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Moudawana : Quelle réforme pour assurer la justice familiale ?


Rédigé par Anass MACHLOUKH Lundi 15 Août 2022

Après la réforme de 2004, la Moudawana n’est plus en mesure de répondre aux exigences de l’évolution de la société. Mariage des mineurs, tutelle des enfants, rapports homme-femme, voici les zones d’ombre d’une loi considérée jadis comme révolutionnaire. Détails.



Depuis des mois, la Moudawana suscite les débats et les appels à la révision de la loi sont de plus en plus nombreux. Le discours royal du Trône a appelé à une réforme du Code de la Famille qui « ne suffit plus en tant que tel ». Pour cause, une mauvaise interprétation du texte de la Moudawana, comme l’a souligné le Souverain. « Le Code de la Famille a représenté un véritable bond en avant ; désormais, il ne suffit plus en tant que tel. L’expérience a en effet mis en évidence certains obstacles qui empêchent de parfaire la réforme initiée et d’atteindre les objectifs escomptés », a indiqué le Souverain, qui a déploré « l’application incorrecte du Code en raison de divers facteurs sociologiques ».

En effet, si la Moudawana n’a pas été scrupuleusement appliquée, c’est à cause de plusieurs mauvaises pratiques qui règnent au sein des administrations, et même des tribunaux. Donc, la réforme appelée par le Souverain est d’’autant plus nécessaire, aux yeux de Nouzha Skalli, ex-ministre de la Famille dans le gouvernement d’Abbas El Fassi, que certaines dispositions de la Mouadawana continuent d’être contournées faisant place à des pratiques interdites par la loi elle-même. L’ex-ministre cite le cas du mariage des mineurs et de la polygamie, deux pratiques censées être combattues et limitées au maximum, du fait des problèmes sociaux qu’elles génèrent, sans oublier les polémiques qu’elles suscitent.

Vers l’interdiction définitive du mariage des mineures ?

Concernant le mariage des filles de moins de 18 ans, la pratique a montré que ce phénomène a pris des proportions tellement inquiétantes, qu’il faudrait engager une révision de la loi, illico presto. Le Rapport de la Présidence du Ministère public a fait état d’une hausse des demandes d’autorisation de mariage de mineurs, qui ont atteint 27.623 demandes en 2019. Pour le gouvernement, les choses sont claires. Il faut en finir avec ce problème, comme l’a revendiqué le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi, lors d’une journée d’étude organisée par la Chambre des Conseillers le 26 mai 2022. Mais, pour ce faire, il faut réviser en profondeur la loi qui laisse à la discrétion du juge « la faculté de réduire cet âge dans les cas justifiés ».

Ce pouvoir discrétionnaire est donc remis en cause, puisqu’il permet au juge de la famille d’autoriser le mariage d’une jeune âgée de 16 ans à 18 ans, selon les cas qui lui sont présentés. La fin de l’exception de 16 ans n’est pas l’unique solution pour mettre fin au mariage des mineures. Nouzha Skalli évoque les problèmes que pose le délai maximal d’acter le mariage, fixé à 5 ans par la loi. Un délai qui sert souvent de subterfuge pour contourner la loi et perpétuer la tradition du mariage d’« Al Fatiha ».

« Il faut commencer par l’article 16 qui fixe à cinq ans la période transitoire pour la régulation de l’acte de mariage qui est souvent exploitée pour contourner la loi et procéder à des mariages d’enfants, sans autorisation du juge », explique Skalli, ajoutant qu’ils sont nombreux à se prévaloir du délai de 5 ans pour se marier avec une fille mineure sans l’autorisation du juge ou pour la  polygamie sans se soumettre aux dispositions du Code de la Famille.

Pour lutter contre ces pratiques, l’ex-ministre plaide pour des sanctions et punir toute personne qui contourne la loi. « Cette question est d’autant plus sensible qu’il faut garder en tête que le mariage des mineures n’est pas qu’une question d’amour entre les jeunes, mais elle concerne des filles mariées à des hommes quadragénaires ou quinquagénaires déjà mariés qui les épousent en les considérant hélas comme un jouet qu’ils exploitent à leur guise », a-t-elle argué.

