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Narcotrafic : Place à la high-tech et aux gros moyens


Rédigé par Nizar DERDABI Mardi 26 Juillet 2022

Face au renforcement du dispositif de surveillance des services de sécurité marocains et espagnols au niveau du Détroit de Gibraltar, les cartels de drogue affrètent des drones sous-marins pour passer sous les radars.



Les scènes diffusées dernièrement sur les chaînes de télévision espagnoles mettant en scène la saisie de drones sous-marins utilisés par les narcotrafiquants espagnols sont dignes des blockbusters américains. Un fait-divers judiciaire qui ressemble étrangement à une fusion entre l’univers de la série Narcos et le monde imaginaire du plus illustre agent secret de la couronne britannique, le flegmatique et non moins fascinant James Bond. Jamais de mémoire d’enquêteur, une saisie de moyens utilisés par les criminels n’avait autant intrigué et surpris par son caractère innovant et sensationnel.

L’attrait des mafias pour les nouvelles technologies n’a jamais été aussi fort que durant cette période de crise sanitaire à rallonge qui n’a pas épargné les chaînes d’approvisionnement des réseaux criminels, impactées avec la même intensité que celles des marchandises commerciales légales (voir encadré : Géopolitique de la drogue). Néanmoins, cette saisie inédite interpelle les services de sécurité de par le monde sur le défi technologique imposé par les nouvelles stratégies innovantes des narcotrafiquants, qui mettent de manière méthodique le produit de leurs gains astronomiques au service du développement de leur trafic.

De l’ère des aéronefs et des go-fast à celle des drones et des sous-marins

C’est véritablement à une course technologique infernale que se livrent actuellement les cartels de drogue et les services de police et de gendarmerie des deux côtés de la Méditerranée. En effet, les principaux vecteurs de transport de la drogue dans le Détroit de Gibraltar se sont longtemps limités aux petits aéronefs et aux go-fast, petites embarcations nautiques propulsées par de puissants moteurs qui parviennent à dépasser la vitesse des vedettes des garde-côtes.

C’est ce que nous révèle José Manuel Caamaño, expert des réseaux de trafic de drogue et ancien commissaire de la Police espagnole Attaché au Consulat de Tanger de 1990 à 2000 : « Jusqu’au début des années 1990, les moyens habituels étaient les bateaux et les voitures ou camions à double fond, mais dans les années 1990, les moyens aériens, avions légers et hélicoptères, ont commencé à être utilisés de manière plus intensive ».

Mais pour apporter une parade aux moyens aériens et maritimes utilisés par les passeurs, les services de sécurité marocains et espagnols ont mis en place un dispositif humain, matériel et électronique très efficace pour repérer et contrôler ces bateaux et aéronefs suspects. Tout cet arsenal est constitué de radars et systèmes électroniques de surveillance et d’alerte, ainsi que de patrouilles maritimes d’intervention n’ayant qu’un seul objectif : déceler toute intrusion par voie aérienne ou maritime afin de déployer, rapidement, les équipes d’intervention pour intercepter les passeurs et saisir la drogue transportée.

Ce dispositif de sécurité a fortement perturbé le trafic des cartels et entravé les modes d’action utilisés traditionnellement. Ce qui a poussé les narcotrafiquants à s’adapter et innover en cherchant de nouvelles techniques, mais surtout en utilisant de nouveaux vecteurs de transport. C’était d’ailleurs une évolution prévisible car, selon José Manuel Caamaño, « l’utilisation de navires sous-marins ou semi-submersibles est sur les lèvres des observateurs depuis des années, mais on sait que cela s’est exceptionnellement produit le long des côtes américaines et aucune saisie n’a été effectuée, bien que certains sous-marins de fabrication artisanale aient été saisis sur des fleuves colombiens ».

Et sans surprise, un semi-submersible en provenance d’Amérique du Sud transportant trois tonnes de cocaïne avait, quelque temps après, été intercepté par les services espagnols en novembre 2019, confirmant les craintes des autorités espagnoles sur l’utilisation de la voie sous-marine par les narcotrafiquants. Les techniques et stratagèmes les plus insolites ont été imaginés par les mafias pour développer leur trafic. Longtemps, l’élément humain a été le vecteur essentiel pour transporter la drogue, à travers l’utilisation de « mules ».

