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Le Mellah de Marrakech : Porte-drapeau du vivre ensemble pluri-millénaire


Rédigé par Houda BELABD Mercredi 27 Septembre 2023

Les appels à la sauvegarde du Mellah de Marrakech ne datent pas de l’après-séisme d’Al-Haouz. Car il ne se passe pas un demi-siècle sans que cet héritage inhérent et intrinsèque à l’identité plurielle de la Cité ocre et du Royaume ne soit rénové, réhabilité et sauvegardé dans tous les sens du terme. Zoom arrière.



Au commencement, il y a eu le désir irrépressible de reproduire l'expérience fassie et établir un quartier destiné à protéger les citoyens marrakchis de confession juive. De ce fait, en 1558, Hay Essalam, berceau des artisans de la ville, fut transformé en Mellah par décret du Sultan saâdien Abdallah al-Ghalib, permettant aux Musulmans de cohabiter avec leurs cousins sémites comme recommandé et permis dans la Sunna. Le Mellah de Marrakech devint, ipso facto, le deuxième plus ancien du genre de tout le Maroc.

Pour comprendre le pourquoi d'une telle décision, une rétrospective s'impose. Même si Marrakech a été fondée par les Almoravides en 1060, les Juifs se sont basés à 40 km de cette ville et il n'y a pas eu de présence juive attestée dans la Cité ocre jusqu'en 1232. Après les affres et les supplices de la Reconquista et la déportation des Megorachim (Juifs de la péninsule ibérique) en 1492, ces derniers commencèrent à affluer au Maroc, s'installant principalement dans les villes en se mêlant à la communauté juive locale, connue sous le nom de Tovachim (Juifs sépharades d'Afrique du Nord).

Selon l'historien casablancais Michel Abitbol, expert en relations maroco-israélienne, c'est en 1557 que le Sultan Abdallah el-Ghalib entreprit de déplacer les Juifs de la ville vers ce quartier fortifié qui jouxtait la kasbah à l'est et hébergeait, en sus, quelques chrétiens et émissaires européens. Mais ce n'est pas pour autant qu'il le baptisa "Mellah". Selon moult versions historiques concordantes, ce n'est qu'en 1639 qu'il fut, comme celui de Fès, baptisé ainsi. Le Mellah saadien occupait, donc, une superficie de 18 hectares, auxquels il fallut adjoindre 8 hectares de cimetière. Dès l'achèvement des travaux de conservation en 1662, il fut ceinturé de murailles aux dimensions impressionnantes.

Par ces écrits, transmis de siècle en siècle, l'on découvre qu'aux XVIe et XVIIe siècles, ce quartier était l'une des principales zones commerciales de Marrakech, et un quartier sécurisé dont les portes étaient fermées la nuit.

Il y a, certes, eu moult événements tragiques entre ces murs, tels que les maladies et la précarité qui touchait de plein fouet certaines professions, mais l'on ne peut pas réduire un patrimoine aussi riche à quelques décennies sombres et désolantes.

Au milieu du XIXe siècle, la construction d'une mosquée dans la partie sud du Mellah a conduit à l'extension du quartier vers l'est et au remaniement de son tracé pour lui conférer sa forme définitive.

À la fin du XVIIIe siècle, Abraham Sumbel, négociant sympathisant du Sultan Mohammed ben Abdallah, ayant émigré en Allemagne, fit un legs testamentaire prévoyant le prélèvement d'une rente annuelle sur l'usufruit des biens qu'il détenait dans l'État au profit des nécessiteux du Mellah de Marrakech. La pension a été versée jusqu'en 1914, date à laquelle le protectorat français l'a suspendue à la suite du déclenchement de la Première Guerre mondiale.

 
Les écrits restent...
 
Malgré le passage des siècles et la fugacité du temps, les écrits ont la peau dure et imperméable. En témoigne Elias Canetti, Prix Nobel de littérature en 1981, qui fit en 1954 un voyage à Marrakech. Il relate dans « Les Voix de Marrakech » ses pérégrinations dans les rues de la ville, les sonorités, les images et les discours qu'il a recueillis. Dans un chapitre, il décrit avec magnificence sa visite au Mellah de la Cité ocre.
 
