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Migration circulaire : Pour une autonomisation des dames de fraises


Rédigé par Hiba CHAKER Mardi 15 Mars 2022

La migration circulaire impacte, sur les plans personnels et économiques, des milliers de femmes marocaines annuellement. Quid de leur autonomisation ?



La migration circulaire, dans le cadre d’un programme entre le Maroc et l’Espagne a permis, depuis 2007, à des milliers de femmes marocaines de travailler à la cueillette des fraises dans la province de Huelva en Espagne.

Ce sont effectivement majoritairement des femmes, avec enfants, qui proviennent de milieux sociaux défavorisés du Maroc, souvent analphabètes, et dont l’objectif principal est d’améliorer leur condition de vie et celle de leur famille. C’est ce qu’a révélé l’étude intitulée « L’autonomisation des travailleuses saisonnières participant au programme de migration circulaire entre le Maroc et l’Espagne ».

L’étude s’inscrit dans le cadre du projet IRTIQAA « Autonomisation des femmes travailleuses migrantes circulaires au Maroc » pour améliorer les connaissances de l’ANAPEC et des institutions publiques sur la situation sociale et économique des travailleuses saisonnières marocaines et sur leurs besoins en termes d’accompagnement à l’autonomisation. Elle a été réalisée, dans trois régions d’origine des travailleuses saisonnières à savoir Rabat Salé-Kénitra, Béni Mellal-Khénifra et Casablanca- Settat.

Les migrantes saisonnières, des précaires, rurales et pauvres

Cette étude montre que 80% des migrantes saisonnières touchent moins de 1500 dh/mois pour l’ensemble du foyer familial ; 70% des femmes sont dans des foyers où il n’y pas d’emploi fixe ; près de 60% d’entre elles travaillent dans l’agriculture au Maroc ; et les ¾ proviennent du milieu rural. L’OIM décrit le profil d’une migrante saisonnière analphabète (entre 55% et 56 % d’entre elles ne savent ni lire ni écrire), n’a pas été scolarisée, pour la majeure partie d’entre elles (57% ne sont jamais allées à l’école et seules 27% ont été en primaire, et 11% dans le secondaire), issue d’une famille nombreuse (41% de ces femmes vivent dans un foyer avec entre 3 et 5 personnes, et 36% entre 5 et 10 personnes et n’est employée que moins de six mois dans l’année dans l’agriculture.

La migration circulaire, une lueur d’espoir

L’expérience migratoire entraîne un changement important sur les plans économiques et personnels et occasionne une nouvelle dynamique dans le sentiment d’appartenance sociale. En effet, en Espagne, près de 46% des femmes déclarent être payées entre 1000 et 1500 euros par mois et plus de 44% gagnent entre 500 et 1000 euros par mois. Rappelons qu’au Maroc, 80% d’entre elles ont déclaré avoir un revenu mensuel de moins de 1500 dirhams (soit 140 euros).

Cet argent est malheureusement trop souvent stocké à la maison : seulement 28 % des femmes mettent leur argent dans les banques espagnoles et 42 % gardent l’argent dans le logement en Espagne.

La question du manque de bancarisation de cette population semble être un élément important à prendre en compte pour leur accompagnement. Le montant de l’épargne est proportionnel à la durée du travail saisonnier et à la manière de dépenser l’argent pendant le séjour. 2% des femmes interrogées arrivent à épargner 60 000 dirhams (environ 5568 euros) à la fin de la campagne.

L’importance de la somme laisse supposer qu’elles sont restées entre 5 à 6 mois sur place. 7% épargnent 50 000 dirhams (environ 4640 euros); 11% épargnent 40 000 dirhams (environ 3712 euros) et 6% épargnent 15 000 dirhams (environ 1392 euros).

Quelques-unes font des épargnes autour 5000 dh (environ 464 euros). Ainsi, en moyenne, la moitié d’entre elles peuvent revenir d’Espagne avec une économie de 15 à 40 000 dirhams (environ 1392 à 3712 euros), cette somme est étroitement liée à la durée de leur séjour en Espagne.

Grâce à cette migration, 26% de femmes ont connu une évolution positive de leur salaire et 25% ont changé d’activités Au niveau personnel, 64% des femmes ont déclaré se sentir différente à leur retour, et percevoir un changement par rapport à leur entourage, contre 36% qui ont déclaré ne pas percevoir ce changement.

Quelle réintégration au Maroc ?

« Ces femmes n’ont pas choisi spontanément de migrer et donc la plupart d’entre elles n’ont pas travaillé autour d’un projet migratoire qui leur permettrait de penser à investir dans des activités génératrices de revenus lors du retour », nous annonce Chadia Arab chercheuse et réalisatrice de l’étude.

