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Culture

Orthodoxie et réformisme contre radicalisme

L’Institut Thomas More souligne les particularités du modèle religieux marocain


Rédigé par La rédaction le Lundi 17 Février 2020

« Un modèle qui favorise un Islam apaisé », c’est ainsi que la chercheure de l’Institut Thomas More, Sophie De Peyret, a qualifié la « ligne théologico-politique médiane » qui caractérise le Royaume, face à la déferlante islamiste radicale. Lecture.



Orthodoxie et réformisme contre radicalisme
Tout le long des 32 pages de l’étude « Nation et religion : l’expérience marocaine », publiée par Sophie De Peyret, chercheure associée à l’Institut Thomas More, en décembre dernier, l’on est guidé par le constat énoncé en introduction, ce retour en force du fait religieux, qui a fait un croche-pied à la sécularisation dans sa marche triomphale, l’agressivité spectaculaire du fondamentalisme musulman et, comme un îlot paisible dans une mer mouvementée, le Maroc, avec sa Commanderie des Croyants et les trois piliers de son identité religieuse, le rite malékite, la doctrine ascharite et le soufisme sunnite.

L’analyse est d’autant plus intéressante qu’elle émane d’une chercheure aux convictions laïques bien ancrées, comme c’est évident dans d’autres de ses écrits. Son analyse cherche essentiellement à déterminer les particularités qui font la tolérance du modèle religieux marocain.

 

Triptyque malékisme, asharisme et soufisme

Du rite malékite suivi au Maroc, l’islamologue française relève son recours à l’interprétation, l’esprit du texte prévalant sur la lettre et l’importance donnée au contexte. Une certaine souplesse sociopolitique est ainsi autorisée dans l’application des normes juridiques, qui demeurent, toutefois, enracinées dans les fondamentaux de la religion islamique.

L’ascharisme, école théologique à mi-chemin du littéralisme et du rationalisme des Muâtzilites, est l’autre pilier de l’identité islamique marocaine, qui théorise cette souplesse adaptative juridique, tout en la maintenant ancrée dans l’orthodoxie.

La voie mystique du soufisme sunnite est le troisième volet qui achève ce triptyque spécifiquement marocain. Sophie De Peyret n’a pas manqué de souligner sa profonde empreinte historique, sa prégnance dans la culture populaire marocaine et le rayonnement de confréries du Royaume auprès des populations musulmanes d’Afrique de l’Ouest.

Les barrières institutionnelles contre le radicalisme

C’est dans le concept de « wassatya » (juste milieu) qui structure la pensée islamique marocaine que l’islamologue voit l’antidote au radicalisme islamiste aussi bien à l’échelle locale que régionale. Elle met en relief les missions essentielles de la Rabita Mohammadia des Oulémas, créée en 2006 par SM le Roi, Commandeur des Croyants, et de l’Institut Mohammed VI de formation des imams, morchidines et morchidates, inauguré en 2015.

Quand la première assume la charge de maintenir la cohésion religieuse du Royaume, fermant la porte aux néfastes influences venues d’ailleurs, le second veille à ce que les imams professant dans les 53.000 mosquées que compte le Maroc soient suffisamment bien formés pour diffuser la vision éclairée de l’Islam. La pertinence de cette dernière entité lui a conféré une aura à l’international telle que 1070 étudiants étrangers y poursuivent actuellement la formation d’imam.

 

La commanderie des Croyants

La clé de voûte de cette construction théologico-politique est le statut de SM Mohammed VI, Roi du Maroc et Commandeur des Croyants, connectant le temporel et le spirituel, unique en son genre dans le monde arabo-musulman. Dans ce cadre, Sophie De Peyret situe la visite du Pape François au Maroc, en mars dernier, comme la rencontre de deux leaders politico-religieux, tout un symbole du rapprochement œcuménique que tous deux prônent entre Islam sunnite et Christianisme catholique.

Traitant de la place du judaïsme dans le Royaume, l’islamologue note la discrimination positive dont il fait l’objet, étant la seule religion autre que l’Islam à laquelle est reconnu corpus juridique civil et tribunaux distincts.

Réformisme assumé

Mais c’est dans l’adoption de la Moudawana que l’islamologue apprécie le courage politique de mener des réformes législatives à portée socioreligieuse incontestable. Surtout que cette démarche vers le renforcement de l’égalité entre les sexes a été confortée par la Constitution adoptée par référendum en 2011, qui stipule en son article 19 l’égalité entre l'homme et la femme et la responsabilité de l’Etat marocain dans la réalisation de la parité.

Toute cette dynamique réformiste qui vivifie la pensée islamique marocaine, sans reniement des principes fondamentaux, Sophie De Peyret la mesure à l’aune de la crispation religieuse qui déstabilise plusieurs pays du Moyen Orient et d’Afrique du Nord et projette son ombre terrorisante sur les deux rives de la Méditerranée.

Bien plus qu’un exemple de modération et de tolérance religieuse dont il convient de s’inspirer, le modèle marocain répond, par sa simple existence, à un besoin, celui d’une preuve vivante de la compatibilité de l’Islam avec la modernité.
Ahmed NAJI

L’approche globale contre la menace terroriste

Rappelant les attentats de Casablanca, en 2003 (45 morts) et celui de Marrakech, en 2011 (17 morts), Sophie de Peyret souligne l’approche globale adoptée par le Maroc pour faire face au terroriste jihadiste. Conscient que le traitement d’une telle menace ne saurait être uniquement sécuritaire, le Royaume a opté pour une démarche multidimensionnelle, alliant à la lutte anti-terroriste le développement économique et social, ainsi que la diffusion du véritable savoir religieux, pour contrecarrer le flot de fausses connaissances qui permettent aux takfiristes de tromper et embrigader les non-initiés. Et la chercheure de citer le programme de dé-radicalisation dans les prisons « Musalaha », qui a permis, dès son lancement, en 2017, à 13 salafistes repentis de bénéficier de la grâce royale.    

Repères

L’Institut Thomas More

L’Institut Thomas More est un thnik-tkank libéral conservateur et indépendant créé en 2004, basé à Bruxelles et Paris. À la fois laboratoire de solutions innovantes, centre d’expertise et relais d’influence, il est organisé en réseau et réunit personnalités politiques, opérateurs économiques, experts et représentants de la société civile. Sa profession de foi européiste complète les valeurs proclamées de sa charte. Saint Thomas More est un théologien et homme politique anglais du XVIème siècle, exécuté pour sa fidélité à l’église catholique. 

L’islamologue Sophie De Peyret
Diplômée en sciences politiques, Sophie de Peyret a vécu quatre ans au Moyen Orient, où elle a commencé à apprendre l’arabe. A son retour en France en 2014, elle poursuit son apprentissage de la langue et s’intéresse à l’Islam comme religion et civilisation. Diplômée de l’Institut de Science et Théologie des Religions à l’Institut Catholique de Paris, elle y réalise une étude approfondie sur la symbolique du drapeau de Daesh. Elle anime, au sein de l’Institut Thomas More, le programme de travail « Défi de l’islam en France ».
La « wassatya » telle que vue par la chercheure

« Bien loin de la mollesse ou de la tiédeur, la « wassatya » est une conception orthodoxe de la religion qui reste en adéquation avec le contexte. La diffusion et la pérennité de cette conception tiennent, notamment, à l’homogénéité du Royaume en matière religieuse. En effet, afin d’assurer l’unité du rite et de la doctrine, tous les imams qui prêchent au Maroc sont formés au Maroc. (…) Cette maîtrise totale de la formation et du discours se révèle un bon rempart contre l’irruption d’interprétations religieuses radicales ».