C’est un nouveau rapport de Greenpeace qui vient jeter un caillou dans la marre de la pollution atmosphérique silencieuse africaine. Intitulé «Les principaux pollueurs de l’air en Afrique démasqués », le rapport - réalisé conjointement par Greenpeace MENA et Greenpeace Afrique - dévoile des données choquantes sur les plus grands pollueurs atmosphériques du continent et révèle que « les Africains sont confrontés à une crise de santé publique qui exige des mesures immédiates de la part des gouvernements ». Le lecteur peut ainsi apprendre à travers ce travail que sur les 10 principaux points chauds d’émission de SO2 en Afrique, deux se trouvent au Maroc. Dans les dizaines de jeux de cartes et d’infographies publiés par les auteurs du rapport, il est facile de recouper d’autres informations liées à la mortalité due à la pollution atmosphérique, et de vérifier ainsi les chiffres que la Banque Mondiale avait déjà publiés il y a quelques années, à savoir que dans notre pays plus de 8500 décès sont annuellement provoqués par la pollution atmosphérique.
« Enorme effort à faire »
Dans un de nos précédents numéros, le président de l’association Casa Environnement, Pr Saïd Sebti, nous expliquait que « dans la majorité des cas, les niveaux de pollution atmosphérique enregistrés au Maroc sont au-dessus des nouveaux seuils de pollution atmosphérique préconisés par l’OMS. C’est le cas notamment des agglomérations marocaines, dont Casablanca, où des unités industrielles sont implantées dans le périmètre de la ville ». Commentant le rythme actuel de mise en œuvre de transition environnementale au niveau national, notre interlocuteur, qui était précédemment professeur à la Faculté des sciences de Casablanca-Ben M’sik, souligne l’urgence d’accélérer les chantiers en cours, notant qu’il y a « un effort énorme à faire, notamment dans le domaine du transport urbain ». Dans un contexte où le Royaume se prépare à impulser son économie et son développement grâce à l’organisation de la Coupe du Monde 2030, la décarbonation du transport public devrait théoriquement être une priorité. Nos sources nous ont révélé l’exact contraire.
Investisseurs démissionnaires ?
« Pour la période 2024-2029, le ministère de l’Intérieur se prépare en ce moment même à passer une commande pour l’achat de 3709 bus dont 0.8% seulement sont électriques (30 véhicules) et dont l’utilisation est prévue dans plusieurs villes qui sont actuellement pressenties pour héberger des matchs de la Coupe du Monde », nous explique une source proche du dossier, ajoutant que « cette orientation a encouragé des groupes comme BYD à décider de quitter le Maroc pour investir ailleurs ». Plusieurs médias ont en effet annoncé durant ces dernières 24 heures que le constructeur chinois est en cours d’officialiser son désengagement concernant le projet d’implantation d’une usine de batteries électriques à Tanger Tech en raison de la « lenteur dans la transition des sociétés de transport public vers les bus électriques ». « La durée de vie d’un bus en urbain est d’au moins 10 années, ce qui condamnera le Maroc à exploiter des bus diesel jusqu’à 2040 alors que la fabrication de ce type de véhicules s’arrêtera à partir de 2030 et les pièces de rechange en 2035 », interpelle notre source.
Opportunité gâchée ?
Contacté par nos soins, M. Hassan Sentissi, président du Holding de Développement Durable (HDD) qui porte un projet de fabrication de bus électriques Made in Morocco, estime pour sa part qu’il est honteux de dépenser l’argent du contribuable en 2024 pour acheter des centaines de bus à gasoil. « Le récent rapport publié sur la pollution atmosphérique en Afrique est un énième rappel à l’ordre qui nous intime de considérer la mobilité durable comme un enjeu vital. Le décideur peut arguer que les bus thermiques sont moins chers ou sont produits localement, mais cet argument est fallacieux. Les bus électriques sont financièrement plus accessibles que jamais et notre pays a ce qu’il faut pour en produire localement pour ses besoins et pour ceux d’autres pays, notamment au niveau africain », poursuit le président du HDD. A ce stade, il est tout à fait légitime de s’interroger sur l’intérêt de continuer à commander des bus thermiques qui, en plus d’être polluants, sont plus coûteux à l’entretien et surtout qui consomment des hydrocarbures qui sont importés en devises. Affaire à suivre.
3 questions à Hassan Sentissi, président du HDD : « Nous pouvons répondre aux besoins nationaux comme nous pouvons répondre aux besoins continentaux en matière de solutions de mobilité électrique collective »
- Lors de précédents numéros, vous aviez expliqué l’avancement du projet de fabrication de bus électriques Made In Morocco. Vous en êtes où actuellement ?
