Une carrière jalonnée de chefs-d’œuvre et de tubes, une aura de maître incontesté, des choix osés et payants, un flegme que seuls les grands savent entretenir. Les genres ? Il les collectionne comme peu de créateurs de sa stature s’aventurent à le faire. Le « maestro », comme le surnomme Hassan II, s’entoure de jeunes qu’il forme, loue les services d’artistes qu’il respecte, nage dans des eaux pas forcément claires pour quelques contemporains. Mais Mohammed Ben Abdeslam sait toucher là où ça fait réfléchir, là où ça fait frémir. Compositeur prolifique, il crée sans compter, distribue les chansons privilégiant le sur-mesure et explose les compteurs d’écoute à chacune de ses sorties. Entre envolées légères, d’autres plus imposantes, opérettes et duos, il excelle dans la diversité, invoquant l’éclat marocain en guide suprême. Pour mémoire et pas seulement, traversons un champ mélodieux, parsemé d’émotions enivrantes.
Si les oreilles avaient des papilles, il serait question d’un breuvage délicat, complexe et sophistiqué : « Ya Lmasrara » (Maâti Belkacem), « Aâtchana » (Bahija Idriss), « Ya Lghadi Ftomobile » (Abdelwahab Doukkali), « Sannara » (Abdelhadi Belkhayat), « Ya Zahra Jibi Siniya (Mohammed Idrissi), « Ach Dak Temchi Lezine » (Hamid Zahir), « Sawelt Aâlik L’oud We Nay » (Ismaïl Ahmed), « Allah Aâliha Ziara » (Ghita Ben Abdeslam), « El Bahara » (Naïma Samih), « Ichi Ya Bladi » (Mahmoud El Idrissi), « Ana Man Ana » (Oulayya Tounsia), « Allah Aâliha Kssara » (Mohammed Ali), « Aândi Bedouiya » (Driss Ouakouahou)… Et bien entendu, des dizaines et des dizaines d’autres pépites. Cela n’émane pas du néant. Mohammed Ben Abdeslam déroule dans sa longue carrière une enfance, une adolescence, un riche apprentissage, une forte détermination.
Si les oreilles avaient des papilles, il serait question d’un breuvage délicat, complexe et sophistiqué : « Ya Lmasrara » (Maâti Belkacem), « Aâtchana » (Bahija Idriss), « Ya Lghadi Ftomobile » (Abdelwahab Doukkali), « Sannara » (Abdelhadi Belkhayat), « Ya Zahra Jibi Siniya (Mohammed Idrissi), « Ach Dak Temchi Lezine » (Hamid Zahir), « Sawelt Aâlik L’oud We Nay » (Ismaïl Ahmed), « Allah Aâliha Ziara » (Ghita Ben Abdeslam), « El Bahara » (Naïma Samih), « Ichi Ya Bladi » (Mahmoud El Idrissi), « Ana Man Ana » (Oulayya Tounsia), « Allah Aâliha Kssara » (Mohammed Ali), « Aândi Bedouiya » (Driss Ouakouahou)… Et bien entendu, des dizaines et des dizaines d’autres pépites. Cela n’émane pas du néant. Mohammed Ben Abdeslam déroule dans sa longue carrière une enfance, une adolescence, un riche apprentissage, une forte détermination.
Ahmed El Bidaoui et la censure
Né en 1928 dans une famille slaouie plus conservatrice que nature, le petit Mohammed est confronté à la dure éducation d’un père qui ne conçoit de lecture à la maison que celle du Coran. Pis : pour le paternel, chanter ou triturer un instrument de musique même en format jouet, cela relève du blasphème. Le jeune Ben Abdeslam subit avec infinie incompréhension une décision unilatérale brimant ses rêves. Lui, souhaite baigner dans l’art, dans la musique. Adolescent, il opte pour une solution périlleuse : la fugue. Le voilà à Casablanca après une recherche qui lui indique le chemin d’un conservatoire-orchestre, Al Maytam.
