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Obligation vaccinale : Les enseignements d’une nouvelle avancée jurisprudentielle [INTÉGRAL]


Rédigé par Anass MACHLOUKH Mardi 14 Mai 2024

Pour la première fois au Maroc, l’Etat a été condamné à dédommager une victime d’effets secondaires d’un vaccin anti-Covid-19. Au-delà de la responsabilité étatique, cet arrêt redéfinit la lecture juridique de l’obligation vaccinale. Décryptage.



Pendant la campagne de vaccination, aller se faire vacciner contre la Covid-19 fut l’unique mot d’ordre dans la bouche du gouvernement et des experts. Face aux vagues successives de la pandémie qui gagnait en force avec chaque nouveau variant, les vaccins étaient la recette miracle, nonobstant le risque d’effets secondaires. Il était clair à l’époque qu’on préférait rester dans l’instant présent et ne pas trop songer aux risques futurs au moment où le comité scientifique rassurait sur la sécurité des vaccins et le faible risque de complications. Maintenant, l’heure est au bilan. Le gouvernement se voit rattrapé par la polémique liée au vaccin AstraZeneca dont le laboratoire a reconnu l’existence d’effets secondaires rares, à savoir les syndromes “Thrombotique” et “Thrombocytopénique”. Le premier est à l’origine de caillots sanguins tandis que le deuxième provoque une baisse de plaquettes qui augmente le risque de saignement grave. 
 
Pour le gouvernement, rien de nouveau !

L’aveu du laboratoire suédo-britannique continue de susciter la controverse au Maroc au point de s’investir intensément dans le débat public. Le gouvernement a dû même réagir officiellement par la voix de son porte-parole, Mustapha Baitas, qui a été interrogé sur ce sujet lors de la conférence de presse hebdomadaire, tenue en marge du dernier Conseil de gouvernement. Il était clair qu’il n’était pas préparé à une question pareille et s’était contenté d’un commentaire laconique. “Tout le monde sait que les vaccins administrés au Maroc ont été homologués sur la base d’un examen rigoureux mené par le comité scientifique”, a-t-il répondu, sans ajouter un mot. Cela dit, pour le gouvernement, toutes les précautions furent prises pour administrer aux Marocains des vaccins sûrs. Or, il se trouve que la réalité est tout autre. 
 
L’arrêt inédit du tribunal administratif

En dépit des multiples démentis du ministère de la Santé sur les cas d’effets indésirables, il y en a eu. Une plaignante a obtenu récemment gain de cause auprès du Tribunal administratif de Rabat qui a condamné l’Etat à dédommager la victime en lui versant 250.000 dirhams d'indemnités. Ce jugement, dont « L'Opinion » détient copie, est le premier du genre au Maroc et jette les premiers jalons d’une jurisprudence nationale en matière de responsabilité de l’Etat marocain dans les conséquences des vaccins imposés à la population. 

La plaignante a été atteinte du syndrome Guillain-barré, reconnu par le centre de pharmacovigilance du ministère de la Santé le 5 novembre 2021, qui provoque des troubles du système nerveux, entraînant parfois des cas de paralysie partielle. La victime, une professeure universitaire, a eu une paralysie au niveau des membres inférieurs et du visage. 

Dans le cadre d’une expertise ordonnée par le juge, le lien de cause à effet entre l’injection du vaccin et le syndrome a été établi. La plaignante a perdu l’aptitude à conduire et la capacité d’exercer sa profession à cause des symptômes susmentionnés qui lui ont ôté durablement 15% de sa capacité physique. Ce qui nécessite une prise en charge estimée à plus de 38.400 dhs, payée à sa charge.
 