D’ailleurs, la célèbre actrice américaine Cameron Diaz vient de faire une révélation surprenante en déclarant avoir été utilisée comme « mule » à son insu, pour transporter de la drogue dans une mallette entre le Maroc et la France dans les années 90.

Les réseaux criminels font actuellement le pari de la technologie afin de passer sous les radars des services sécuritaires en essayant d’investir la dimension sous-marine. Ainsi, l’opération menée par la police espagnole le 04 juillet 2022 a défrayé la chronique et mis à jour l’activité d’un cartel de drogue qui avait planifié d’utiliser des drones sous-marins pour son trafic (voir encadré : Enquête criminelle).

La lutte entre le glaive et le bouclier

C’est l’éternelle histoire du glaive et du bouclier qui se répète inlassablement. Lorsque les services de police et les garde-côtes parviennent à « renforcer leur bouclier de défense » à l’aide de moyens technologiques et humains pour parer aux tentatives d’intrusion des cartels, les Narcos développent des technologies pour « affûter leur glaive » afin de transpercer le dispositif de défense et de sécurité mis en place par les services de sécurité. C’est le concept même de la stratégie militaire qui consiste à agir contre les actions offensives par des contre-mesures que l’on retrouve dans cette lutte entre narcotrafiquants et policiers.

Ainsi, alors que les radars de surveillance ont pu mettre un terme au trafic des aéronefs et des hélicoptères utilisés par les narcotrafiquants, les drones sont venus changer la donne. L’expert espagnol de narcotrafic nous explique l’avantage tiré par l’usage de drones dans ce type d’opérations : « Un technicien peut préparer des drones aériens sophistiqués capables de transporter des quantités qui, si elles ne sont pas importantes à l’échelle individuelle, le sont dans le cadre d’un trafic dit « de fourmis », et si chaque drone peut transporter entre 5 et 20 kilos de drogue, le business consiste à faire le maximum d’allers-retours ».

Ainsi, ce trafic permet, d’après lui, de transporter à l’aide de ces petits drones, difficilement repérables, plusieurs tonnes de drogue par mois sans le moindre risque. Combien de temps ce trafic a perduré dans l’ignorance totale des services spécialisés dans la lutte antidrogue ? Il est difficile de le savoir. Toujours est-il que les services de sécurité auront besoin d’un certain temps d’adaptation pour contrer cette nouvelle menace. Ce qui fait dire à José Manuel Caamaño que : « Les Narcos, comme on peut le voir, sont toujours en avance dans le jeu ».



Nizar DERDABI

L'info...Graphie


Géopolitique de la drogue


Impact de la crise sanitaire mondiale sur le trafic
 
Le trafic de drogue qui a connu un essor considérable ces dernières années, grâce à la libéralisation du commerce mondial, a subi un dérèglement et des perturbations suite à la conjoncture liée à la pandémie de la Covid-19, à l’image de tous les autres secteurs de l’économie internationale.

En effet, les mesures de sécurité et de restrictions liées à la crise sanitaire ont largement impacté les réseaux de trafic de drogue dans un premier temps. Mais, globalement, les réseaux criminels se sont adaptés et ont opté pour des voies de détournement pour assurer une continuité dans la production et l’exportation de stupéfiants. C’est le constat qu’établit David Weinberger, Directeur de l’Observatoire des Criminalités Internationales de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques, qui déclare que : « Concernant les routes, une diminution importante des flux terrestres du trafic de drogue a été observée. Un report s’est effectué sur les flux routiers liés aux activités logistiques ».

Par ailleurs, la crise sanitaire a également poussé les cartels de drogue à opérer un report du trafic aérien vers le trafic maritime, et un reversement du trafic à bord de vols commerciaux vers celui de l’aviation privée, qui passe souvent inaperçu pour les services de police et de douane.
 

