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Médecine de famille : Challenges d’une filière vitale pour le système de santé


Rédigé par Mina ELKHODARI Mercredi 8 Février 2023

L'Exécutif compte former un total de 2800 médecins et 5600 infirmiers d’ici 2030 dans l’optique de consolider la médecine de famille. Un objectif réalisable, mais dont les défis sont d’envergure.



La généralisation progressive de la médecine de famille en vue de limiter les redoutables engorgements dans les hôpitaux publics. C’est la vision annoncée par l’Exécutif un mois après son élection en 2021, pour un pays qui dispose de quelque 26 médecins pour chaque 10.000 habitants. L’idée est donc d’améliorer les soins primaires à travers la mobilisation d’un médecin pour chaque 300 ménages. Pour atteindre ce cap, les centres médicaux de proximité devraient jouer un rôle de checking a priori, pour chaque patient, avant qu’il ne soit orienté, en cas de besoin, vers un CHU. La mise à niveau desdits centres s’impose donc, que ce soit au niveau matériel ou humain. A cet égard, la tutelle ambitionne de former pas moins de 2.800 spécialistes en médecine familiale durant la période 2022-2030, conformément aux objectifs de développement durable. En réponse à une question orale sur «la généralisation de la médecine familiale», posée par le groupe istiqlalien «Pour l'Unité et l'Egalitarisme», lors de la séance des questions orales à la Chambre des Représentants, le ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb, a indiqué qu’en plus de ces médecins, l'Institut national de la Santé procédera à la qualification de 5.600 infirmiers dans le domaine, pour atteindre le nombre de deux infirmiers pour chaque médecin à l'horizon 2030.
 
Objectif difficile ! 
 
Un objectif qui paraît difficile, surtout que les dernières statistiques communiquées par le même ministre datent d’il y a trois ans, et font état d’un nombre de diplômés en la matière ne dépassant pas 50 médecins de famille en 2020, contre 26 en 2018 et 44 en 2017. Ainsi, pour atteindre le cap annoncé par Ait Taleb, le nombre annuel de diplômés devrait être multiplié par huit, ce qui implique un investissement d’envergure dans les formations spécialisées, mais aussi quelques réglages au niveau de l’organisation du métier. «Former 2800 médecins de famille est une initiative louable, certes, mais il faut éviter d’injecter dans un même système de santé, des médecins généralistes d’un côté et des médecins de famille d’un autre», nous déclare Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé. Selon ce dernier, il faut procéder de manière méthodique en définissant les objectifs des médecins de famille et après inclure les médecins généralistes déjà existants au Maroc, après des formations de mise à niveau. «Un modèle qui a réussi en France où une bonne partie de médecins généralistes ont basculé vers cette spécialité», note Hamdi, soulignant que la formation des médecins de famille devrait être généralisée au niveau des Facultés de médecine, qui forment toutes les spécialités, en vue d’harmoniser notre système de santé.

Par ailleurs, le député istiqlalien Allal Amraoui estime qu’il faut aussi agir sur la culture des citoyens en vue de revaloriser le médecin général en mesure de jouer le rôle de médecin de famille dans notre système de santé. Dans les années 70 et 80, un nombre important de familles avaient leurs médecins référents qu’ils consultaient de manière régulière. Aujourd’hui, les temps ont changé. Il faut donc revenir à ces pratiques, selon notre interlocuteur, notamment via l’organisation du processus médical.
 
Quid des médecins étrangers ?
 
S’agissant du manque de ressources humaines, le recours aux médecins étrangers se profile également comme une solution adéquate pour résoudre l’équation à court terme, surtout que le cadre législatif facilitant le recrutement de ces derniers a été finalisé et adopté par le gouvernement. Une solution possible selon Amraoui, néanmoins le défi est de «les trouver sur le marché international, car aujourd’hui le médecin est une denrée rare partout dans le monde». La pénurie des médecins touche tous les pays, même les plus développés qui, aujourd’hui, démarchent des médecins de toutes les nationalités. «Dans le marché international, il y a même une enchère pour attirer les médecins», indique notre interlocuteur, ajoutant que le système de santé national devrait offrir un cadre d’exercice capable d’attirer les compétences étrangères, mais l’enjeu principal est de garder les nôtres, dont une grande partie pratique sous d’autres cieux.
 
L’essentiel, selon le député istiqlalien, est d’avoir six médecins par 100.000 habitants, conformément aux normes fixées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qu’ils soient nationaux ou étrangers, la lutte contre la pénurie passe avant tout.
 
Mina ELKHODARI

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3 questions à Allal Amraoui

Médecine de famille : Challenges d’une filière vitale pour le système de santé
«Le médecin généraliste est la porte d'entrée essentielle à la prise en charge médicale»

 
Dr Allal Amraoui, chirurgien et ancien directeur régional de la Santé, président du Centre marocain d’études et de recherches en politiques de santé (CMERPS) et parlementaire istiqlalien, a répondu à nos questions sur les perspectives de développement de la médecine de famille au Maroc.