C’est ici qu’il se frotte à la première grande école réunissant de futurs déterminants noms de la chanson marocaine moderne teintée de Malhoune et de musique andalouse, pas encore « débarrassée » de la pesante influence égyptienne : Salah Cherki, Amr Tantaoui, Mohammed Karam… Mohammed Ben Abdeslam devient rapidement un luthiste émérite, officiant au sein de Jouk Al Maytam que Mohammed V convie régulièrement pour animer de longues et lentes soirées organisées aux palais royaux du pays. Hassan II prend la relève, s’amusant des opérettes conçues par l’artiste, s’émerveillant à la découverte de créations patriotiques à l’image de l’inénarrable « Chofna Sortek Fel Kamar » exécutée par Mahmoud El Idrissi. Après un passage par le réputé ensemble El Baroudi, Ben Abdeslam monte son propre groupe, Al Ittihad Assalawi, en y intégrant Tahar Rabouli, Maâti Belkacem ou encore Mohammed Idrissi.
Cette formation séduit le leader istiqlalien Allal El Fassi qui demande à Ben Abdeslam de mettre en musique deux de ses textes : « Ana Lmaghrib Ana Lwatane Rouhi Fidak » et « Mine Jibalina Talaâ Sawt Al Abtal ». Nous sommes au milieu des années 1940 et le jeune compositeur réfléchit sérieusement à son devenir. Il a alors l’opportunité d’offrir à Taher Rabouli, sur un texte libanais, « Chouf El Alb Illi Aândak ». Au début de la décennie suivante naissent d’autres orchestres : Jouk Attakadoum de Brahim El Alami et Maâti El Bidaoui à Casablanca, Amal Takkedoum de Abdenebi Jirari et Abdelkader Rachidi à Rabat.
Cet éveil artistico-patriotique inquiète les autorités françaises « protectrices » qui finissent par prendre la décision de créer un seul et unique orchestre national au sein de Radio Maroc. Ben Abdeslam en fait partie parmi d’autres virtuoses de la composition et de l’écriture. Et puis voilà : un comité nommé « Lajnate Al Kalimate » (« Jury des paroles ») est mis en place sous l’œil (très) vigilant de son président Ahmed Al Bidaoui, une plateforme de censure qui ne prononce pas son nom. Là, il faut jongler. Dans cette ambiance de suspicion, Mohammed Ben Abdeslam commence par composer des instrumentaux à succès avant de trouver une parade : proposer des textes évoquant l’amour, la séparation et l’éloignement sur des mélodies évoquant les mêmes thèmes. Al Bidaoui est alors floué. L’auteur-compositeur évoque Mohammed V en exil, par endroits son retour : « Ya Habibi Ya Baîd Aân Aâini », « Ya Lkhatef Aâkli », « Rjaâli W Kan Msafer » entres autres, interprétées par Bahija Idriss… Et puis, l’Indépendance pointe du nez.
Perles entre voix et plumes
Mohammed Ben Abdeslam respire mieux, expire une période d’étouffement, se projette dans un espace qui s’ouvre devant lui tel un jardin jonché d’amour et d’humanité. L’artiste intégré à la RTM en tant que musicien n’est pas moins compositeur à la production frénétique. Entre voix et plumes, il ne s’associe qu’aux perles. Comme auteur-compositeur et par moments chanteur, cette lumière qui continue d’éclairer nos souvenirs se lie d’amitiés professionnelles et amicales avec des paroliers du poids de Malou Rouane, Ali Haddani, Tahar Sabbata, Ahmed Taïeb El Alj, Abdallah Chekroun, Hamadi Tounsi, Fathellah Lemghari, Mehdi Zrioueh, Abdelkrim Demnati, Mohamed Tanjaoui, Omar Telbani, Nizar Kabani… Quant à ceux entonnant ses belles et généreuses créations, ils se comptent par paquets : Bahija et Amina Idriss, Mohammed Idrissi, Mahmoud El Idrissi, Hayat El Idrissi, Abdelwahab Doukkali, Ismaïl Ahmed, Abdelhadi Belkhayat, Naïma Samih, Latifa Jawhari, Mohammed El Kadmiri, Les Frères Mégri, Abdelmounaïm Jamaï, Ismaïl Ahmed, Hani Chakir… La liste est grandement non exhaustive pour un grand cœur qui manque de rendre l’âme dans les années 1990 lors d’un délicat accident de la route dont il sort sans trop de dégâts. Il se fait discret depuis, en continuant à donner libre court à des créations qui tardent de voir le jour. Reviens-nous vite cher irremplaçable.
