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Minéraux stratégiques : Cobalt, cuivre, phos- phate ... les leviers d’une souveraineté industrielle


Rédigé par Yousra Rhardoud Lundi 3 Novembre 2025

Dans un policy paper publié par le Policy Center for the New South (PCNS), Sabrine Emrane et Oussama Tayebi appellent à une stratégie marocaine intégrée des minerais critiques. Riche en cobalt, cuivre et phosphate, le Royaume dispose d’atouts majeurs pour s’imposer dans la transition énergétique mondiale.



La course mondiale aux minerais critiques redessine les équilibres économiques et géopolitiques. De l’automobile électrique à l’hydrogène vert, ces ressources sont désormais au cœur des chaînes de valeur industrielles du XXIème siècle. Dans ce contexte, le Maroc se trouve à un tournant décisif : convertir la richesse de son sous-sol en moteur de souveraineté et de compétitivité.
 
Le policy paper n°40/25, intitulé « L’avenir se décide aujourd’hui : pour une stratégie marocaine des minerais critiques et stratégiques », signé par Sabrine Emrane et Oussama Tayebi, met en lumière les défis et les leviers pour bâtir une politique cohérente autour de ces ressources. Absence de stratégie dédiée, manque de coordination intersectorielle, dépendance aux exportations brutes, autant de faiblesses à corriger pour permettre au Royaume de s’imposer comme acteur africain et mondial de la transition énergétique.
 
Le secteur minier constitue l’un des piliers historiques du développement économique marocain. Il représente près de 19,3 % des exportations nationales, génère plus de 49.000 emplois directs et attire chaque année plus d’un milliard de dirhams d’investissements. Porté par des acteurs de référence comme OCP Group et Managem, le Maroc s’impose comme une plateforme incontournable à l’échelle africaine, tout en demeurant dépendant d’un modèle d’exportation de matières brutes.

La révision du cadre juridique minier et les ambitions affichées en matière de transition énergétique ouvrent cependant une nouvelle ère. Les besoins mondiaux en minerais critiques explosent – quadruplement attendu d’ici 2030 – alimentés par les industries des batteries, de l’hydrogène vert ou de la défense. Ce contexte favorable place le Royaume dans une position stratégique, à condition de consolider son appareil industriel et d’assurer une meilleure coordination entre les politiques minière, énergétique et industrielle.

Des ressources variées, un potentiel à structurer

Le Maroc dispose d’un sous-sol d’une grande richesse. Ses réserves de phosphate, estimées à 50 milliards de tonnes, représentent 70 % du total mondial. À Bou Azzer, le pays exploite l’unique mine de cobalt pur au monde, dont la production avoisine 2.500 tonnes par an. Les gisements de cuivre, de plomb, de zinc ou encore de nickel viennent compléter cette carte minérale stratégique.

Mais l’enjeu ne se limite pas à l’extraction. Le pays reste dépendant des importations pour plus de 17 minerais critiques sur 24 identifiés par le CESE. Cette dépendance structurelle rend indispensable la constitution de réserves stratégiques, le développement du recyclage et la montée en puissance de la R&D nationale. L’économie circulaire, notamment à travers la valorisation des rejets miniers, représente ici un potentiel considérable.

Les minerais critiques sont au cœur des technologies bas carbone : batteries, électrolyseurs, réseaux électriques. Le cobalt et le cuivre marocains s’intègrent déjà dans la chaîne de valeur mondiale de la mobilité électrique et de l’hydrogène vert. Le programme d’investissement vert de l’OCP (13 milliards USD, 2023-2027) illustre cette dynamique en combinant neutralité carbone, dessalement d’eau et recyclage des sous-produits miniers.

Cette transformation suppose toutefois un changement de paradigme : passer de l’exportation brute à la transformation locale. À l’image de la République Démocratique du Congo qui a triplé la valeur de son cobalt raffiné, le Maroc peut accroître la valeur ajoutée de ses ressources en créant des chaînes de production complètes. Cela exige des partenariats internationaux ciblés, un cadre réglementaire incitatif et des investissements technologiques à long terme.