Pour leur part, les adouls ne semblent pas être opposés à l’interdiction pure et simple du mariage des mineures, mais rappellent que certains cas son tellement complexes, de par la situation sociale, qu’il faut bien examiner chaque cas dans toutes ses spécificités.

Polygamie : vers plus de restrictions ?

En plus du mariage des mineurs, il existe d’autres « tracasseries » auxquelles il faut trouver des solutions, aux yeux des associations qui plaident pour la réforme. En tête des revendications, la polygamie, dont les dispositions de la loi y afférente ne sont pas strictement respectées. Selon Nouzha Skalli, la pratique judiciaire a montré que quelques juges ne sont pas très exigeants vis-à-vis des hommes qui prétendent à un second mariage. La loi, rappelons-le, interdit la polygamie lorsqu’elle est jugée injuste envers les épouses et empêche le tribunal de l’autoriser dans certains cas bien définis dans l’article 41.

En effet, la polygamie est proscrite lorsque sa justification objective et son caractère exceptionnel n’ont pas été établis. C’est là où résident les problèmes, selon Nouzha Skalli, qui estime que les juges ne sont pas assez sourcilleux sur ce point et se contentent, estime-t-elle, de s’assurer que l’époux a assez de moyens financiers pour subvenir aux besoins de sa seconde épouse.

L’article 41 n'autorise pas le mariage polygame « lorsque le demandeur ne dispose pas de ressources suffisantes pour pourvoir aux besoins des deux foyers et leur assurer équitablement l’entretien, le logement et les autres exigences de la vie ». En effet, restreindre le droit à la polygamie fut l’un des acquis de la réforme de 2004, mais le supprimer complètement, comme le revendiquent quelques associations, serait difficilement imaginable du moment qu’il est permis par la Charia. SM le Roi a été clair dans son discours lorsqu’il a évoqué la réforme de la Moudawana de façon générale.

« En qualité d’Amir Al-Mouminine, et comme Je l’ai affirmé en 2003 dans le Discours de présentation du Code devant le parlement, Je ne peux autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé, en particulier sur les points encadrés par des textes coraniques formels », a affirmé le Souverain. Ceci dit, la réforme est supposée être élaborée dans un esprit de conciliation entre la tradition musulmane et les exigences de la modernité. Une ligne directive qui s’applique également sur les questions sensibles (voir les repères).



Anass MACHLOUKH

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Moudawana : Quelle réforme pour assurer la justice familiale ?

Enfants illégitimes


L’épineuse question de la filiation paternelle !
 
Il va sans dire que les relations hors mariage, lorsqu’elles aboutissent à des enfants, posent plusieurs défis sociaux liés au statut de ces derniers et au rapport entre les deux conjoints. Un tribunal à Tanger avait défrayé la chronique en 2017 lorsqu’il a reconnu la filiation paternelle à un enfant né hors mariage, autrement appelé « enfant illégitime ».

Or, cette décision n’a pas été entérinée par la Cour de Cassation, qui a estimé que l’enfant né en dehors des liens de mariage n’est aucunement lié, aux yeux de la loi, à son géniteur. La question de la reconnaissance des enfants illégitimes s’impose donc dans le débat. Pour Nouzha Skalli, il faut obliger les hommes à reconnaître leurs enfants même s’ils sont le fruit d’une relation hors mariage. Il faut, selon notre interlocutrice, « responsabiliser les hommes qui se soustraient à leur responsabilité ». (Voir les trois questions).
 

Divorce et garde des enfants


Des cas d’une extrême complexité
 
Au- delà des questions relatives au mariage, le débat met sur la table d’autres questions épineuses telles que le divorce, sachant que la jurisprudence contient des décisions parfois surprenantes et inédites. « L’affaire de Safi » reste toujours gravée dans la mémoire judiciaire.

