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Culture

Magazine : Abdelkader El Badaoui, l’homme qui interprétait


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 6 Février 2022

Fils intransigeant du père des arts, l’homme de théâtre disparu vendredi dernier à 88 ans aura légué une panoplie d’oeuvres en quête d’une bonne conservation de mémoire. Il était l’un des premiers et tire sa révérence en éternel jeune premier.



Ses créations sont à revoir et à décortiquer.
Ses créations sont à revoir et à décortiquer.
Derrière un sourire omniprésent, le dramaturge fait palpiter ses neurones avec un sérieux maladif. Pour lui, le théâtre est un acte de résistance, un état d’esprit, un outil d’expression et de révolte en perpétuelle action. A tel point que ce que laisse jaillir sa personne au quotidien renvoie à ses prestations scéniques, celles qu’il brode lui-même.

Sa diction, théâtralisée à outrance, fait revivre une époque où le comédien convoque l’aura pour contenir le parterre, exercer les pleins pouvoirs sur lui, le corps en souffrance et le geste en majesté. Abdelkader El Badaoui met furieusement de l’âme dans ses créations et prestations. Qu’on l’applaudisse à tout rompre ou qu’on lui accorde une curiosité zoologique, donc de profond étonnement, c’est d’admiration qu’on le couvre.

Ses mélanges d’arabe classique et de dialectal dans une même réplique ont le mérite de faire sourire, que la scène soit légère ou dramatique : «3lach ya anissa hezziti lmousaddass ?» C’est du Badaoui et qu’on ne s’amuse pas à essayer de lui faire changer d’avis. Des décennies qu’il ne change rien, qu’il perpétue sa dialectique.

Recherche plurielle

Abdelkader El Badaoui naît en 1934 à Tanger. Il est encore bébé lorsque ses parents décident de s’installer à Casablanca. Il grandit entre les quartiers Houbous et Mers Sultan. L’enfant est rapidement happé par la littérature et le sport. Son papa rêve de l’envoyer à Fès, l’inscrire à la prestigieuse université Al Quaraouiyine. Le projet échoue à cause de tensions politico-sociales entre résistants marocains et résidents français.

Entre-temps, à Derb Soltane, le jeune Abdelkader découvre le théâtre en intégrant quelques troupes formées autour du thème de l’Indépendance. Le géniteur finit par proposer à son rejeton d’oublier le football «parce qu’il peut mener à la violence» et de se concentrer sur le théâtre «puisqu’il est plus constructif intellectuellement». Nous sommes en 1948 et Abdelkader El Badaoui exécute à la lettre la recommandation de son père : théâtre à bords perdus à défaut d’études poussées ? Qu’à cela ne tienne. L’art se construit sans forcément un apprentissage académique, la recherche plurielle étant le noyau du rayonnement.

Anti théâtre francophone

El Badaoui est alors investi d’une double mission, celle de réussir et l’autre de satisfaire le voeu de son père. Il se fait épauler dans son élan artistique par un supposé Abdelkader Benmbarek, algérien d’origine et membre de Arrajaa Al Bidaoui. L’aspirant marocain avoue être largement influencé par ce mentor tombé du ciel.

Peu de temps après, El Badaoui père rend l’âme et le dramaturge en gestation se retrouve tuteur de la famille. Il rejoint la société Régie des tabacs et y fonde la troupe théâtrale «Achbal Al 3oummal». Comme quoi, chassons le naturel… Il écrit et met en scène en militant invétéré les pièces «Al 3amil al matroud», «Kifah al 3oummal», «Al Madhloumoune», «Rayat al 3alam»…

En 1956, année de l’Indépendance, il monte la troupe «Al 3ahd al jadid» et crée, entre autres, la pièce «Fi sabil attaj». Les années passent, Mohammed V meurt, Hassan II accède au trône, l’art se rêve d’un avenir pas forcément en devenir. Dans la foulée, Abdelkader El Badaoui crée (1965) la Troupe Al Badaoui avec son jeune frère Abderrazak en déclarant qu’il est contre le théâtre francophone parce qu’il n’est pas patriotique. L’association avec son cadet se révèle, plus tard, houleuse.

Fou de l’amour

En donnant naissance à cette nouvelle troupe, Abdelkader poursuit sa recherche de la vérité dans un espace socio-culturel impacté de mensonges et d’inégalités. Il donne de la voix autour de lui et l’amplifie sur les planches. Il court sponsors, producteurs et diffuseurs qui lui claquent la bise en repoussant par «inadvertance» ses projets.

Le dramaturge, fou de l’amour que lui procure son art qu’il partage également avec les enfants à travers des ateliers, ne baisse pas pavillon et décide d’enfoncer au plus profond ce qui le maintient en vie jusqu’à ce que le dernier voyage s’ensuive. Il produit pour le théâtre et la télévision, nous laisse des créations à revoir et à décortiquer : «Tajir Al Boundoukiya», «Moutribat Al Hay», «Nafida 3ala Al Moujtama3», «Namadij bachariya»… Maintenant que ton départ définitif s’en est suivi, je te souhaite de garder les nerfs bien solides en croisant là-haut ceux qui t’ont titillé ici-bas.


Anis HAJJAM







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