Récit : Le linge propre se hume en famille
Dans un ouvrage sur l’artiste paru en 2014 aux éditions Marsam, plusieurs textes non signés rendent hommage au maestro. En voici un extrait relatant ses relations avec quelques membres de sa famille qu’il transforme en chanteurs et musiciens : « Il a commencé par intégrer son jeune ami et futur beau-frère Mohammed Idrissi à son orchestre Al Jouk Assalawi en tant que percussionniste puis en tant que luthiste, pour ensuite le former au chant et révéler son côté espiègle et comédien pas très courant chez les chanteurs de l’époque. Ce n’est également un secret pour personne qu’il a été l’instigateur de la célébrité de sa belle-sœur Bahija Idriss et celle d’Amina Idriss. Il leur a enseigné l’art de l’interprétation et a su mettre en valeur leurs qualités artistitiques (…) N’oublions pas que les deux sœurs ont été parmi les premières voix féminines à une époque où l’image de la femme artiste n’avait pas la considération qu’on lui connaît de nos jours. Enfin, il a créé pour sa fille Ghita Ben Abdeslam les plus belles chansons.
Il lui a appris les règles et les techniques de la musique marocaine. Il lui a inculqué aussi le sens combatif et l’esprit créatif qui lui permet aujourd’hui de rebondir et de réaliser elle aussi de belles compositions. Il a veillé également sur son fils Mohammed Ben Abdeslam Junior jusqu’à ce qu’il atteigne une place honorable parmi les jeunes compositeurs. Il a insufflé l’amour du chant et de la musique à son fils Rachid Ben Abdeslam, le chanteur d’opéra de renommée internationale. Il a aussi transmis l’art de manier l’instrument de musique à son fils Rajab Ben Abdeslam, violoncelliste, contrebassiste et professeur de musique.
Enfin, Mohammed Ben Abdeslam est fier d’avoir donné le goût et la passion de la musique à ses petits-enfants qui sont en train de faire de la musique leur métier. Chacun de ces artistes a su s’inventer un style. Mais leur point commun est d’avoir grandi dans un contexte foisonnant de mélodies et de rythmes, de s’être imprégnés du génie de leur pionnier Mohammed Ben Abdeslam. Ils admirent en lui une renommée laborieusement acquise, grâce à des efforts sans relâche et à une volonté de fer (…) Il est à préciser que les réalisations de Mohammed Ben Abdeslam n’auraient pu être pleinement réussies sans l’appui inconditionnel et permanent de son épouse qui, en plus de l’éducation de ses onze enfants, a géré en permanence ses rencontres, ses voyages et la conservation de ses œuvres artistiques. »
Il lui a appris les règles et les techniques de la musique marocaine. Il lui a inculqué aussi le sens combatif et l’esprit créatif qui lui permet aujourd’hui de rebondir et de réaliser elle aussi de belles compositions. Il a veillé également sur son fils Mohammed Ben Abdeslam Junior jusqu’à ce qu’il atteigne une place honorable parmi les jeunes compositeurs. Il a insufflé l’amour du chant et de la musique à son fils Rachid Ben Abdeslam, le chanteur d’opéra de renommée internationale. Il a aussi transmis l’art de manier l’instrument de musique à son fils Rajab Ben Abdeslam, violoncelliste, contrebassiste et professeur de musique.
Enfin, Mohammed Ben Abdeslam est fier d’avoir donné le goût et la passion de la musique à ses petits-enfants qui sont en train de faire de la musique leur métier. Chacun de ces artistes a su s’inventer un style. Mais leur point commun est d’avoir grandi dans un contexte foisonnant de mélodies et de rythmes, de s’être imprégnés du génie de leur pionnier Mohammed Ben Abdeslam. Ils admirent en lui une renommée laborieusement acquise, grâce à des efforts sans relâche et à une volonté de fer (…) Il est à préciser que les réalisations de Mohammed Ben Abdeslam n’auraient pu être pleinement réussies sans l’appui inconditionnel et permanent de son épouse qui, en plus de l’éducation de ses onze enfants, a géré en permanence ses rencontres, ses voyages et la conservation de ses œuvres artistiques. »