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Levée des brevets sur les vaccins : Le Maroc pourra-t-il en produire localement ?


Rédigé par Anass MACHLOUKH Mercredi 12 Mai 2021

Au moment où les pays riches s’avisent de libérer les brevets des vaccins anti Covid-19, le Maroc se présente comme un partenaire crédible pour abriter les unités de production, encore faut-il en avoir les moyens. Détails.



La proposition du président américain Joe Biden de lever des brevets des vaccins anti Covid-19 n’a laissé personne indifférent. En pleine pandémie où la stratégie de vaccination mondiale peine à aboutir, faute de quantités suffisantes pour l’ensemble de la population mondiale, les Etats Unis se sont déclarés favorables à rendre publics, ne serait-ce que provisoirement, les brevets des vaccins, en en faisant un bien commun de l’humanité. Une suggestion ayant suscité un débat sans arrêt au sein de la communauté internationale. En plus de l’OMS et l’OMC qui ont aussitôt acquiescé et manifesté leur ardeur, plusieurs pays se déclarent favorables dont la Russie, l’Inde, la France, à l’exception de l’Allemagne qui doute encore des vertus de cette démarche « humanitaire ». Le scepticisme allemand est partagé par les laboratoires qui se montrent quant à eux sceptiques vis-à-vis d’une levée des brevets, sous prétexte de préserver la propriété intellectuelle et l’innovation comme moteur de la recherche. À l’instar du patron de Pfizer Albert Bourla, les laboratoires pensent qu’un partage universel des brevets risque de saboter l’innovation et la rétribution de leurs efforts.

Le Maroc prêtà relever le défi ?

En effet, si la libération des brevets est à l’ordre du jour, c’est pour répondre à l’urgence de la situation épidémiologique mondiale et aux besoins de la production des vaccins dans le monde à travers le concours de nouveaux pays qui seraient en mesure d’abriter des unités de production. Le Maroc est l’une des figures de proue aux côtés de l’Egypte et l’Afrique du Sud pour alimenter le marché africain. Le Royaume se présente comme un candidat crédible sachant qu’il dispose déjà d’un contrat avec le laboratoire chinois Sinopharm dont une clause prévoit le transfert de technologie. En plein débat international, cette question est peu discutée au Maroc et notamment au Comité scientifique, sachant que le gouvernement reste peu disert quant à sa stratégie de produire un vaccin. Sollicité par « L’Opinion », Moulay Mustapha Ennaji, directeur du Laboratoire de virologie de l’Université Hassan II et membre du Comité scientifique, estime que la levée des brevets est une bonne nouvelle et concernant ses retombées sur le Maroc, il précise que cela doit faire l’objet de négociations à l’échelle des gouvernements. Théoriquement, les négociations doivent porter sur l’octroi d’une licence d’office. Ceci dit, les Etats des laboratoires propriétaires des brevets peuvent appeler ces derniers à céder leurs brevets à d’autres fabricants, à titre provisoire, pour satisfaire un intérêt suprême.

Actuellement, le ministère de la Santé ne s’est pas encore prononcé sur la question. Selon les sources que « L’Opinion » a pu joindre, le Royaume est engagé dans une coopération avec la Chine en matière de production vaccinale. Toutefois, le transfert du savoir-faire est loin d’avoir lieu dans le court terme, expliquent les mêmes sources, arguant que la conjoncture sanitaire actuelle fait que la priorité soit accordée aux livraisons des vaccins. En gros, il faut attendre la fin de la campagne de vaccination pour pouvoir se focaliser sur la délocalisation de production de Sinopharm au Maroc. Selon un expert ayant requis l’anonymat, le Maroc a honoré ses engagements en abritant toutes les étapes des essais cliniques, il convient donc à Pékin de remplir les siens.

Au-delà des cercles officiels, le secteur de l’industrie pharmaceutique au Maroc et notamment les laboratoires privés sont manifestement optimistes et se déclarent prêts à relever le défi au cas où les brevets des vaccins, que ce soit américains (Pfizer, Moderna, Johnson & Johnson) ou les autres vaccins (russe ou chinois), seraient libérés. C’est en tout cas le sentiment d’Ali Sedrati, Président de l’Association marocaine de l’industrie pharmaceutique (AMIP), pour qui le Maroc a tous les moyens, aussi bien logistiques qu’humains, pour relever le défi et fabriquer un vaccin sous licence. Selon M. Sedrati, le Maroc a suffisamment de compétence et d’expérience pour produire un vaccin générique, autrement dit une copie du vaccin, qui coûtera, dans ce cas, beaucoup moins cher que celui de la société-mère. En effet, ceci renvoie au souvenir du traitement de l’Hépatite C, qu’un laboratoire marocain a pu générer par un procédé similaire. Même avis pour Jaâfar Heikel, épidémiologiste et expert en économie de Santé, qui croit en la capacité de l’industrie pharmaceutique marocaine. Encore faut-il, selon Tayeb Hamdi, chercheur en politiques et systèmes de Santé, faire face à quelques défis qui se présentent. En plus de l’incertitude qui plane sur la libération des brevets, il convient de s’assurer de la disponibilité des matières premières et de la capacité de construire des unités industrielles dédiées spécialement aux vaccins.