« Elles n’ont pas connaissance de structures et de programmes financiers qui pourraient les aider à monter leur propre activité entrepreneuriale. Ceci est dû principalement aux conditions sociales décrites auparavant. Il est important donc de transformer des blessures de vie en force », ajoute-t-elle.

Dans ce cadre précis, il est important qu’elles puissent obtenir un véritable accompagnement. Les dames de fraises identifient d’ailleurs elles-mêmes leurs besoins : formation, gestion des budgets, etc. Ces besoins pourraient être satisfaits avant même le départ des femmes. D’ailleurs, la formation et l’accompagnement restent des enjeux cruciaux pour que ces femmes puissent capitaliser de cette expérience migratoire et réinvestir leurs acquis dans la société d’origine.

Un travail de sensibilisation mené en amont avec les points focaux des groupes de femmes, c’est-à-dire les « femmes leaders » identifiées dans chaque région, devrait permettre de maintenir un bon niveau de motivation chez elles. Ces femmes peuvent en effet être des éléments moteurs des autres groupes et permettre de faciliter l’autonomisation aussi bien individuelle que collective des femmes.

L’autonomisation des dames de fraises nécessite alors, selon l’OIM d’accélérer la bancarisation des migrantes saisonnières, d’accompagner l’organisation de collectifs, agrégateurs, coopératives et associations de femmes migrantes, de dupliquer potentiellement le programme « trois pour un » développé par le Mexique au Maroc , en particulier pour les saisonnières marocaines, d’engager la coopération internationale dans l’accompagnement des saisonnières marocaines via les programmes de financement et finalement d’inclure dans la démarche d’intervention tous les acteurs de l’ESS (Économie sociale et solidaire) et dans la chaîne de valeur. Ces acteurs devraient s’intégrer, avec les autres secteurs, tant au niveau national que régional et local.


Hiba CHAKER

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Migration circulaire : Pour une autonomisation des dames de fraises

3 questions à Chadia Arab


« La majorité des migrantes ne réussissaient pas à transformer les gains de cette migration circulaire pour mieux s’insérer de retour au Maroc »

 
Géographe, professeur à l’université d’Angers, chercheuse au CNRS et spécialiste des migrations internationales, Chadia Arab, la réalisatrice de l’étude nous en révèle un peu plus.

 
-Votre rapport décrit les migrantes comme des femmes » pauvres, rurales, précaires et en situation de vulnérabilité », comment la migration a-t -elle changé cette donne ?

-Près de la moitié (46%) des migrantes qui ont déjà fait au moins une saison des fraises en Espagne gagnent entre 1000 et 1500 euros par mois et plus des 2/3 (68%) reviennent au Maroc avec 25000 dh et plus à la fin de la saison en Espagne. En plus, on perçoit également des changements sociétaux tels que la prise d’assurance et de confiance. 97% d’entre elles sont plus sûres d’elles.


-Après leur retour au Maroc, est-ce que ces femmes réussissent à s’insérer à partir des formules d’insertion par l’entrepreneuriat, notamment à l’aide du programme Irtiqaa par exemple ?


-La majorité d’entre elles ne réussissaient pas à transformer les gains de cette migration circulaire pour mieux s’insérer de retour au Maroc. Le constat réalisé, est que ces femmes ne sont pas toujours au courant des opportunités d’accompagnement qu’elles peuvent mobiliser lors de leur retour. Le programme Irtiqaa est justement une possibilité pour ces femmes de mieux connaitre leur droit en terme de formation, d’accompagnement, d’aide et d’appui pour pouvoir, si elles le souhaitent, réinvestir ce capital migratoire au Maroc et pouvoir à terme s’autonomiser.


- Vous avez formulé dans votre étude une série de recommandations pour améliorer la situation de ces femmes. A quel point vous pensez que ces recommandations sont réalisables dans ce contexte de crise politique et économique ?


-En 2020, seules 7000 femmes ont pu partir alors qu’elles devaient être presque le triple. Ensuite lorsqu’elles se sont retrouvées en Espagne, elles ont été bloquées un temps avant de pouvoir revenir dans leur pays. Entre 2012 et 2016, leur nombre a également fortement baissé à cause de la crise économique qui a touché l’Europe.

Les crises qui se succèdent perturbent donc ces mobilités, qu’elles soient sanitaires, économiques ou politiques. En outre, dans les recommandations proposées dans notre étude, il s’agit avant tout de tenir compte du profil sociologique de ces femmes et de s’y adapter.


Recueillis par H. C.

 








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