Nous avons avancé de manière considérable dans la préparation de la plateforme technique et dans nos démarches avec les sociétés et experts internationaux qui assureront le transfert de technologie. Au niveau du financement, tout est couvert à 100%. Cela dit, un fabricant a toujours besoin d’un minimum de visibilité au niveau de son carnet de commandes pour produire. La chaîne de montage peut se lancer dès que notre société aura reçu une commande d’au moins 200 bus de la part du Gouvernement marocain.
- Pensez-vous que cette commande se fera dans le court ou moyen terme ?
C’est là où le bât blesse. Nos partenaires internationaux aussi bien que toute la plateforme technique sont bloqués à attendre une réponse qui tarde depuis des mois. Le ministère de l’Intérieur fait la sourde oreille sachant que nous avons pu négocier un différé de paiement de 24 mois, pour des prix à l’unité défiant toute concurrence et des solutions pour la recharge électrique déjà envisagées. Si le ministère de l’Intérieur passe une commande de milliers de nouveaux bus, qu’est-ce qui l’empêche d’opter pour 200 bus électriques fabriqués au Maroc pour les mettre à l’épreuve et vérifier sur le terrain que cette technologie marocaine pourra répondre aux attentes de mobilité que nous avons au niveau national ?
- Votre plateforme technique peut-elle répondre aux besoins nationaux qui se profilent à l’horizon 2030 ?
Nos ingénieurs ainsi que nos partenaires techniques et financiers sont partants pour relever le défi d’autant plus que ce qui aboutira bénéficiera aussi bien à la santé de nos concitoyens qu’aux engagements climatiques du Royaume. A cela, ajoutez l’emploi créé et les devises économisées. Nous pouvons répondre aux besoins nationaux comme nous pouvons répondre aux besoins continentaux en matière de solutions de mobilité électrique collective, pour peu que l’Etat marocain consente à miser sur notre vision. Autrement, et à l’image de ce que nous sommes en train d’observer en ce moment concernant d’autres constructeurs étrangers, c’est au final d’autres pays de la région qui rafleront le potentiel industriel de mobilité électrique collective que nos décideurs n’auront pas su soutenir et préserver.
Recueillis par O. A.
Marchés publics : Plébisciter le transport obsolète et bouder les solutions innovantes
Pour lutter contre la pollution atmosphérique, le secteur qui s’impose comme prioritaire est celui des transports. À lui seul, ce secteur totalise plus des 30% des gaz à effet de serre dont les dégâts en termes de pollution atmosphérique dévorent plus de 1% du PIB chaque année. Avec l’augmentation progressive des véhicules hybrides et électriques dans le parc national, la transition apparaît comme amorcée. C’est malheureusement sans compter avec les milliers de bus et minibus thermiques qui continuent à sillonner les routes du Royaume, à générer une pollution importante provenant de carburants fossiles qui ont été à 100% importés à coups de devise. Une situation qui aurait pu être évitée si au moins les entreprises chargées de la gestion déléguée du transport public avaient respecté le Dahir portant promulgation de la loi 54-05 dont l’article 3 stipule clairement qu’elles ont le devoir d’adapter leur service aux « évolutions technologiques » tout en assurant des prestations « dans les meilleures conditions de protection de l’environnement ».
Statistiques : Une décarbonation vitale qui s’impose à tous les niveaux
Dans son récent rapport, Greenpeace précise qu’en Afrique du Nord, les émissions identifiées ne montrent pas de tendances claires à long terme. Au Maroc, deux points chauds de SO2 ont connu une baisse en 2023. La centrale électrique de Safi a enregistré une baisse substantielle de 67%, et la centrale thermique de Jorf Lasfar (JLEC) a vu ses émissions de SO2 diminuer de 19% par rapport aux données de 2021. Toutefois, la centrale électrique au charbon de Mohammedia a enregistré une augmentation de 54% des émissions de SO2 au cours de la même période. Pour éviter le pire, le gouvernement a lancé le Plan National de l’Air (PNA) qui s’étend jusqu’en 2030, comprenant diverses mesures techniques, incitatives et légales, ainsi que des initiatives de sensibilisation et de communication. Dans ce sens, une taxe environnementale sur le plastique afin de promouvoir le recyclage et la valorisation des déchets plastiques. La révision du cadre juridique relatif à la gestion des déchets est également en cours par l’Exécutif, qui veut mettre l’accent sur la réduction de leur production à la source, la collecte sélective, le tri et la valorisation, ainsi que le principe de responsabilité élargie. Des mesures ont été prises pour accompagner les industriels dans leur transition vers une économie verte, dont le soutien de 96 projets visant à traiter les déchets liquides, gazeux et solides, avec une contribution de 240 millions de dirhams du Fonds de lutte Omar ASSIF contre la pollution industrielle.