Vers des partenariats public-privé ?

Concernant la faisabilité de la démarche du partage du savoir-faire, comme la levée pure et simple est très contestée vu qu’elle prend beaucoup de temps (à peu près un an, selon Tayeb Hamdi), il est plus simple de produire les vaccins dans les pays intéressés dans le cadre de partenariats. Ceci dit, les grands laboratoires comme Pfizer ou AstraZeneca peuvent partager leur technologie avec des pays partenaires comme le Maroc, à titre gracieux, sans pour autant sacrifier leurs brevets. « C’est l’hypothèse la plus consensuelle qui s’impose actuellement », a-t-il expliqué.

ARN Messager :une technique difficile mais accessible

Supposons, par optimisme, que les vaccins soient libérés, la question est de savoir pour quel vaccin optera le Maroc. Jaâfar Heikel exclut les vaccins à ARN Messagers, recommandant de donner la priorité aux vaccins traditionnels, c’est-à-dire les vaccins atténués ou ceux à vecteur viral, tels que Spoutnik-V, AstraZeneca ou Sinopharm. En fait, le Maroc n’aurait peut-être pas la capacité de maîtriser une technologie aussi complexe que l’ARN Messager, sachant que même des pays avancés comme la France n’y sont pas parvenus jusqu’à présent. « Il faut rester raisonnable », a préconisé M. Heikel. En effet, les vaccins de Pfizer ou Moderna n’ont toujours pas intéressé le Royaume même durant la campagne de vaccination à cause de leur complexité et leurs conditions de stockage, très délicates. Par contre, quelques laboratoires marocains demeurent prêts à relever le défi, malgré les immenses investissements que requiert la nouvelle technologie qui a révolutionné la recherche vaccinale.
 
image_1.png image.png  (1.09 Mo)

Trois questions à Ali Sedrati

« Le Maroc dispose d’au moins deux ou trois compagnies qui peuvent produire des vaccins anti Covid-19 »
Ali Sedrati, président de l’Association marocaine de l’industrie pharmaceutique (AMIP), a répondu à nos questions sur les enjeux de la levée des brevets et la capacité de l’industrie pharmaceutique marocaine à produire les vaccins anti Covid-19.

- Plusieurs pays producteurs de vaccins sont prêts à partager les brevets de leurs vaccins avec le reste du monde, or, cela pose la question de la propriété intellectuelle, peut-on aboutir à un accord commun ?

- Oui, effectivement, d’autant que la conjoncture sanitaire mondiale l’exige sachant qu’il faut répondre aux besoins mondiaux en termes de quantités de vaccins. Or, des contraintes s’imposent car il faut convaincre les laboratoires de partager leurs brevets dans lesquels ils ont investi beaucoup d’argent. En effet, les accords de l’Organisation Mondiale du Commerce permettent une initiative pareille, vu qu’ils prévoient l’obligation des détenteurs de brevets de donner accès à son utilisation en cas d’urgence humanitaire.

- Les laboratoires marocains peuvent-ils produire des vaccins anti Covid-19 facilement en cas de partage des brevets ?

- Oui, il existe des Laboratoires comme Sothema ou Pharma V qui en ont la capacité. Or, cela dépend des vaccins, sachant que Sinopharm ou AstraeZeneca sont plus faciles à produire que les vaccins à ARN Messager qui nécessitent des investissements particuliers en termes d’installation et d’ingrédients. Les laboratoires marocains peuvent jouer le rôle de remplissage (Fill and Finish), c’est-à-dire prendre le produit fini et le mettre dans des seringues destinées à l’injection. Autrement, ces derniers peuvent fabriquer des vaccins génériques, autrement dit des copies, sachant que le Royaume a une longue expérience dans le domaine du générique, surtout en ce qui concerne les médicaments.

- Le Maroc dispose d’un contrat avec le laboratoire chinois Sinopharm qui prévoit aussi un transfert de savoir-faire, pourquoi ce retard ?

- Comme vous savez, le Maroc a obtenu cela en contrepartie d’avoir participé aux essais cliniques. Le contrat dont les détails ne sont pas divulgués parlent d’un partage de technologie avec une société locale marocaine dont le nom est inconnu. Actuellement, on assiste à un retard dans l’exécution des engagements qui ont été pris, dont on ignore les raisons. Rien de concret jusqu’à présent.