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Culture

Nass El Ghiwane, la grande bouffe


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 29 Août 2021

Le Franco-marocain Réda Bahassou donne naissance à un énième livre sur le plus grand groupe marocain du monde : «Nass El Ghiwane, ‘Les Rolling Stones de l’Afrique’, Hérauts de la musique contestataire» (La Croisée des Chemins). Entre recherche ordonnée et bifurcations non-avenues, l’oeuvre laisse un goût de récit à multiples débordements. Heureusement que l’essentiel y coule.



Le groupe a «réquisitionné le patrimoine pour faire entendre la voix des déclassés».
Le groupe a «réquisitionné le patrimoine pour faire entendre la voix des déclassés».
Un nouvel ouvrage sur Nass El Ghiwane. Un de plus ou un de trop ? A le parcourir, on sent l’effort âprement documenté, avec de larges passages, comment dire ?, hors-sujet. Du coup, on a la rageuse envie de les jeter dans un trou et ensuite jeter le trou.

Omar Sayed, membre fondateur de l’historique combo, se fait signer la préface où inconsistance et naïveté revendiquent de concert la légitimité du récit. En voici un passage qu’on reproduit fidèlement : «En tout cas, le travail du jeune Réda Bahassou m’a poussé à rappeler encore une fois la mémoire ghiwanie notamment en ce qui concerne le sujet des divers travaux réalisés par nombre de chercheurs de différentes spécialités qui ont approché le phénomène ghiwani chacun à sa manière et selon les outils de sa spécialité, tentant toujours de concilier subjectif et objectif dans leur entreprise scientifique, entre leur amour passionné des Ghiwane et les standards et critères donc présidant à tout ce qui est recherche scientifique rigoureuse.»

Pauvre Omar dont les supposés propos se traduisent ainsi, dans un français qui a plus besoin d’être pansé que pensé. Qu’on nous accorde l’indulgence de ne citer que ce maigre exemple évoquant la forme.

Travaux forcés

Quant au fond, il est distendu de méduses. On apprend d’emblée que cette «étude-enquête-recherche» est un ROMAN, sa présentation renfermant d’autres curiosités. «La genèse de ce roman s’est élaborée progressivement à la suite du visionnage du documentaire long-métrage Transes (Al Hal) du réalisateur marocain Ahmed El Maânouni et produit par Izza Ginini, la ‘marraine du cinéma marocain’, film présenté au Festival de New York de 1981. L’idée initiale résidait dans le fait de rédiger un article sur Nass El Ghiwane en tant que contribution bénévole de ma part sur les nombreux supports Internet citoyens.» L’ancien bénévole confond roman et essai, Ginini Antipode et Genini Izza.

Après un passage contorsionné sur «Alyam Alyam» du même Bouaânani qui y invite la musique de Nass El Ghiwane, l’auteur nous fait longuement quitter l’objet de son livre, nous entretenant de la Folk et Bob Dylan, de la chanson arabe et Oum Kelthoum… sous le sceau de la chanson contestataire. Plus tard, on est magistralement largués au profit d’une dissertation sur Tanger et Paul Bowles, Burroughs et la beat generation, Jahjouka et les Rolling Stones… sans omettre De Gaulles, Dalida, Fayrouz et autres figures invoquant le lourd. Un brouhaha de bout-à-bouts se nourrissant de références largement consommées avant la «genèse» de ces travaux forcés. Pourtant, l’ouvrage est loin de démériter.

Association de bienfaiteurs

L’auteur, diplômé en sciences sociales à l’Université de Nancy, dresse un portrait fouillé de l’histoire d’un groupe, d’un phénomène, d’une contestation qualifiée en son temps de périlleuse. A force de recherches et de rencontres, de constructions et de déconstructions, il nous livre une lecture sociale et philosophique de la «Ghiwanomania». Un travail méticuleux qui vient grossir le registre des écrits dont fait l’objet la formation à travers plusieurs décennies.

Il dit : «Précurseurs d’une véritable école musicale, artisans d’un renouveau artistiques, Nass El Ghiwane ont réquisitionné le patrimoine pour faire entendre la voix des déclassés, des ‘sans-dents’, des petites gens, contre l’inertie des ronds-de-cuir, contre la mauvaise gouvernance et le mépris social (…) Leurs thèmes exprimés comme dans une sorte de délire mantique, une transe jubilatoire (el hal), un rêve prémonitoire… sonnent tel un signal d’alarme, une exhortation à réinvestir la mémoire, une injonction de s’impliquer dans le champs social, à valoriser le patrimoine (…) Leur intérêt manifesté pour la darija, l’arabe dialectal marocain, langue véhiculaire d’un ensemble d’adages, de dictons populaires, d’une tradition orale et, de ce fait, d’une posture d’esprit est une flèche décochée à l’endroit de tous ceux qui se sont laissés bercer par l’idée que la tradition est passéiste, odieuse, rétrograde, de vieux souvenirs de famille devenus encombrants, des oripeaux relégués dans une cave poussiéreuse tant ils sont assimilés à un âge révolu.»

Voilà qui honore, en conclusion, des centaines d’heures consacrées à l’élaboration de ce non-roman, de cette publication finalement bienvenue. Nass El Ghiwane, une association de bienfaiteurs qui voit défiler le long de son existence des noms déterminants, entre constructeurs de la locomotive et ceux qui prennent le train en marche: Mahmoud Saâdi, Abdelaziz Tahiri, Boujemaâ H’gour, Larbi Batma, Omar Sayed, Abderrahmane Kirrouche, Allal Yaâla, Redouane Arif, Abdelkrim Chifa, Rachid et Hamid Batma. En dénonçant pour ensuite appeler à l’apaisement, Nass El Ghiwane réussissent à nourrir sans jamais désenchanter l’affection du public. Finalement, le livre de Réda Bahassou croque les vieux os de l’amour. Ce qui aide à revivre à petits feux.

Anis HAJJAM



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