La subtile démonstration de la responsabilité juridique de l’Etat 

Une fois l’effet de cause à effet a été établi par des certificats médicaux, il fallait démontrer la responsabilité de l’Etat. La défense de la plaignante a motivé sa demande d'indemnisation par l’obligation vaccinale décrétée par l’Etat dans une série de décisions prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire qui a pris fin le 1er mars 2023. Or, l’Etat, représenté par l’Agent judiciaire du Royaume, a estimé, dans sa plaidoirie, que cet argument n’est pas fondé en droit d’autant que le décret-loi n° 2-20-292 du 23 mars 2020 permet au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour juguler la pandémie et mobiliser toutes les ressources disponibles pour préserver la santé publique. Dans l’esprit de la défense de l’Etat, les autorités publiques n’auraient manqué à leurs devoirs à l’endroit des citoyens que si elles n’avaient pas fait tout ce qu’il était en leur pouvoir pour lutter contre le virus. Aussi, le mémorandum de défense a-t-il appuyé son argumentaire sur la décision du Conseil d’Etat français du 5 novembre 2005. L’argument est simple : tant qu’il s’agit de circonstances exceptionnelles, l’Etat ne saurait être responsable. 
 
Obligation vaccinale : Les contours d’une nouvelle jurisprudence 

En définitive, face aux motivations des deux côtés, le tribunal a tranché en faveur de la plaignante sur la base de plusieurs éléments constitutifs de la responsabilité de l’Etat dans le risque. Celle-ci est incarnée par le Pass sanitaire qui, bien que ce ne soit pas une mesure d’obligation vaccinale, est perçue comme une incitation contraignante à la vaccination, d’autant plus qu’elle réduisait la mobilité des citoyens et leur accès aux services publics et administratifs, tel qu'énoncé dans le décret du 18 octobre 2021. Le tribunal administratif est allé ainsi plus loin que l’arrêt du 23 juin 2022 de la Cour de Cassation qui n’a pas validé le caractère obligatoire de la vaccination. 

L’Etat est ainsi responsable des effets des vaccins qu’il a autorisés même s’il n’a pas pris de mesures attentatoires à la loi ni/ou à la Constitution. Mohammed Amine Benabdallah, actuel président de la Cour Constitutionnelle, est allé dans le même sens dans une analyse qu’il avait partagée avec “L’Opinion” en août 2021 à l’apogée de la pandémie. Selon lui, le Pass sanitaire est une mesure de police qui autorise l’Etat à interdire l’accès à certains endroits publics sans pour autant contraindre les gens à aller aux centres de vaccination. 
 
Autorisation de mise en marché : La preuve irréfutable  

Revenons au jugement. Le tribunal a déclaré l’Etat responsable pour avoir homologué le vaccin d’AstraZeneca, qui est à l'origine des effets secondaires objet de la plainte. Le vaccin, rappelons-le, a été autorisé, le 6 janvier 2021, après l’aval du comité scientifique. Cela dit, l’autorisation de mise en marché d’un vaccin est retenue comme preuve de responsabilité de l’Etat en cas d’effets secondaires, et ce, en vertu de la loi 17.04 dont l’article 8 conditionne l’autorisation de mise en marché à la sécurité du vaccin et à l’absence d’effets indésirables “s’il est administré correctement”. En rejetant l'argument des circonstances exceptionnelles, le tribunal pousse la jurisprudence plus loin en faisant appel au droit international, notamment à la Résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies n°57.150 qui attribue aux Etats  la prise en charge des victimes de catastrophes naturelles et des situations d’urgence sur son propre sol. 

Trois questions à Saïd Moutaouakkil : “La vaccination suscite des inquiétudes, mais le rapport bénéfice/risque des vaccins demeure la base de décision”

Saïd Moutaouakkil, ancien membre du comité technique de vaccination, a répondu à nos questions.
Saïd Moutaouakkil, ancien membre du comité technique de vaccination, a répondu à nos questions.
  • En plus des effets secondaires, le vaccin d’AstraZeneca était-il moins efficace que les autres ?
 
Il faut garder à l’esprit que le vaccin AstraZeneca a été parmi les premiers à être administrés lors de la campagne de vaccination. Quand on observait les résultats, on avait constaté un manque d'efficacité chez les personnes vaccinées de plus de 65 ans. Puis, les cas d’effets secondaires ont commencé à être observés dans le monde, surtout en Angleterre. Il y a eu des cas très rares de thrombose et de thrombopénie, surtout chez les jeunes.
 
