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Maroc - Espagne - Algérie : Les dessous d’un sacrifice stratégique !


Rédigé par Nizar DERDABI Mercredi 22 Juin 2022

Intérêts commerciaux, gestion de la crise migratoire et coopération sécuritaire, autant de facteurs qui ont fait pencher la balance du côté du partenariat Maroc - Espagne.



La récente prise de position de l’Espagne en faveur du plan d’autonomie proposé par le Royaume a clairement défini les contours de la nouvelle politique étrangère de l’Espagne : la priorité sera donnée dorénavant au renforcement du partenariat stratégique avec le Maroc. Quitte à reléguer le partenariat avec son voisin algérien au second plan ! Car il est clair désormais pour la diplomatie espagnole que l’Algérie, à l’inverse de ce qu’elle prétend, est le principal protagoniste dans le conflit du Sahara marocain. Et que pour la défense de ses intérêts stratégiques au Maghreb, Madrid devait sacrifier un de ses deux principaux partenaires. Et le choix le plus rationnel et pragmatique a finalement été acté.

Intérêts économiques

« Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». Cette citation qu’on attribue au Général De Gaulle prend tout son sens dans le contexte actuel. L’Espagne a des intérêts souverains qu’elle doit défendre. Et c’est à travers ces intérêts qu’elle choisit ses amis. Et parmi les divers intérêts qui lient l’Espagne avec ses partenaires du Maghreb, la promotion des échanges économiques et commerciaux vient en tête des préoccupations du gouvernement de Pedro Sanchez.

En effet, les importations espagnoles de produits marocains sont supérieures de 53% à celles des produits algériens (voir infographie). Alors que pour les exportations, le volume des produits livrés au marché marocain est 5,8 fois plus important que celui livré au marché algérien. La balance commerciale penche ainsi clairement du côté du Maroc, dont la proximité géographique en fait un partenaire clé en matière d’échanges commerciaux. En effet, principal fournisseur et client du Maroc, l’Espagne est depuis 2013 le premier partenaire économique du Royaume devant la France. Alors que pour l’Algérie, l’Espagne n’est que le cinquième importateur loin derrière la Chine, la France, l’Italie et l’Allemagne.

Pourtant, l’Espagne reste dépendante du gaz algérien qui représente 92% des importations totales en provenance d’Algérie en 2020, selon les données de l’Institut du commerce extérieur (ICEX). Néanmoins, au niveau de la balance globale des échanges, Madrid a plus à gagner de sa relation avec Rabat qu’avec Alger. C’est ce qui fait dire à Zakaria Abouddahab, Professeur de Relations internationales à l’Université Mohammed V de Rabat : « Certes, le gaz pèse dans les relations algéro-espagnoles, mais avec le Maroc, l’analyse est multidimensionnelle. Les décideurs des deux pays (ndlr : Maroc et Espagne) en sont désormais conscients compte tenu de l’imbrication des intérêts des deux Etats ».

L’enjeu de l’immigration clandestine

Le contrôle des flux de migrants clandestins désireux de rejoindre l’Europe à travers la frontière espagnole est l’autre grande problématique qui préoccupe Madrid. La gestion de la crise migratoire, au-delà du coût exorbitant qu’elle nécessite, constitue un enjeu électoral important pour le gouvernement actuel. Et l’Espagne est consciente que pour stopper les vagues de candidats à l’immigration clandestine qui déferlent sur ses côtes, elle doit compter sur la coopération de ses partenaires du Sud.

Le Maroc contribue déjà pour une grande partie au contrôle des flux de migrants vers l’Espagne, au prix de moyens considérables déployés. Suite à la crise provoquée par l’accueil de Brahim Ghali en catimini et l’allègement du dispositif de surveillance des services de sécurité marocains, un nombre important de migrants avait réussi à traverser la frontière au niveau de Sebta, profitant de l’impuissance des gardes-frontière espagnols.

