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Culture

Magazine : Abdellatif Mehdi, qui mourra verra


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 19 Décembre 2021

L’artiste déploie les tombes et leurs locataires à Casablanca, à la galerie Living 4 Art, jusqu’au 31 décembre. Une exposition où le morbide et le macabre se mettent aux prises, célébrant l’esthétique du sombre sous l’intitulé «Dystopie». La joie de vivre s’écrase devant la lourde évidence de la disparition.



Sans titre, huile sur toile, 150 x 180 cm.
Sans titre, huile sur toile, 150 x 180 cm.
La seule grande certitude dans la vie est fatalement la mort. Elle boucle un vécu, ouvre à grandes tombes l’éternité. Et puisqu’on ne connaît ce dépérissement que sur terre, Abdellatif Mehdi se déploie à le profaner, à le déterrer pour qu’il lui parle d’un ton ferme. Il se heurte, en définitive, aux mollesses d’un discours intempestif, celui de la vie en somme.

Cette fin d’existence, il l’explore comme un boxeur mis K.O. au premier round d’un combat qu’il prépare depuis des mois. Dans les oeuvres de l’artiste, il y a comme une jouissance de la désolation. Et c’est toute la torture qui se déverse sur un concept croisant l’insolence. Il s’amourache de la mort comme s’il découvre une source de vie.

S’en nourrit-il pour mieux flirter avec le six-pieds-sousterre ? Il reproche à la vie de sublimer la mort et à la mort de subordonner l’existence. Mais que dépeint-il ? Le paroxysme de l’incertitude, la réalité tue, le macabre comme compagnon éternel. Il les clame fort, les porte haut et les caresse à contre poils. Il continue de vivre, la mort ne s’offrant pas encore à lui. La vie étant, pour l’instant, sa fibre existentielle.
 
Témoins massifs

Abdellatif Mehdi, adepte d’un au-delà terrestre, s’engage à faire remuer le refroidi, à faire parler l’absent à jamais. Il le peint criant et décomposé, le figure en râleur muet. La déferlante de ses personnages prend à la gorge, laisse coi, pousse plus à la réflexion qu’au questionnement.

Que pense le mort de sa propre mort ? Se renvoie-t-il à sa vie pour mieux définir le néant qui nourrit son inconsistance ? Non, le mort est vivant, tellement vivant qu’il hante notre existence. Mehdi le prouve, le conjugue et l’implore. Il s’évertue à le faire agir, à l’imposer comme preuve ténue d’une vie à sans cesse reconsidérer. Une gymnastique émotionnelle se dégage par cases d’un travail concentré sur des témoins massifs, ceux qui n’ont pas vocation à rebrousser chemin. Puisque la mort est sans appel, perpétuelle.

Seulement, Abdellatif Mehdi la met dans la salle des pas perdus. Là où on se regarde sans se fixer, là où le destin est simple destination. Les personnages de ces danses macabres, de ces scènes improbables, de ces appels engloutis dans des non-dits assourdissants… caressent l’expression d’un expressionnisme qui se disloque au détriment de formes historiquement consacrées. Et ce n’est pas la mise à mort de l’art, c’est l’art qui célèbre la mort.

Quête du sépulcre
 
On nous parle à outrance de Goya comme l’une des principales inspirations de Mehdi. Que dire alors de la présence, à profusion, de Mohamed Drissi dans cette incroyable quête du sépulcre ? L’artiste est fan du défunt connu pour ses créations hors-sol, traçant son chemin vers l’infinie éclaboussure du vivant de l’après.

Abdellatif force le trait dilué par une idole qui lui montre le chemin de la morbidité. Un mort qui se déterre, tirant sa tombe, la déplaçant dans une posture ténébreuse. Des tombes sur lesquelles s’affaissent des corps éclaboussés en attente de leur mise en terre. Des fantômes mimant un opéra funèbre. Des rapaces survolant des mortels déjà morts. Nous sommes dans le sombre, dans l’éclat de nuits sans lendemain. L’ambiance est au morbide rehaussé de sinistres incantations.

Et si le laid prenait finalement le dessus, que le beau n’était que simulacre ? L’artiste Youssef Wahboun dit ceci en 2016 du travail de son ami Abdellatif Mehdi : «De qui sont ces visages borgnes, ces grimaces à la fois familières et abjectes ? De toute évidence, l’oeuvre de Mehdi affectionne ces épaves humaines que sont les ivrognes. Elle y voit un douloureux emblème de la déchéance, l’incarnation d’un monde sans dieu ni repères (…) Vous ne regarderez les toiles d’Abdellatif que si vous vous apprêtez à vivre une expérience esthétique des moins jubilatoires, que si vous acceptez de livrer votre regard comme vos entrailles aux agressions de l’angoisse et à l’imagerie la plus lancinante de la mort. Abrégé noir de la condition humaine, l’art du peintre met en scène des êtres qui semblent purger leur damnation au coeur même de cet enfer à ciel ouvert qu’est la vie terrestre, des parias déchaînés par le désespoir et que le temps s’amuse à accumuler dans l’antichambre du néant.»

Profond et aérien, juste et lointainement apaisant. Du coup, nous songeons au luxe accessible, celui de la mort qui vient nous triturer la vie par toiles de Mehdi interposées. En continuant de scruter ses créations où le silence nous engueule à gorge déployée, on se rend à une trouble évidence : la solitude n’est pas un fléau. La mort le prouve et le répand avec fosse modestie.


Anis  HAJJAM 







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