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Ours de l’Atlas : L’autre emblème disparu du bestiaire maghrébin


Rédigé par ​Omar ASSIF Dimanche 8 Janvier 2023

Certaines voix venues de l’Est s’élèvent pour revendiquer la légitimité de faire porter le nom de Lions de l’Atlas aux footballeurs algériens. Nous avons trouvé une espèce qui conviendrait bien mieux.



Aux dernières nouvelles, l’Atlas serait une chaîne de montagne «en grande partie située en Algérie». L’emblème du Maroc, le Lion de l’Atlas en l’occurrence, serait pour sa part une espèce typiquement algérienne… Un nouveau son de cloche farfelu, émis récemment par un journaliste algérien qui, durant une émission télévisée, a estimé «que l’équipe algérienne de football mérite bien plus l’appellation de Lions de l’Atlas».

Nous n’irons pas jusqu’à confisquer aux Algériens le droit de revendiquer que leurs territoires ont jadis vu se pavaner la même espèce de grands fauves qu’au Maroc. Mais de là à vouloir nous confisquer notre propre emblème, il n’y a qu’une chaîne de montagne à franchir. Chaîne de montagne qui, paraît-il, serait plus à l’Est que la géographie ne veuille l’admettre. Trêve d’absurdités ! Qu’on le veuille ou non, les territoires marocains et algériens ont beaucoup en commun, au moins en termes de faune, de flore et de bio-histoire. L’appellation «de l’Atlas» qui suit souvent les noms des espèces se retrouve aussi bien illustrée au Maroc, qu’en Algérie, voire en Tunisie.

«Doub» de l’Atlas
 
Certaines de ces espèces se sont éteintes, mais marquent encore les mémoires, alors que d’autres ont aussi bien disparu des territoires que du souvenir collectif.

Parmi ces dernières, l’énigmatique Ours de l’Atlas… Sous-espèce de l’ours brun, le «doub» atlasien est, à l’image de l’amitié algéro-marocaine, une créature dont l’existence fait douter un bon nombre de connaisseurs. Si les preuves paléontologiques démontrent que des ours ont foulé les territoires nord-africains il y a de cela des millénaires, très peu de traces modernes attestent de la présence récente d’un ours maghrébin, seul représentant par ailleurs de la famille des ursidés dans le continent africain. 

Les spécialistes en cryptozoologie (recherche des animaux dont l’existence ne peut pas être prouvée de manière irréfutable) se basent dans leurs travaux sur des témoignages datant des XVIIIème et XIXème siècles, qui décrivent une créature «plus petite que les autres ours bruns, avec un museau plus plat et une fourrure presque noire».

Ce qu’en disent les Romains
 
D’aucuns vont jusqu’à considérer l’ours de l’Atlas comme une espèce en soi (Ursuscrowtheri) mais cette hypothèse reste impossible à vérifier, car aucun individu n’a été conservé. Des sources issues de la littérature romaine indiquent que l’animal était «très courant dans les montagnes de l’Atlas, alors recouvertes de forêts de pins».

On en trouve d’ailleurs des représentations dans les mosaïques de Volubilis (Oualili) et il est probable qu’à l’image des lions de l’Atlas, de tels ours ont également été utilisés dans  les arènes romaines. Les premières descriptions scientifiques de l’animal datent du XVIIIème siècle, mais ses populations auraient à l’époque été (déjà) très réduites, car l’espèce était chassée et son habitat détruit. 

Les rares documents qui traitent du sujet attestent (n’en déplaise à nos voisins de l’Est) qu’en 1830, le Sultan du Maroc possédait des ours de l’Atlas dont un fut donné au jardin zoologique de Marseille : c’était manifestement ce dernier individu qui fut étudié scientifiquement, afin de donner un nom scientifique à la sous-espèce.

Mythe ou réalité ? 
 
«La biodiversité du Maghreb, en général, et du Maroc, en particulier, est un mélange d’espèces typiquement africaines avec d’autres qui sont européennes. Nous pouvons observer cela à travers certaines espèces qui sont présentes sous nos cieux et absentes partout ailleurs dans le reste du continent. 

C’est le cas par exemple pour le cerf ou le sanglier. En l’absence de preuves scientifiques, on ne peut pas dire qu’une espèce d’ours vivait, il y a encore quelques siècles, dans l’Atlas. Mais si c’était le cas, ce ne serait pas une aberration», commente Pr Abdeljabbar Qninba, expert en biodiversité. Peut-être qu’un jour une découverte scientifique permettra de mieux trancher l’hypothétique histoire de l’ours de l’Atlas. En attendant, les spéculations existantes vont dans le sens d’un animal qui aurait vécu dans diverses régions d’Afrique du Nord. D’ailleurs, ces mêmes sources évoquent un dernier spécimen tué «à la frontière maroco-algérienne». 

Hibernant à moins d’être chimérique, à bien y réfléchir, l’ours de l’Atlas serait bien mieux adapté pour être un emblème algérien.

Omar ASSIF

L'INFO...GRAPHIE

3 questions au Pr Abdeljabbar Qninba

« Dire que la plus grande partie de l’Atlas se trouve en Algérie est une contre-vérité »

Enseignant-chercheur, auteur de plusieurs ouvrages sur le patrimoine naturel marocain et expert en biodiversité, Pr Abdeljabbar Qninba répond à nos questions.

 
- Peut-on dire que les pays du Maghreb partagent le même patrimoine naturel ?

- Il est certain que les pays du Maghreb partagent la même histoire biogéographique. On y retrouve quasiment les mêmes conditions, à savoir la mer Méditerranée au Nord, les étendues sahariennes au Sud, ce qui a obligé la faune et la ore à s’adapter de la même façon. Il existe très peu d’espèces endémiques et vraiment spécifiques à l’un ou l’autre des pays du Maghreb. 

Quand c’est le cas, cela s’explique par le fait que ces espèces particulières vivent et se reproduisent dans des habitats très restreints. Le Maroc héberge cependant le plus grand nombre de sous-espèces endémiques de vertébrés de la région, car, en dépit d’une même histoire biogéographique, notre pays garde beaucoup de spécificités, notamment l’influence du littoral atlantique.

- Qu’en est-il des montagnes de l’Atlas? La partie qui se trouve en Algérie est-elle plus conséquente ?

- Dire que la plus grande partie de l’Atlas se trouve en Algérie est une contre-vérité. Comparativement avec les diverses chaînes montagneuses qui se trouvent au Maroc, l’Atlas en Algérie se décline sous la forme d’une bande qui se prolonge jusqu’en Tunisie.

Ajoutez à cela le fait que les plus hauts sommets se trouvent dans le Royaume, ce qui justement explique l’existence sur place de plusieurs espèces caractéristiques des hautes montagnes. Cela dit, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le Lion de l’Atlas ne vivait pas uniquement dans des habitats de montagne, car sa présence a été documentée dans d’autres régions, notamment dans la forêt de Maâmora.

- Pensez-vous que l’ours a véritablement existé en Afrique du Nord ?

- À ma connaissance, l’ours a existé au Maroc au moins jusqu’au 7ème siècle après JC. Cela a été attesté par des traces et des ossements qui avaient été découverts dans la région du Rif il y a quelques années. 

Maintenant, la question pourrait se poser pour des périodes plus récentes. Pour valider les récits qui évoquent une présence qui se prolonge jusqu’au 19ème siècle, il faudrait que d’autres découvertes et datations soient faites d’une manière rigoureuse et scientifique.

Recueillis par O. A.