 
Former 5600 infirmiers et 2800 médecins spécialisés en médecine de famille à l’horizon 2030 est le cap fixé par l’Exécutif dans le cadre de la réforme du système de santé. Le Maroc dispose-t-il des moyens humains et matériels permettant d’atteindre cet objectif ?

Effectivement, le Maroc tente à l’heure actuelle de mettre en place les moyens nécessaires pour réussir la formation du corps médical, notamment les médecins et les infirmiers, surtout que le pays se dirige, dans le cadre de la réforme du système de santé, à doter chaque région d’un Centre hospitalier universitaire et aussi d’une Faculté de médecine pour accomplir l’objectif escompté en matière de ressources humaines.

La médecine de famille est-elle aussi urgente que les autres spécialités pour que la tutelle en fasse une priorité ?

Tout à fait. Aujourd’hui, on ne peut pas imaginer un système de santé solide et performant sans le rôle essentiel des médecins généralistes. Tout simplement parce qu’ils sont la porte d'entrée de ce système, ils sont en mesure d’agir sur la prévention, l'orientation et la promotion du mode de vie sain, le diagnostic établi à ce niveau permettra une meilleure référence et donc un rendement adéquat en termes de santé publique.

Il reste aussi le rempart culturel, puisqu’au Maroc, le recours au médecin de famille n’est pas une pratique courante. Comment dépasser ce problème ?

Rien que dans les années 70 et 80, la médecine de famille gardait, bel et bien, une place importante au point que chaque famille avait un médecin référent qu’elle consultait de manière régulière. Aujourd'hui, l'enjeu est de valoriser et de repositionner le médecin généraliste comme porte d'entrée essentielle à la prise en charge médicale. Il faut donc agir sur la culture des citoyens, avec des programmes de sensibilisation sur la plus-value qu'apporte le médecin généraliste à la santé individuelle et collective des citoyens, et assurer une meilleure gouvernance et une durabilité de la couverture médicale universelle.

Médecine de famille, quézaco ? Tayeb Hamdi nous explique

«La médecine de famille est la médecine de proximité et est de première ligne», ainsi a défini Dr Tayeb Hamdi la médecine de famille sur laquelle le ministère de la Santé parie pour garantir l’accès équitable des citoyens aux services de santé, et ce, dans le cadre de la réforme du système de santé dans le Royaume.

Bien que ce soit une spécialité médicale à part entière, qui englobe les médecins généralistes, la médecine de famille se base sur une approche transversale qui répond aux besoins en soins de santé du patient dans toutes leurs dimensions.

«C’est une spécialité globale qui se focalise, d’abord et avant tout, sur les soins primaires, indépendamment des critères de l’âge, du sexe, de la pathologie ou d’autres, à la différence de la médecine spécialisée», nous a expliqué Dr Taye bHamdi, médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé, ajoutant qu’il s’agit du pivot même des systèmes de santé qui se veulent performants.
 Le rôle que joue la médecine de famille dans l’accès aux soins de santé primaires a pris toute son ampleur en 1978 lors du Congrès d’Alma-Ata.

De plus, des études ont depuis toujours témoigné de l’importance de la médecine de famille dans la prévention et le traitement des pathologies. Une étude citée par Dr Hamdi a montré qu’un médecin de famille pour une population de 10.000 habitants est en mesure de réduire de 6% le taux de mortalité générale.

«60% des médecins qui exercent aujourd’hui sont des spécialistes, alors que 40% sont des généralistes. Le challenge de la réforme de santé est de faire changer cette donne. Il faut également repenser le système de santé d’un système basé sur l’hôpital à un système basé sur les soins primaires», conclut-il.
 
 

Ressources humaines :Grand rempart de la réforme de la Santé

Le manque cruel de cadres médicaux et paramédicaux est le plus grand rempart de la réforme de la Santé, sachant que le besoin est estimé aujourd’hui à quelque 32.000 médecins et 65.000 infirmiers. Dans une déclaration sur Radio MFM, Khalid Ait Taleb a indiqué que l’Exécutif se fixe l'objectif d'atteindre un ratio de «23 cadres médicaux pour 10.000 citoyens au lieu de 17 actuellement, en espérant atteindre 42 médecins à l'horizon de 2030, conformément aux recommandations de l'OMS». Il a également réaffirmé l'engagement du ministère à préserver les acquis et à améliorer les conditions des travailleurs de la Santé, susceptibles d'impacter positivement la qualité des services offerts aux citoyens. Pour relever le défi, la tutelle prévoit une série de dialogues avec les centrales syndicales les plus représentatives dans le cadre de l'institutionnalisation du dialogue social, particulièrement dans le secteur de la Santé, pour le hisser au rang des choix stratégiques, et honorer tous les engagements sociaux contenus dans le programme gouvernemental.