Une diplomatie minérale en recomposition

Dans un monde où les minerais deviennent un outil de puissance, la compétition s’intensifie. Les États-Unis, l’Union Européenne et le Japon multiplient les coalitions pour sécuriser leurs approvisionnements, donnant naissance à une véritable « diplomatie minérale ». Pour les pays du Sud, cette nouvelle géopolitique des ressources représente autant une opportunité qu’un risque : celui de reproduire les dépendances du passé.

L’Afrique détient une part majeure des réserves mondiales en cobalt, lithium et terres rares. Elle doit donc peser collectivement dans la gouvernance de ces marchés. Le Maroc, fort de son positionnement géographique et de son expertise minière, a la capacité de fédérer une coalition régionale autour de la valorisation locale et de la transformation industrielle.
 
Cap sur la coopération africaine

Pour renforcer sa souveraineté minérale, le Maroc a tout intérêt à inscrire son action dans une approche continentale. La création d’un mécanisme africain de coordination sur les minerais critiques, adossé à la ZLECAf et à l’Africa Green Minerals Strategy, permettrait d’harmoniser les normes, mutualiser les investissements et encourager la recherche.

Un tel dispositif placerait le Royaume au cœur des initiatives régionales, notamment dans le cadre du Processus des États africains atlantiques (PEAA), qui pourrait accueillir un groupe consacré aux ressources minérales. Ce rôle moteur s'inscrit pleinement dans la diplomatie économique du Maroc, fondée sur le co-développement Sud-Sud et la valorisation commune des richesses africaines.

Vers une vision intégrée et inclusive

Pour devenir un acteur majeur de la gouvernance mondiale des minerais critiques, le Maroc doit d’abord consolider ses bases. Une stratégie nationale claire, issue d’un débat inclusif, associant l’État, le secteur privé et la société civile, est indispensable. Elle devra définir les priorités : valorisation locale, innovation, recyclage, et gestion durable des ressources, tout en préparant le pays aux enjeux émergents tels que l’exploitation des fonds marins.

En dotant le pays d’une telle vision intégrée, le Maroc pourrait transformer son potentiel géologique en levier industriel, diplomatique et énergétique, consolidant ainsi son rôle de pôle africain de la transition mondiale.

Une fenêtre d’opportunité stratégique pour le Maroc

Le Maroc dispose aujourd’hui d’une conjoncture exceptionnelle, transition énergétique mondiale, demande croissante en minerais critiques et position géographique stratégique. Cette combinaison d’atouts lui offre la possibilité d’engager une transformation profonde de son secteur minier. Le défi reste toutefois la mise en place d’une stratégie nationale cohérente, intégrant les politiques minière, industrielle et énergétique. Formaliser la liste des minerais critiques, favoriser la transformation locale et renforcer la gouvernance permettent de créer de la valeur, des emplois qualifiés et d’assurer la souveraineté industrielle du Royaume.

Réforme du code minier

L’avant-projet de loi n°72.24, en consultation publique, vise à moderniser le code minier marocain. Il introduit un comité national pour la supervision des minerais stratégiques, simplifie les procédures et renforce la transparence du secteur. Ce texte ambitionne d’aligner la gouvernance minière sur les standards internationaux (CRIRSCO et UNFC).Cette réforme devrait aussi encourager l’exploration, la transformation locale et l’investissement privé, en intégrant les principes de durabilité et de bonne gouvernance. Elle marque une étape clé vers une politique minière moderne, tournée vers la compétitivité et la souveraineté industrielle.
 
Projets industriels en devenir

La fonderie de cuivre Sohar (Managem–OCP) et la raffinerie de lithium LG Energy–Yahua incarnent la volonté de transformation locale. Le premier, d’un coût estimé à 15 milliards MAD, produira des cathodes destinées aux batteries. Le second, à 5,5 milliards MAD, permettra au Maroc d’intégrer la chaîne mondiale du lithium raffiné, étape essentielle vers la souveraineté industrielle. Ces deux projets illustrent une dynamique de montée en gamme du secteur minier. Ils ouvrent la voie à un écosystème industriel intégré reliant extraction, raffinage et innovation technologique, positionnant le Royaume comme hub africain des matériaux critiques.