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Le tournant numérique de l’école marocaine


Rédigé par Mohammed ZEROUALI le Vendredi 7 Août 2020

Nous sommes à l’orée d’une rentrée scolaire et universitaire incertaine laissée à la merci de l’évolution de la situation pandémique où l’EAD ne peut rêver d’une caution plus digne de crédibilité, même si les conditions pédagogiques de réussite de son implantation sont encore à un état balbutiant.



Mohammed ZEROUALI, Centre de Formation des Inspecteurs de l’Enseignement.
Mohammed ZEROUALI, Centre de Formation des Inspecteurs de l’Enseignement.
Nul doute que l’enseignement à distance (EAD) est un chantier structurant dont les bénéfices attendus sont énormes : un bénéfice technologique (maîtrise de l’usage des technologies), un bénéfice économique (réduction des coûts de l’enseignement et de la formation), un bénéfice cognitif (la montée en compétence des apprenants) et un bénéfice praxéologique (changement de postures et de pratiques).

Dans le présent article, nous tentons un état des lieux de l’EAD en 7 points, allant du niveau macro au niveau micro, 7 points pouvant faire partie d’une stratégie de démarrage.
 
1- L’injonction institutionnelle : L’on assiste à la massification et à l’hétérogénéité du public scolaire, avec l’idée nouvelle que l’école n’est plus uniquement un lieu où l’on vient chercher un savoir, mais aussi et surtout un lieu où il faut acquérir des compétences nouvelles et des soft skills en vue d’une intégration professionnelle et sociale. Les enseignements ne peuvent plus être uniquement fondés sur des cours traditionnels, ils doivent mobiliser des pratiques innovantes à base des technologies de l’information et de la communication. 

Les TIC c’est le nouveau Graal de l’école marocaine qu’il faut intégrer mais graduellement en respectant le rythme d’adoption de l’institution, sinon on risque d’assister à des implosions. L’école doit certes impulser l’innovation pédagogique, mais elle doit également composer avec son passif et le transformer en actif. D’où la voie incrémentale en matière d’innovation. Il faut penser également à la pédagogie de l’innovation perçue comme « effet diligence » c’est-à-dire pour qu’une innovation soit acceptée, elle doit passer par une période d’acclimatation où l’on applique les méthodes anciennes et habituelles aux nouvelles technologies.

A quand un décret à portée stratégique venant assainir le chantier du numérique et mettre fin à sa cacophonie gestionnaire ?
 
2- La visibilité publique et médiatique : Il n’est rien de plus flagrant que le foisonnement actuel des pratiques et des discours autour des TICE. Est-ce un indice de vigueur ou un flagrant hors-jeu d’égarement ? 

En tout cas, la numérisation de l’enseignement n’est désormais ni un luxe d’initié ni un épiphénomène, mais une nécessité ontologique dotée d’un surcroît de visibilité médiatique. Elle s’est vue accorder le statut de bien public. Même les chaînes publiques ses sont muées en LMS (learning management system) de partage des cours scolaires et de transmission des connaissances, des LMS hélas statiques et peu attentifs au produit. L’urgence certes, mais également l’absence de la logique du branding a donné lieu à une offre éducative remâchée, peu attrayante et sans enjeux (les contenus des cours à distance n’ont pas fait l’objet d’une évaluation certifiante).
 
3- La mise en crise du discours néo-positiviste où ce qui est technique est nécessairement une panacée ordinatrice. Il faut sanctuariser l’école marocaine en la protégeant, sur le mode volontariste, de l’infiltration subreptice de l’idéologie techniciste.

L’objet technique ne peut jamais être la panacée ultime à tous les maux du système éducatif. Nous voilà donc avertis contre une naïveté et un dogmatisme qui seraient exactement contraires aux finalités de la techno-pédagogie.
 