 
De tous ces récits, l'on retient également que le cœur battant de ce quartier a longuement été la place des dinandiers, entourée d'artisans d'autres métiers à l'instar des vanniers et des joaillers. Même à l'écriture de ces lignes, ces lieux sont continuellement réhabilités et accueillent bon an, mal an, des kyrielles de touristes venus des quatre coins de la ronde.
Rebaptisé Essalam dans les années 1990, ce quartier a recouvré, début 2017, son nom initial de Mellah, sur ordre de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, dans l'optique de conserver la richesse de la mémoire historique du lieu et de développer son tourisme.

Seulement voilà, le nombre de ses habitants juifs s'est réduit comme une peau de chagrin. Selon des statistiques officielles, plus de 40.000 personnes y vivaient à son apogée, à la fin des années 1940, avant que la communauté n'émigre à la fin du Protectorat français et des Guerres des Six Jours et du Kippour. Les départs se sont surtout effectués vers Israël, la France et Montréal. De nos jours, dans ce même Mellah, la communauté israélite compte environ 200 personnes.

 
 

Nationalisme : L’affluent hébraïque, un droit constitutionnel

Aujourd'hui, beaucoup de personnes se posent la question de savoir pourquoi le nombre des Juifs du Maroc était estimé à des centaines de milliers au XIIème siècle. La réponse à cette interrogation est toute simple: un nombre important d’adeptes de la religion juive dans le monde, et également au Maroc, étaient, à l’origine, des autochtones qui se sont convertis à la religion locale à la suite des campagnes de prosélytisme bien avant que le judaïsme ne devienne une religion non-prosélyte.

Les Sultans alaouites, pour leur part, ont toujours mis les Mégorachim (Juifs de la Péninsule ibérique) et les Tovachim (Juifs autochtones) sur un pied d'égalité en matière de droits.

D'ailleurs, dans un récent discours de SM le Roi Mohammed VI l'on peut apprendre, sans grande surprise que : «Les traditions séculaires de la civilisation marocaine puisent leur essence dans le fait que les Marocains sont profondément imprégnés des valeurs de coexistence, de tolérance et de concorde entre les différentes composantes de la nation».
 
Quant à la sauvegarde des signes de l'affluent hébraïque, le Royaume s’est dévoué à la restauration de tous les temples juifs, a fortiori que la nouvelle Constitution de 2011 a consacré la particularité hébraïque du Maroc comme l’un des affluents séculaires de son identité nationale.

A titre de rappel, dans le préambule de la Constitution 2011 il est souligné que l’unité du Maroc, « forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen ».

 

Histoire : Fès, berceau du premier Mellah marocain

Selon l'intellectuel, écrivain, conférencier et professeur d'études hébraïques Georges Abitbol, le tout premier Mellah fondé au Maroc est celui de Fès. Cette affirmation fait la quasi-unanimité auprès des chercheurs en Histoire et civilisation, au Maroc et en Israël, même si la date exacte de sa fondation ne fait pas l'objet d'un consensus absolu. En revanche, si l'on en croit certains historiens marocains, prolifiques sur la question, les avis restent assez mitigés, voire contrastés quant à l'origine précise de ce mot qui a été soumis à diverses tentatives d'interprétations et de recherches étymologiques. Ainsi, tout le monde ou presque a voulu en deviner le sens, mais en vain.

Selon notre interlocuteur, hébréophone et arabophone, l'origine la plus probable de Mellah est le mot hébreu "mila", signifiant circoncision, qui est passé en arabe classique sous la forme féminine "millah", signifiant religion abrahamique.

Par extension et dans le langage courant, Mellah signifie quartier juif ou juiverie. Notons que ces deux derniers termes revêtent, toujours selon notre source, une connotation péjorative dans la langue française, "compte tenu du passé juif des disciples de David sous les cieux européens", poursuit notre source, qui tient à préciser qu'en arabe marocain, Mellah reste neutre et désigne un quartier où résident principalement des juifs mais où de nombreux non-juifs ont également élu domicile au nom du vivre-ensemble intercommunautaire qui a toujours distingué notre Royaume.