Le Tribunal, rappelons-le, avait jugé irrecevable la demande de divorce initiée par le mari, dont l’épouse étais enceinte. Le juge avait refusé d’enclencher la procédure sous prétexte de l’intérêt du « foetus » qui prime, selon lui, sur toute autre considération. En effet, ce cas précis nécessite une réflexion profonde. Est-ce qu’il faut permettre au mari d’abandonner sa femme en pleine gestation ? La question est posée et quelques juges ont tranché par leurs décisions. Nombreux sont ceux qui préfèrent attendre l’accouchement et l’arrivée du nouveau-né pour se prononcer sur une affaire de divorce. L’argument de l’intérêt des enfants est souvent avancé pour appuyer certaines revendications liées à la garde des enfants.

Selon plusieurs associations, la garde des enfants est censée être plus égalitaire en cas de divorce. Pourquoi ? La loi prévoit en cas de divorce l’autorisation des pères pour que les enfants puissent voyager, notamment à l’étranger.

Revenons au divorce, la loi est d’ores et déjà stricte en ce qui concerne le divorce judiciaire. Selon l’article 90, toute demande initiée par le conjoint est jugée irrecevable, lorsqu’elle est faite sous la contrainte ou sous le coup d’une colère lui faisant perdre le contrôle de soi. La femme, quant à elle, est habilitée à demander le divorce dans les cas suivants : le manquement de l’époux à l’une des conditions stipulées dans l’acte de mariage ; le préjudice subi ; le défaut d’entretien ; l’absence du conjoint ; le vice rédhibitoire chez le conjoint ; le serment de continence ou le délaissement. Toutefois, la loi ne se prononce pas sur le viol conjugal.
 

3 questions à Nouzha Skalli


«Nous avons besoin d’une réforme en harmonie avec l’esprit de la Constitution de 2011»
 
Nouzha Skalli, ex-ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité, a répondu à nos questions sur la réforme de la Moudawana.

- La Moudawana fait désormais objet d’un débat national. Quelle est votre lecture dudit texte ?

- La réforme de 2004, impulsée par SM le Roi suite aux combats du mouvement féminin, a constitué un changement majeur dans l’Histoire de notre pays en faveur des droits des femmes. J’en cite l’âge du mariage fixé à 18 ans et l’interdiction du mariage des enfants, l’accès des femmes au divorce, la disposition du domicile conjugal après le divorce pour la mère ayant la garde des enfants. La pratique a révélé, hélas, que de sérieuses injustices persistent.

Dans certains cas, ce sont les lois elles-mêmes qui sont lacunaires, d’autres fois, c’est l’application de certaines dispositions des textes qui fait défaut. Aujourd’hui, nous avons besoin d’une réforme profonde de la Moudawana qui serait en harmonie avec l’esprit de la Constitution de 2011 et avec les engagements internationaux du Maroc.


- Quels sont les aspects à améliorer ?

- Les actions à entreprendre sont multiples. Par exemple, il faut revoir l’article 16 qui fixe à cinq ans la période transitoire pour la régulation de l’acte de mariage. Ils sont nombreux à se prévaloir du délai de 5 ans pour se marier avec une fille mineure sans l’autorisation du juge ou pour la polygamie sans se soumettre aux dispositions du Code de la Famille. C’est une façon de perpétuer le mariage d’ «Al Fatiha». La nouvelle réforme devrait donc introduire des sanctions pour punir toute tentative de contournement de la loi. Concernant le mariage des mineurs, il faudrait l’interdire complètement, en décrétant des sanctions contre les contrevenants.


- Quid du cadre du mariage ?

- C’est aussi un sujet qui suscite la polémique. Par exemple, en cas de divorce, si la femme se remarie, elle perd systématiquement la garde de ses enfants, ce qui n’est pas logique. De jeunes divorcées renoncent au remariage pour ne pas perdre la garde de leurs enfants. Il y a aussi la question des mères célibataires et la reconnaissance des enfants nés hors mariage, sachant qu’une grande partie de femmes se retrouvent abandonnées après avoir eu des promesses de mariage. Il faut donc une réflexion profonde sur ces éléments pour créer une société plus égalitaire et plus juste.


Recueillis par A. M.








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