4- La fin du schéma darwinien qui postulait que le distanciel allait phagocyter le présentiel. Les dispositifs de formation appellent la négociation de formes hybrides. Dans ce sens, des progrès considérables ont été réalisés au cours de ces dernières décennies dans le domaine du E-learning. Nous pouvons citer entre autres, l'interopérabilité des plate-formes et des ressources via l'adoption et l'utilisation de normes, l'intégration du design pédagogique à ces mêmes plates-formes, l'intégration de diverses composantes du processus d'apprentissage et l'adaptation selon le profil de l'apprenant.
A quand des plate-formes correctement nanties qui viendraient meubler le vide techno-pédagogique de l’école marocaine ?
 
5- L’objet techno-pédagogique est un objet bicéphale (technique et pédagogique) lesté d’un historicité particulière (un objet qui a évolué et a connu des métamorphoses dans un temps record). Il est un tout synchronisé, scénarisé et soumis à des standards. Il est également un objet distribué, c’est-à-dire affecté d’une double topique spatiale (Présence/Distance). C’est donc une structure gigogne et complexe où vient se loger technologie de l’instruction, pédagogie, docimologie… 

D’objet, l’EAD s’est mué en champ (au sens bourdieusien du terme) et a pu associer recherche et formation là où d’autres domaines épistémiques se définissent et se structurent par rapport à cette dichotomie. D’où le grand nombre de recherches collaboratives.  

D’objet en champ et de champ en marché lucratif, telles sont, en gros, les grandes inflexions qui font l’histoire et la fortune de l’EAD.

Une stratégie ambitionnant d’implanter l’EAD doit composer avec cette pluralité des facettes de l’objet technologique, les aborder de front pour pouvoir répondre aux questions posées par son déploiement, au double niveau national et régional.
 
6- La centralité de la place de l’usager dans les processus de conception-implémentation des dispositifs de formation et l’abandon du focus analytique orienté prioritairement vers les objets techniques. L’on s’écarte d’une approche technocentrée qui ne considérerait les environnements numériques de travail que d’un point de vue instrumental.

Ces écosystèmes numériques deviennent des lieux anthropotechniques d’échange, de circulation, de négociation et d’ajustement. Une des caractéristiques portées au crédit de l’EAD est de permettre une interaction en temps réel, et d’offrir des espaces collaboratifs entre apprenants, entre apprenants et tuteurs et au sein de la même communauté apprenante.

Mais avouons que la sphère de l’usage reste peu explorée et mal comprise. Les processus de production de connaissance par les sujets dans l’utilisation sont peu formalisés. On ne prend pas assez les pratiques et les usages émergents des apprenants dans leur parcours de formation, on ne prend pas assez non plus les effets des comportements émergents à l’occasion de l’usage des TICE sur l’ingénierie des dispositifs de formation et sur la manière d’enseigner ou la manière de concevoir et de pratiquer un cours à distance. Peu d’études ont élu l’analyse des stratégies à même de permettre à l’apprenant d’apprendre à apprendre et de stabiliser ses acquis.

En contexte marocain, on commence à peine à penser à produire des guides, des cadres de référence et des schémas directeurs pour mieux cadastrer le domaine de l’usage, de la production des ressources et des niveaux d’intégration des TICE.
 
7- L’évaluation est une composante de l'apprentissage : Malgré ce rôle déterminant de l'évaluation, il y a lieu de noter que, dans la majorité des environnements numériques, les fonctionnalités associées à l'évaluation en ligne des apprentissages (E-testing) sont très limitées, celles-ci sont souvent sous le format « classique » des tests, c'est-à-dire sur un formulaire Web identique à la version papier du test.

Mais il est toujours possible d'étendre les fonctionnalités de ces environnements pour offrir des évaluations adaptatives, c’est-à-dire des évaluations sur mesure dans lesquelles les tâches et questions administrées varient selon la spécificité du profil-apprenant. Ceci permet d'avoir des évaluations plus informatives et combler certaines limites des tests classiques.

Mohammed ZEROUALI



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