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Culture

MAGAZINE : Nouamane Lahlou, l’art et la matière


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 26 Février 2023

Entrevue avec un outsider qui perse, paradoxalement, le noyau d’une passion humaine, s’exposant à la beauté d’un art mêlant sons et silences, ouvrant ses bras à l’Autre, se voyant confronté à des indélicatesses inscrites dans la désolation. Artiste généraliste, musicien polyglotte, il se livre avec fluidité, sans jamais rapper ses idées.



Nous avons un grand manque sur le plan du texte.
Nous avons un grand manque sur le plan du texte.
Nouamane est une machine à lire, à chercher, à essayer de comprendre, à analyser, à transmettre… A vivre. Il explore en s’explorant, il apprend en se délectant, il voyage en convoquant les chuchotements de ses entrailles, il s’éloigne de ses propres élucubrations en les triturant par à-coups, il aime avec fougue et acharnement, il se laisse défaire pour mieux faire. En somme, il est ce joyeux écorché à vives constellations illuminant les contours de ses indéfinissables intentions. Il est, pour ainsi dire, ouvert et fermement discret.

L’artiste à plus de cent-cinquante compositions est toujours en quête de la note qui fait mouche, de la mélodie qui terrasse, du chant qui pulvérise -l’humilité étant le poids des grands.

Son parcours lui fait croiser le sismique Mohamed Abdelwahab mais également d’autres pyramides tels Mohamed El Mouji et Wadie Essafi pour lequel il compose sa dernière chanson « Aâhd Al Mouhibbine ». Mais le futur créateur, à l’oreille alerte, est happé dans son jeune âge déjà par l’empreinte de plusieurs artistes dont Abdelkrim Raïss, Mohamed Bouzoubaâ, Brahim El Alami, Nusrat Ali Khan, Mozart… L’éclectisme prenant très tôt ses quartiers dans les veines d’un inconsolable curieux voué lui-même à susciter la curiosité. La musique le submerge corps et âme : « La musique est la deuxième langue pratiquée à travers le monde après le langage des signes.

Elle unit tous les peuples de la planète. On dit que la vie sans musique serait une erreur. J’y adhère. La musique est présente partout, du son du vent aux sonorités émises par la montagne, du chant des oiseaux à la voix humaine qui est un instrument de musique.

La musique est un exutoire. A mon sens, elle précède le langage des signes », dit-il avec ferveur. Mais encore ? « La musique purifie les âmes. De là on bifurque sur la tripartie qu’est le corps, l’esprit et l’âme. Platon disait ‘’Apprenez à vos enfants les arts et fermez les prisons’’. Il est inconcevable d’imaginer un musicien dans une prison sauf lorsqu’il s’agit de soucis d’argent. Mais qu’il soit criminel, ceci est impossible. Donc, la musique calme les âmes. »
 
Anthropologie et philosophie 

Auteur-compositeur-interprète, Nouamane Lahlou brille également par sa soif d’enrichir le répertoire d’autres artistes. Il compose, outre Wasie Essafi, pour Marouane Khoury, Naïma Samih, Latéfa Raafat, Jil Jilala, Karima Skalli, Fouad Zbadi et d’autres encore. Comment opère-t-il alors le choix entre sa voix et celle des autres ? : « Il y a d’abord le texte. Parfois, quand je parcours un texte, je me dis qu’il ne peut pas être chanté par tout le monde parce qu’il traite de l’humanisme, de l’anthropologie ou de la philosophie. Ce sont des thèmes qu’on ne s’aventure pas à confier à des jeunes qui sont plus sensibles à des thématiques de la séduction par exemple. Ensuite, il y a la composition. Je garde les gammes (maqams) les plus difficiles pour moi lorsque je puise dans l’hybride, alliant l’occidental, l’oriental et le marocain avec ses différentes sensibilités. Cela peut, à l’écoute, paraître à portée de voix mais ça s’avère compliqué pour l’interprétation. En général, je sonde les capacités de la chanteuse ou du chanteur, les couleurs musicales qui lui correspondent, ses tessitures vocales… avant de lui proposer une chanson qui lui permet d’être crédible en l’interprétant. » Dans le lot, des sujets parfois inédits en chanson : « L’autisme, l’immigration clandestine, l’eau… et bientôt la fuite des cerveaux. Il faut être fou pour s’attaquer à ce genre de thèmes.