De ce fait, et comme mentionné dans l'historiographie, le Mellah de Fès fait partie d'un ensemble d'édifices érigés à l'extérieur de l'ancienne capitale idrisside par les Souverains mérinides qui y avaient établi le siège de leur gouvernement, et fait de la communauté juive une communauté protégée, voire surprotégée. En effet, en 1276, non loin du vieux Fès, communément appelé aujourd'hui Fès el-Bali, le Sultan Abou Yaacoub Youssef construit Al-Madina-Al-Baïda, l'ensemble de palais et de jardins destiné à la famille mérinide. Le long de la ville blanche, des bâtiments furent dressés avec de grandes écuries pour les chevaux et des magasins pour toutes sortes de marchands et d'artisans, dont de nombreux juifs.

"L'émeute de 1275 a donné lieu à de multiples interprétations farfelues. Mais c'est autour de cette date que les Sultans marocains ont saisi la nécessité de protéger leurs concitoyens de confession juive", poursuit notre intellectuel judéo-fassi.


 

Etudes hébraïques : Les Mellahs dans l’œuvre de Haïm Zafrani

Le Mellah de Marrakech, comme tous les Mellahs du Royaume, a occupé une place de choix dans l'œuvre de l'éminent penseur judéo-marocain Haïm Zafrani (1922-2004). D'ailleurs, il y a un peu plus d'un an, les Archives nationales du Royaume ont tenu à lui rendre un vibrant hommage posthume, en partenariat avec l’Association Essaouira – Mogador, au travers d'une exposition de photos et de documents d’archives à la Galerie des Archives nationales, à Rabat.

Cet évènement, intitulé « Haïm Zafrani : un éminent penseur du judaïsme marocain », s'est, en effet, tenu du 30 novembre 2021 au 6 mars 2022.
 
« Cette exposition, qui est en parfaite harmonie avec les dispositions constitutionnelles relatives à l’importance de toutes les composantes de l’identité marocaine arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, [qui] s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen, projette des lumières sur le patrimoine culturel juif, comme affluent de la civilisation juive mondiale, comme composante fondamentale de l’identité nationale, ou encore comme une des sources de l’étude de l’Histoire du Maroc », pourrait-on lire dans le communiqué des Archives marocaines, dédié à cette exposition.
 
Historien franco-marocain, expert de la culture sépharade et des relations entre Juifs et Arabes, Haïm Zafrani a consacré une quinzaine d'ouvrages et plus de 150 articles au judaïsme en terre d'Islam, en particulier au Maroc. Il est présenté aujourd'hui comme le chevalier de la judéo-arabité et de la judéo-amazighité, comme l'a affirmé M. André Azoulay, Président fondateur de l'association Essaouira-Mogador, lors de l'inauguration de cette exposition.


 

Jalon historique : Partimoine judéo-marrakchi

En 2016, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a ordonné de restaurer les noms des rues liées à l'héritage juif de la ville de Marrakech y compris le nom du quartier à "El Mellah", allouant plus de 20 millions de dollars américains pour la restauration de maisons, rues et synagogues.

De plus, au mois de novembre de la même année, Zouheir Bahloul, membre arabe du Knesset israélien a demandé des fonds au gouvernement israélien pour soutenir une synagogue située dans ce quartier, dans un geste inattendu pour le gouvernement israélien et la communauté juive du Royaume.

Aujourd'hui, le Mellah est l'une des attractions touristiques de la ville et draine des files kilométriques de touristes venus de tous les pays du monde, surtout d'Israël, de France et du Canada, pour n'avoir d'attention que pour les mille et une merveilles du patrimoine judéo-marrakchi. Les mêmes touristes, petits-enfants et arrière-petits-enfants de l'ancienne communauté, n'hésitent pas à laisser leurs pas les mener à la "méâara", cimetière juif jouxtant le quartier, qui témoigne à son tour du passé glorieux de ceux qui ont marqué, ad vitam æternam, plusieurs siècles, voire plusieurs millénaires de vivre-ensemble intercommunautaire.

Ainsi, dans l'armada de récits historiques répertoriés dans les Archives nationales du Royaume, nous pouvons lire qu'il fut un temps lointain où la communauté judéo-marrakchie était la deuxième plus grande de tout le Maroc. Ce fut entre les Vème et XIIème siècles, plus précisément.








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