Cet incident a permis aux autorités espagnoles de mesurer à sa juste valeur le poids de la contribution du Maroc dans la maîtrise des flux de migrants. Même si les services de Renseignements espagnols redoutent une arrivée massive de migrants venant d’Algérie dans les mois à venir, l’Espagne est consciente que le Maroc - avec lequel elle partage des frontières terrestres et maritimes en Méditerranée et dans l’Atlantique – est le partenaire privilégié avec lequel elle devra coopérer pour gérer cette crise migratoire. Le Maroc est un partenaire fiable qui tient ses engagements. Le régime algérien est imprévisible et ne donne aucun gage de sécurité, l’Espagne en a déjà fait les frais lorsque le GME a été coupé sur décision impulsive d’Alger.

Coopération sécuritaire

Le Maroc est considéré comme un allié incontournable dans la lutte contre le terrorisme par les pays européens. Les services de Renseignements marocains ont à plusieurs reprises fourni une aide précieuse à leurs homologues espagnols, français et belges dans le cadre de la lutte anti-terroriste.

Grâce à des renseignements partagés avec les services européens, des attentats ont été déjoués et des bains de sang évités. L’Espagne, qui accueille sur son sol un nombre important de binationaux (citoyens espagnols d’origine marocaine), sollicite régulièrement l’aide des services de Renseignements marocains, reconnus pour leur expertise dans le domaine de la lutte contre les réseaux terroristes.

Par ailleurs, les polices marocaine et espagnole entretiennent une coopération efficace dans la lutte contre les trafics de drogue et de produits illicites au niveau du détroit de Gibraltar. En comparaison, le niveau de coopération sécuritaire entre l’Espagne et l’Algérie reste insignifiant.



Nizar DERDABI
 

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Sécurité énergétique


Pour l’OTAN, l’Algérie constitue une menace pour la sécurité de l’Europe
 
Depuis le début de la guerre en Ukraine, les pays de l’UE qui dépendent en grande partie du gaz russe cherchent des solutions de substitution. C’est le cas de l’Allemagne qui est déjà parvenue à réduire sa dépendance à l’égard de la Russie de 20% ces derniers mois grâce à de nouveaux accords d’approvisionnement avec les États-Unis et le Qatar. Les pays du Sud de l’Europe comme le Portugal, l’Espagne ou l’Italie, en revanche, comptent sur l’Algérie, troisième fournisseur de gaz en Europe, comme alternative au gaz russe.

Dans ce contexte, l’OTAN s’inquiète pour la sécurité énergétique de ses pays membres et redoute que comme la Russie, l’Algérie utilise l’approvisionnement en gaz comme moyen de pression politique. C’est ce qui est ressorti dans un rapport confidentiel de l’OTAN, dévoilé par le site d’information américain Business Insider, qui appelle ses membres à la vigilance. L’alliance militaire estime que les approvisionnements en gaz de l’Algérie constituent un risque pour la sécurité de l’Europe.

La sécurité énergétique est considérée comme un facteur central de la politique étrangère et de sécurité de l’alliance militaire depuis de nombreuses années. Il ne s’agit pas seulement de la sécurité militaire des voies de transport. L’énergie est la base des sociétés occidentales, c’est pourquoi l’approvisionnement en énergie peut également être utilisé comme une arme stratégique.
 

Historique


Coupure du GME : le début de la crise de confiance ?
 
L’arrêt du contrat d’exploitation du Gazoduc Maghreb-Europe (GME), décidé unilatéralement par l’Algérie dans une volonté de porter un coup à l’économie marocaine en coupant les « robinets de gaz » sans préavis, a dans le même temps marqué le début de la crise avec l’Espagne. En effet, la sécurité énergétique de l’Espagne est assurée en majeure partie par le gaz algérien.

L’Espagne a d’ailleurs participé financièrement avec l’Etat algérien à la construction des deux gazoducs qui relient les deux pays (GME et Medgaz). Ainsi, dès les premiers signes de la crise diplomatique entre le Maroc et l’Algérie, le gouvernement espagnol a essayé d’user de son influence auprès de Rabat et d’Alger afin d’apaiser les tensions et de relancer les discussions pour un renouvellement du contrat du GME. Mais après le refus ferme de l’Algérie, l’Espagne a pris acte de cette décision qui a mis en péril la sécurité de ses approvisionnements en gaz.