Et cela, c’est moi. » Par extension, Nouamane évoque la chanson au Maroc et son évolution ou pas : « Pour le patrimoine, je suis tranquille parce qu’il y a une infinité d’associations qui continuent à mettre en valeur différents genres : le melhoun, la musique andalouse, ahouach, el aïta… Cela dit, il y a d’autres tendances internationales, orientales ou khalijies, ce qu’on appelle la nouvelle scène aussi.

Ce qui nous manque le plus, c’est l’ingéniosité dans la composition liée à la musique marocaine. Même le ministère de la Culture qui octroie des aides à la production n’impose pas un cahier des charges pointant la dimension marocaine dans la création. On a un autre manque, celui du texte et cela touche également la dramaturgie et le cinéma. » 
 
Fronts constructifs 
 
L’homme qui assure ne détenir comme « titre » que le baccalauréat, s’envole rapidement pour les Etats-Unis d’Amérique où il suit plusieurs cours et gagne l’Egypte où il s’installe quelque temps, la musique en bandoulière. Nouamane Lahlou s’aventure plus tard et sporadiquement sur les chaînes de télévision.

Il y a plusieurs années sur TVM et actuellement sur 2M pour l’émission « Pianissimo » (doucement, légèrement) conçue en trente épisodes : « ‘’Pianissimo’’ me permet de dire que je suis arrivé à un stade de maturité après 45 années de présence dans l’espace artistique, sachant que j’ai 58 ans et que j’ai commencé à fréquenter le conservatoire à 10 ans. Je devais donc partager le jus de mes connaissances. Le plus dur dans cette entreprise était de présenter l’information en l’enveloppant de la pire des simplicités. J’essaie alors de simplifier les thématiques -avec du contenu- aux gens qui sentent les choses sans pouvoir les définir ou les décrire. » Pourtant, début février, l’une des livraisons du programme dédié au rap fait grincer quelques dents : « J’y ai exposé des éléments sur le genre et ses composants. J’ai ensuite expliqué qu’il y avait trois types de rappeurs, ceux qui rappent et sont restés fidèles à leur choix, d’autres qui se sont essayés à la chanson sans succès et en essayant de retourner au rap se sont plantés, ceux enfin qui font appel au logiciel AUTOTUNE grâce auquel on transforme des paroles en chanson, preuve à l’appui.

Ceux qui se sent sentis visés, pourtant je n’ai ciblé personne, ont commencé à m’attaquer violemment en bande organisée, ont même mis la main sur mes réseaux sociaux pour me faire dire des choses qui ne sont pas de moi. Suite à quoi, je leur ai demandé de nous rencontrer et entamer une discussion large sur les connaissances, le chant, la musique, le rap… Un défi auquel personne n’a répondu favorablement. Ils ont préféré continuer à me calomnier, juchés derrière leurs écrans comme des capons. » Nouamane laisse autrement entendre qu’il est sur des fronts plus constructifs que ce qu’il découvre comme haine à l’endroit de sa personne. A-t-il bien ou mal fait de « s’occuper » des rappeurs locaux ? Pour l’instant, l’escalade en aller simple se poursuit pendant que le concerné dit ceci par rapport à ce qui le rattache à la vie : « La sincérité et mes auto-rencontres.

Je suis casanier avec peu d’amis. J’essaie d’aider quand je peux. Partager. Il m’arrive aussi de faire don de quelques-uns de mes instruments aux conservatoires. » Des déclarations enveloppées d’un flow inné, slamé par endroits.
 
Anis HAJJAM