’a-t-on fait pour saisir cette opportunité de pénétrer les 25 marchés de l’union. Nous sommes restés enfermés dans notre aire de proximité qu’est la France, l’Espagne et un ou deux autres pays de proximité. Il est à craindre que l’horizon géographique des nos entreprises ne dépasse pas la région ouest-africaine. L’Etat doit mobiliser divers instruments, mécanismes d’incitation et mesures d’accompagnement pour accompagner la pénétration des entreprises marocaines dans le vaste marché africain.
 
L’Afrique en tant que telle est diversifiée en termes de développement et de trajectoire économique. Peut-on parler d’un dénominateur commun ?
L’Afrique est plurielle. Notre démarche doit éviter la simplification et la généralisation. Mettre en valeur l’hétérogénéité, la complexité et les richesses du continent. Les représentations du Modèle de développement en Afrique ont toujours été prisonnières de visions opposées basculant du désespoir (l’Afrique mal partie, L’Afrique en panne, l’Afrique des incertitudes) - à l’euphorie l’Afrique nouvelle frontière, l’Afrique qui bouge, l’Afrique l’envol, l’Afrique émergente. Entre ces deux perceptions si radicalement opposées, il faut éviter de se situer dans le faux-débat entre afro-pessimistes et afro-optimistes et adopter une approche d’analyse non péremptoire, qui seule permet de comprendre la complexité de l’Afrique et réfléchir sur les le développement durable et inclusif de demain
 
Les pays africains ont des défis communs et des intérêts convergents des pays africains. Des impératifs s’imposent comme lignes directrices fondamentales dans une sortie pérenne de la crise. Il nous paraît évident que les modèles de développement en cours dans le continent sont interpellés sur deux registres intimement liés : assurer la sécurité humaine des populations et renforcer la solidarité des pays du continent au service d’une Afrique forte et autonome dans un système de l’économie mondiale plus équilibré.
 
Sur la longue période, la majorité des pays ont connu une croissance lente, mais plus ou moins continue, qui n’a pas exercé l’effet d’entraînement attendu sur l’emploi. L’agriculture familiale constitue toujours le principal secteur dont dépend la survie de la majorité de la population. En dehors de l’agriculture, le faible dynamisme des secteurs secondaire et tertiaire moderne s’est traduit par la création d’activités dans le secteur informel, qui regroupe entre 70 et 90 % de l’emploi non agricole, ingénieux et tourné vers la satisfaction des besoins de base , mais peu productif et peu rémunérateur.
 
Le secteur manufacturier occupe une part faible dans le PIB, il reste concentré dans quelques activités sanctuarisées.  L’Afrique dispose d’abondantes ressources naturelles. Elle est néanmoins exposée aux fluctuations des prix des matières premières. De signe de richesse, la disponibilité des ressources devient un signe de « malédiction », le problème réside dans la manière dont les recettes des industries extractives modifient les choix, les comportements, les motivations des pays et des décideurs.  La figure de l’Etat rentier prédomine sur celle de l’Etat développeur.
 
Parmi les dix pays les plus inégalitaires au monde, sept sont en Afrique.  Les inégalités sociales les plus accentuées résultent de certaines politiques comme la dispersion des dispositifs de l’Etat-providence, ou dans les anciennes stratifications sociales (régime des castes, stigmates de l’apartheid, clivages hiérarchisés). Autre caractéristique de l’Afrique, la gouvernance économique est faible.
 
Une vision court-termiste prélude aux décisions des dirigeants politiques. L’endettement des Etats Africains et la fuite des capitaux sont de manière récurrente un élément central du problème de financement des économies. Le resserrement des conditions financières mondiales et hausse des coûts de financement, ré-endettement rapide risque d’hypothéquer dans l’avenir les capacités des gouvernements à mettre en œuvre les politiques publiques et à moderniser les infrastructures.
 
Ce sont donc les modèles de développement africains qu’il faudrait changer pour que le continent soit en mesure de mieux s’insérer dans la nouvelle configuration de l’économie mondiale et assurer la couverture des besoins essentiels de ses populations. La sortie de la crise, l’alternative aux modèles économiques anciens ou actuels résident dans la consolidation résilience économique et sociale aux chocs extérieurs par la transformation structurelle des économies. Cette exigence passe par la construction des chaînes de valeur régionales à travers un processus d’intégration continentale garant d’une souveraineté collective.
 
Propos recueillis par Wolondouka SIDIBE