En conséquence, le gouvernement espagnol a décidé de diversifier ses approvisionnements en achetant plus de gaz auprès des Américains qui présentent plus de garanties à ses yeux. Par la suite, en réponse à l’annonce faite par Pedro Sanchez du soutien espagnol au plan d’autonomie du Sahara marocain, le régime algérien a décidé de rompre l’accord d’amitié et de coopération entre l’Espagne et l’Algérie. Puis ce même régime a tenté de geler les échanges commerciaux avec l’Espagne avant de rétropédaler pour revenir sur sa décision après l’intervention de l’UE.

En agissant de manière hostile et en s’ingérant dans une décision souveraine de l’Espagne, le régime algérien est en train de creuser un fossé avec son partenaire espagnol qui, selon les déclarations de sa ministre de l’Economie, redoute de plus en plus l’alignement d’Alger sur la Russie.

L’Algérie qui a un besoin vital de débouchés pour son gaz, semble se diriger vers une impasse, selon l’expert en relations internationales Zakaria Abouddahb qui souligne que « les réflexes autoritaires, voire violents, que les autorités algériennes ont émis à l’égard du Maroc ou de l’Espagne, trahissent une posture géostratégique fragilisée et profondément secouée par l’accélération de l’Histoire ».
 

3 questions à Zakaria Abouddahab, Professeur de Relations internationales à l’Université Mohammed V de Rabat

Maroc - Espagne - Algérie : Les dessous d’un sacrifice stratégique !

« La rhétorique géopolitique algérienne est pratiquement anachronique »
 
- A quel point pensez-vous que la question des échanges économiques a pesé dans la décision de l’Espagne de donner la priorité au partenariat avec le Maroc au détriment de l’Algérie ?

- L’Espagne a dû sans doute procéder à une analyse géopolitique approfondie de ses relations de voisinage avec les pays du Sud de la Méditerranée, Maroc en tête. La grave crise qui a ébranlé la confiance entre les deux royaumes, Maroc et Espagne, a été un catalyseur pour une refondation des relations entre deux pays très ancrés dans l’Histoire et aux traditions ancestrales.

Une application d’une matrice d’analyse stratégique simple comme SWOT (Forces, Faiblesses, Opportunités, Menaces) révélera que, en termes de pondération, l’Espagne gagnera plus avec le Maroc, notamment sur le long terme. Les enjeux, tant économiques que géopolitiques, humains, sociaux, culturels… sont, corrélativement à leur coefficient et à leur effet multiplicateur, beaucoup plus importants en comparaison avec ceux pouvant être engrangés de l’Algérie. Bien entendu, il conviendra de consolider cette nouvelle relation partenariale et l’entourer de tous les garde-fous nécessaires.


- L’arrêt du GME a probablement pesé dans ce nouveau positionnement. Pensez-vous que l’Algérie a perdu la confiance des Espagnols comme partenaire fiable ?

- L’Algérie tentera sûrement de revenir à la charge et essayera d’endiguer la crise qu’elle a provoquée avec l’Espagne, de manière irréfléchie il faut le dire. L’Etat algérien évitera de perdre le client européen car, au final, l’arrimage économique de l’Algérie à l’Union Européenne est juste une question de temps. Le gaz n’est pas une ressource renouvelable et, donc, intarissable. A un moment donné, les autorités algériennes chercheront à rééquilibrer les relations avec l’Espagne et, par extension, avec l’Union Européenne, pour des raisons pragmatiques au moins.


- L’Algérie paye-t-elle le prix de son alignement avec la Russie et l’émergence d’un nouvel Ordre mondial ?

- Le constructivisme nous aide beaucoup, en politique internationale, à identifier le mode de perception des acteurs de la politique étrangère. En la matière, l’identité, la psychologie, le référentiel culturel, et autres éléments explicatifs, sont des facteurs déterminants et significatifs dans la construction d’une vision sur le monde et sur l’Altérité.

De manière plus simplifiée, l’on avancera que la rhétorique géopolitique algérienne est pratiquement anachronique. La logique de la « rente mémorielle », sur laquelle le modèle algérien a été bâti, est en perte de vitesse, voire de légitimité, ce qui crée un profond malaise dans l’establishment.

En tout état de cause, le Maroc devra continuer à avancer dans son processus de développement global, à creuser l’écart par rapport à son voisin de l’Est (en attendant des jours meilleurs !) et à consolider ses partenariats multidimensionnels avec les puissances régionales et mondiales.



Recueillis par N. D.







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