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Le tournant numérique de l’école marocaine

Point de vue


Rédigé par Mohammed ZEROUALI le Dimanche 14 Juin 2020

Au-delà des récits dithyrambiques de la digitalisation et des propos technophobiques, la transition numérique n’étant plus un épiphénomène ; elle s’étend à grandes enjambées et rend possible la négociation de nouvelles formes scolaires. Le confinement serait le laboratoire du futur pour penser les possibles numériques de demain.



Mohammed ZEROUALI, Centre de Formation des Inspecteurs de l’Enseignement
Mohammed ZEROUALI, Centre de Formation des Inspecteurs de l’Enseignement
La spectaculaire réactivité du ministère de tutelle pour honorer les clauses du plan de continuité pédagogique entamé depuis le 16 mars 2020, l’engagement sans faille des différents corps de l’Education Nationale, la mobilisation des chaînes publiques de télévision, l’entrée en lice des Académies Régionales de l’Education et de la Formation, la saturation en matière de production des ressources numériques, les visioconférences ininterrompues, meublent l’économie de cette vacance scolaire forcée.

Laissons-nous prendre au jeu de la scénarisation anticipatrice du monde d’après et projetons-nous dans la temporalité post-coronavirus pour déplier l’écheveau discursif autour de l’avenir des TICE en contexte scolaire marocain.

Il y aura certainement trois possibles techno-pédagogiques.

Le premier discours est itératif ; il compte reconduire à la lettre, et avec le sentiment du devoir accompli, la même gouvernance de la chose numérique. L’argutie convoquée étant la capacité de la réplétion, et dans un temps record, d’un vide abyssal au niveau des ressources numériques, produits maison. Les spéculations apologétiques ne manquent pas de fuser de partout ; certains experts TICE de l’Education Nationale estiment que l’expérience de la continuité pédagogique est une réussite sur tous les plans, qu’il faut la continuer, une fois la pandémie terminée, renflouer le département en charge du numérique et faire des TICE une discipline-reine dans les cursus d’éducation et de formation. Et d’ajouter que l’heure n’étant pas à la critique, la temporalité de l’urgence nous en dispenserait.
Rien n’est plus impudent que des apôtres qui s’évertuent à défendre la continuation d’un modus operandi et des ordonnances qu’ils savent faillibles. Ainsi est-il difficile, dans ces conditions de guerre des légitimités, de refonder un discours péremptoire.

Le deuxième discours est disruptif ; il représente la version Silicon Valley du premier. Ce discours oligopolistique et budgétivore du tout-technologique, entendu comme panacée et substitut salutaire à une forme scolaire obsolète, est défendu par les porte-drapeaux des Gafam (acronyme des géants du Web : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Certains technocrates de l’Education Nationale, obnubilés par le maniement des gadgets, veulent nous en refourguer davantage.

Cet appel au forçage numérique risque de détourner l’école marocaine de ses fondements axiologiques, de la compromettre dans l’artificialisation accrue de la forme scolaire, dans des courses illusoires de la compétition rude, dans l’informatisation à tous crins et dans ce que Roger Clarake appelle la « Dataveillance », voire dans une sorte de nouvelle servitude volontaire aux accents orwelliens.                                                       
Dans cette conjoncture hyperconnectée, la fracture cognitive doublée de la fracture sociale et de la fracture numérique n’en seront qu’accentuées et les effets contre-productifs majorés.
La logique qui anime ce discours échappe à la dynamique comme aux attendus du champ éducatif marocain. Ainsi doit-elle se reconfigurer et se rééquilibrer dans le sens de la relativisation et de la contextualisation, sinon il se transformera en grain de sable qui enraye le fonctionnement optimal d’un projet de « nation apprenante » et en désamorce l’élan.

Le troisième est un discours incrémental ; il postule l’accommodation lucide des TICE pour que celles-ci deviennent des adjuvants, et non des fins, à même de donner lieu à des étayages probants pour une gestion administrative et pédagogique de qualité, de masse et à moindre coût. Il postule également qu’une structure innovante ne peut s’installer que dans la durée.

Au seuil de l’école marocaine, le syntagme technologique ne doit pas se muer en dogme, mais se reformuler à l’aune de l’idéal de l’école inclusive, de la tonalité égalitaire, de la gouvernance décentralisée et des compétences du XXIème siècle. Il faut donc mettre le cap sur les balises de la Loi-Cadre 51-17 et de la Vision Stratégique 2015-2030. C’est de la sorte qu’il faut se réapproprier le nouvel ordonnancement du numérique dans le cadre d’un pays aspirant à un modèle pédagogique dont le pivot est l’apprenant.

Cela permet non seulement de poser les bonnes questions mais en outre de proposer des réponses adaptées d’implémentation techno-pédagogique, de réécriture augmentée de la grammaire curriculaire, de la formalisation des logiques certificatives en régime « blended » et de synchronisation du système éducatif aux besoins du marché du travail.  

Il est paradoxal d’avancer que la pandémie est un viatique de la transformation numérique de l’école marocaine. S’il y a un mérite de la Covid-19, c’est le choc sismique salutaire qu’il a propulsé au sein des structures traditionnelles de l’Education Nationale. Encore faut-il que ce passage, à marche forcée, au numérique ébranle la condition scolaire, c’est-à-dire notre rapport à l’école, à ses fonctions, à ses pratiques pédagogiques, à ses contenus d’enseignement, à ses modes de certification et à l’architecture même de ses salles de classe.

En effet, le tournant numérique est un glissement à la fois sémantique, procédurier et stratégique dont la syntaxe cristallise un quadruple moment : un moment éthique (les valeurs, les finalités à l’origine du projet de société tel qu’il est décliné dans la Constitution 2011, la Loi-Cadre 51-17 et la Vision Stratégique 2015-2030), un moment politique (la question numérique est un choix de société et non l’œuvre d’une lubie technocratique ), un moment épistémique (le savoir comme construit socio-situé et comme produit d’une acculturation d’au moins deux modalités d’enseignement et de formation ; le présentiel et le distanciel ) et un moment managérial (l’approche bottom-up de la chose numérique).
Penser la gouvernance numérique revient à mettre en place un dispositif d’information institutionnel pour le pilotage souverain et efficient du système éducatif, à rationaliser les coûts de formation initiale et continue de masse, à valoriser les expériences innovantes, à renforcer les capacités génératives des communautés innovantes, à orchestrer les flux informationnels et les transferts de compétences atteignant, en régime synchrone, les établissements scolaires.

Ce cahier de charge du basculement vers l’institutionnalisation du numérique nous semble pouvoir s’opérationnaliser à partir de trois leviers : l’hybridation des dispositifs d’enseignement et de formation, la territorialisation de la chose numérique et la disruption tempérée et maîtrisée par le recours à la défétichisation des gadgets technologiques.

Mohammed ZEROUALI



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