Enquête criminelle


Révélations sur l’enquête de la police espagnole sur les drones sous-marins
 
Quels sont les indices qui ont permis à la police espagnole de remonter la piste du réseau de trafic de drogue des drones sous-marins, démantelé le 04 juillet ? Selon José Manuel Caamaño, expert des réseaux de narcotrafic dans la zone du Détroit de Gibraltar et ancien commissaire de la Police espagnole, cette opération a été initiée suite à des enquêtes sur des personnes de diverses nationalités, soupçonnées de trafic de drogue. La surveillance de la police a permis de repérer un atelier où les véhicules destinés à transporter la drogue étaient spécialement aménagés et préparés.

L’intervention de la police a permis la découverte dans cet atelier de drones aériens et de trois drones sous-marins.

D’après José Manuel Caamaño, « parmi les trois drones submersibles, un était presque terminé et sur le point d’être livré à des narcotrafiquants français et deux autres étaient encore en préparation, sans savoir à qui ils étaient destinés ». Il ajoute que ce réseau criminel n’était pas directement impliqué dans le trafic de drogue, mais qu’il se spécialisait dans la confection de moyens de transport terrestres, aériens et sous-marins au profit de différents cartels.

Donc, d’après l’enquête en cours, tous ces nouveaux moyens de transport de drogue sous-marins n’ont pas encore été utilisés pour le trafic de drogue.

Questionné sur quelle drogue devait être transportée à bord de ces drones submersibles, José Manuel Caamaño nous apporte une piste : « Etant donné qu’ils ne peuvent transporter que 150 à 200 kilos de drogue, seraient-ils rentables pour le trafic de haschisch ou seraient-ils plutôt destinés au trafic d’autres types de drogue comme la cocaïne ? ». Au vu du coût important nécessaire à l’acquisition de tels moyens, il semblerait que ce soit probablement pour du trafic de cocaïne.

 

3 questions à Hassan Saoudi


Les nouveaux défis imposés par les narcotrafiquants aux services de sécurité
 
Ancien Colonel de la Gendarmerie Royale, expert des questions sécuritaires et Directeur du cabinet de conseil Securi-Consulting, Hassan Saoudi répond à nos trois questions.

- La police espagnole vient de démanteler pour la première fois un réseau de trafic de drogue qui utilise des drones sous-marins. Pourquoi les réseaux criminels ont-ils recours à de nouvelles stratégies ?

- En effet, cette nouvelle découverte en Espagne vient confirmer l’ingéniosité et l’inventivité de la société criminelle au trafic de drogues dures, compte tenu de la quantité transportable en l’espèce et des ressources humaines et technologiques de pointe de nature à permettre de tromper la vigilance des institutions policières dédiées. Il est admis généralement que cette criminalité a toujours une étape d’avance quant aux modes opératoires et aux moyens employés, et le mérite serait de les identifier rapidement pour assurer une parade efficace. Une partie des avoirs des criminels est réservée à la recherche de l’innovation tirée des expériences, et ce cycle action-lutte.


- Selon vous, comment les services de sécurité peuvent-ils lutter contre les cartels de drogues qui ont recours aux derniers moyens technologiques ?

- Cette criminalité transnationale organisée ne pourrait être efficace que si nous identifions la chaîne criminelle en amont sur les lieux de la culture, les itinéraires de passage et les lieux de destination que sont généralement les pays riches dont le pouvoir d’achat des citoyens est élevé. Dans ces cas, une coopération internationale (échange d’informations, d’expertises, identification des réseaux…) resterait une condition essentielle pour cerner le problème dans son ensemble.

Aussi, les têtes des filières qui passent généralement en dessous des radars ne facilitent pas la tâche des services en raison de l’opacité qui les entoure. Par ailleurs, les retours d’expériences accumulées dans chaque opération de démantèlement seraient de nature à permettre de réaliser des analyses prédictives et anticipatives en amont du phénomène.


- Quel impact a eu la crise sanitaire sur le trafic de drogue et de produits illicites dans le monde et comment voyez-vous l’évolution du trafic dans les années à venir ?

- Les crises, quelle que soit leur nature, ont toujours été des opportunités pour la société criminelle qui a profité de la pandémie, de l’implication des services de sécurité dans la lutte contre la Covid-19, pour accélérer les fréquences du trafic renchéries par cette crise. Il faut signaler tout de même qu’en cette période, les services, notamment marocains, ont réussi grâce au renseignement humain et technologique à opérer des saisies et des démantèlements conséquents.



Recueillis par N. D.

 








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