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Les centres d’appels marocains face à la loi européenne : l’IA peut-elle sauver le secteur sans sacrifier les salariés ?


Rédigé par Dr Az-Eddine Bennani le Dimanche 21 Septembre 2025



Un secteur vital mais fragilisé

Avec plus de 90 000 emplois directs, près de 800 structures et un chiffre d’affaires estimé à 18 milliards de dirhams,
les centres d’appels constituent l’un des poumons de l’économie marocaine. Ils ont permis, depuis deux décennies,
à des milliers de jeunes diplômés d’accéder au marché du travail, tout en générant des marges confortables pour les
actionnaires du secteur.

Pourtant, ce modèle est aujourd’hui fragilisé. La nouvelle législation européenne – en particulier la loi française qui impose
le consentement explicite (opt-in) pour le démarchage téléphonique à partir de 2026 – combinée aux exigences du RGPD
sur la protection des données, annonce un tournant majeur.


Des impacts économiques et sociaux lourds

Ces règles vont entraîner :

- Une réduction du volume d’appels sortants, cœur de métier de nombreux centres.
- Une hausse des coûts de conformité (sécurité des données, gestion des consentements, audits).
- Une pression sur l’emploi : des milliers de postes risquent de disparaître si le modèle n’évolue pas.

Or, ces emplois sont occupés non seulement par des jeunes en début de carrière, mais aussi par des salariés expérimentés,
parfois présents depuis plus de dix ou quinze ans. Ce sont eux qui ont contribué à la croissance et aux profits du secteur.


L’IA : menace ou planche de salut ?

L’intelligence artificielle est souvent perçue comme une menace pour les métiers de la relation client, car elle permet d’automatiser une partie des tâches : chatbots, voicebots, réponses automatisées. Mais l’IA peut aussi être une planche de salut,
à condition d’être intégrée dans une gouvernance éclairée.

- Complémentarité et non substitution : l’IA peut prendre en charge les tâches répétitives (réponses simples, filtrage des demandes),
  tandis que les agents humains se concentrent sur les interactions complexes, l’accompagnement personnalisé et la gestion émotionnelle.
- Montée en gamme des services : l’IA peut aider à développer de nouvelles offres à plus forte valeur ajoutée (analyse prédictive, fidélisation, omnicanal).
- Amélioration des conditions de travail : en réduisant la charge liée aux scripts répétitifs, l’IA peut rendre le métier moins usant et plus valorisant.


Gouvernance et vigilance sociale

La vraie question est celle-ci : l’IA sauvera-t-elle les centres d’appels marocains, ou servira-t-elle d’alibi pour licencier massivement ?

Il est impératif que la gouvernance du secteur ne cède pas à la tentation de sacrifier les salariés au nom de la compétitivité.
Ces employés – parfois présents depuis des décennies – ont bâti la réputation et la richesse du secteur.

Pourtant, certains abus sont déjà constatés : pressions excessives, conditions de travail précaires, licenciements injustifiés.
Il faut éviter que les employés ne soient contraints de porter plainte et traînés dans les tribunaux en vain.
Face aux grands groupes qui disposent de moyens financiers et juridiques considérables, ce serait un combat inégal –
un Goliath contre Mohamed ou Aïcha, symbole d’un déséquilibre criant entre puissance patronale et fragilité individuelle.

C’est pourquoi le gouvernement et l’inspection du travail doivent rester particulièrement vigilants.
Ils doivent s’assurer que les restructurations nécessaires n’aboutissent pas à des licenciements abusifs,
et que les salariés soient protégés comme il se doit.


Une voie marocaine pour l’avenir

L’IA peut sauver le secteur si elle est intégrée dans une stratégie nationale et inclusive :

- Accompagnement public : aides à la reconversion, programmes de formation en IA et en relation client augmentée.
- Dialogue social renforcé : pour garantir que la transition se fasse dans le respect des droits acquis.
- Diversification des marchés : réduire la dépendance à la France en visant d’autres pays européens, africains et anglo-saxons.
- Positionnement en hub de la relation client numérique : en combinant IA, capital humain expérimenté et proximité culturelle.

Conclusion

L’IA n’est pas une menace en soi. Elle peut être l’outil qui permet au Maroc de transformer une crise en opportunité. Mais cela suppose une gouvernance responsable, qui protège les salariés au lieu de les sacrifier. Les centres d’appels marocains n’ont pas seulement généré des bénéfices pour les actionnaires : ils ont offert des perspectives de vie à des milliers de familles.

Le véritable enjeu est donc de faire de l’IA non pas un prétexte de licenciement, mais un levier de dignité, de compétitivité et de durabilité. Le Maroc a l’occasion de montrer qu’il est possible de conjuguer modernisation technologique et justice sociale, en refusant que les employés soient livrés seuls, comme des David isolés face à des Goliath tout-puissants.