  • Pourquoi le vaccin est resté recommandé par l’OMS et par les autorités sanitaires après l'annonce de cas d’effets secondaires dans le monde ?  
 
En pleine pandémie, l'OMS avait préconisé la poursuite de la vaccination avec ce vaccin sous prétexte que le rapport bénéfice/risque était favorable. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque on estimait que tous les vaccins avaient des effets secondaires, qui pouvaient être parfois graves. Mais, la veille dans le cadre de la pharmacovigilance était permanente.  Aujourd'hui, la nouvelle donnée est que plusieurs victimes d’effets secondaires graves ont recours à la justice pour indemnisation. Il s'ensuit une bataille juridique qui devrait également susciter un nouveau débat scientifique.
 
  • Peut-on s’attendre à d'autres complications néfastes de la vaccination dans les années à venir ?
 
Il va de soi que la vaccination soulève beaucoup d'hésitation et d'inquiétude. On sait bien que l’urgence et la dangerosité de la pandémie avaient poussé les laboratoires, soutenus par les Etats et l’OMS, à développer rapidement des vaccins efficaces quel qu’en soit le prix, en l'occurrence brûler des étapes. Le recul est nécessaire pour l'évaluation. Mais, quoi qu’il en soit, les effets secondaires des vaccins anti-Covid-19 demeurent exceptionnels, sachant que les vaccins ont, tout de même, permis de réduire les formes graves et, par conséquent, de baisser la mortalité.
 

AstraZeneca : En quête du chiffre inconnu !

Au Maroc, on peine à savoir combien de personnes ont reçu le sérum d’AstraZeneca. Contactées par nos soins, les autorités responsables de la campagne de vaccination au ministère de la Santé refusent de répondre à nos sollicitations quand il s’agit de ce sujet. Pour leur part, plusieurs membres du comité technique de vaccination disent ignorer le chiffre. Tout ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que le Maroc a commandé 25 millions de doses auprès du Laboratoire indien “Serum Institute of India” qui, probablement, n’a pas livré toute la quantité commandée. Le Royaume, rappelons-le, avait reçu le premier arrivage le 22 janvier 2021, avec un lot de deux millions de doses, avant d’en recevoir un autre dans le cadre du programme COVAX supervisé par l’OMS.
 
En gros, le Maroc a reçu plus de 60 millions de doses du vaccin, dont 5,5 millions de doses livrées dans le cadre de l'initiative COVAX, co-dirigée par la CEPI (Coalition for Epidemic Preparedness Innovations), en partenariat avec GAVI (l'Alliance du vaccin) et l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

OMS, COVAX… Les pistes d'indemnisation méconnues

La question qui s’impose est de savoir si l’Etat marocain est le seul responsable d’autant que la vaccination était vivement recommandée par l’OMS. Autre fait interpellant : le vaccin AstraZeneca a été également livré dans le cadre du programme COVAX co-dirigé par l'Organisation mondiale. 

Force est de constater que le tribunal administratif de Rabat n’a pas cherché la source de la dose du vaccin administrée à la victime. Elle pourrait être issue des quantités commandées par le gouvernement marocain ou, dans le cas contraire, proviendrait du lot fourni dans le cadre du programme supervisé par l’OMS.

Dans ce cas, une nouvelle piste d'indemnisation s’ouvre, puisque l’Organisation a mis en place dès le 22 février 2021 un mécanisme de compensation aux personnes ayant subi un préjudice dans 92 pays à revenu faible ou intermédiaire sans qu’elles aient à recourir aux tribunaux. Ce dispositif est financé par des prélèvements pris sur chaque dose subventionnée par le système de garantie de marché appelé “Gavi-COVAX”.

Le communiqué du 22 février 2022 est clair : “Tous les vaccins achetés ou distribués par l’intermédiaire du Mécanisme COVAX font l’objet d’une approbation réglementaire ou d’une autorisation d’utilisation d’urgence confirmant leur innocuité et leur efficacité”. Concernant la procédure de compensation, les demandes se font au niveau de la plateforme “COVAX Claims”, mise en place à cet effet.

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