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Culture

L’art face à la pandémie : Au temps de la Covid-19, les artistes ne se cachent pas pour mourir


Rédigé par Hassan LAGHDACHE le Jeudi 11 Mars 2021

Avec l’épidémie de la Covid-19, comme beaucoup d’entreprises de services, le secteur économique de l’art composé du premier marché dans les galeries, les musées et du second marché dans les maisons de vente aux enchères et les responsables de foires et les collectionneurs, s’interroge sur son avenir à plus ou moins long terme.



L’art face à la pandémie : Au temps de la Covid-19, les artistes ne se cachent pas pour mourir
«Cette crise remet en question les systèmes, y compris chez les artistes. Il faut peut-être penser à faire les œuvres différemment », confie l’artiste Fabrice Hyber. Comment répondre à l’art de l’impréparation que manifestèrent de nombreux politiques par la préparation de l’art à des futurs incertains? Plusieurs artistes ont eu au Maroc la Covid-19. Certains ont eu la maladie au Maroc comme le peintre Farid Triki à Marrakech, d’autres en France comme Melihi récemment décédé, Amina Benbouchta etc. La peintre casablancaise Nawal Sekkat a perdu son mari. D’autres noms peuvent être encore cités.

Très vite, certains artistes commencent à réaliser des œuvres, notamment Hamza Khili qui donne jour à des fresques à Salé. Si les « Street artistes » se sont emparés du thème, l’administration, qui en temps normal, peutêtre amenée à pourchasser ces artistes de la nuit, passe commande d’œuvres à la mi-mai. A côté de ces œuvres utilitaires qui sont des formes publicitaires ou propagandistes, on a vu un exemple humoristique chez Aissa Joud « Reste dans ta maison (avec la traduction anglaise). Il est ensuite écrit en arabe « il est défendu de sortir et merci ». C’est un des très rares messages de forme « double bind » (double liaison) qui exprime simultanément deux impératifs contraires. L’artiste reprend ici une œuvre antérieure qui avait un tout autre sens. Certains artistes ont prédit la pandémie, notamment Inaam Obtel qui a choisi de représenter les virus dans des gravures sur zinc (virus shapes), ou Abderrahim Yamou qui met en œuvre la fragilité puisque des agresseurs microscopiques demeurent cachés dans les profondeurs. 

C’est aussi le cas de Amina Razki, artiste précurseur dès 2019 de scènes alarmantes, ou de Mohamed Rachdi qui se fixe dans les hauteurs de l’espace qui abrite H2/61-26 pour développer une œuvre à l’ère des réseaux. Beaucoup d’entre eux marquent la scène artistique par des œuvres avant tout écologiques, d’autres comme Hiba Khamlichi dissimulent un étrange hermétisme pour entretenir dans un jeu de couleurs de forces et de formes des messages intentionnels, des caractères divinatoires et des parénèses incantatoires.  

L’isolement favorise le questionnement

Une autre catégorie d’artistes s’est jouée avec les œuvres anciennes, comme Amanne Moubarak qui découpe d’anciennes toiles, non pour réaliser d’autres œuvres, comme le fait André El Baz, mais pour réaliser des masques, pour respirer métaphoriquement l’art. Dans le même sillage, Nabil Bayahya procède par des emprunts aux œuvres de Chaïbia pour décrire les esprits confinés et Othmane Chamlani de présenter quotidiennement les travaux des artistes marocains via sa page Facebook dans le cadre des activités virtuelles de «Cloch Art ».

Parallèlement, des questions ont été soulevées concernant l’avenir des galeries, notamment en Afrique. Dans ce sens, Touria El Glaoui a animé un webinaire le 27 mai, Nabil El Mellouki montre chaque jour un tableau de sa collection comme Valérie Delaunay qui laisse la galerie virtuellement ouverte pour changer de la Covidmania. Certains critiques mettent à disposition du public des capsules sur l’histoire de l’art, au moment où certaines résidences continueront via les réseaux comme le 18.

Egalement la fondation Kinda pour l’art arabe contemporain en collaboration avec l’IMA annonce un concours d’art international intitulé «Art across borders » pour mettre la créativité des artistes durant le confinement comme la fondation Attijari Wafa Bank qui a aussi lancé le challenge « Ibdâa men darek » par Achraf Hafidi. Au fil de la crise défilent des questions pour les artistes. Ceux pour lesquels l’essentiel des ventes passe par la vente directe en atelier, cherchent, de leur côté, des solutions pour sortir du confinement. On sait que ce confinement est la situation psychique qu’ils connaissent de manière permanente, du moins pour la plupart puisqu’ils créent dans le silence, au moins dans la solitude de leurs ateliers. Les ateliers partagés ou collectifs existent au Maroc, mais ils sont habituellement l’exception.  

Une question est de savoir aussi s’il convient de produire des tableaux inspirés par la crise actuelle ?

A première vue, les œuvres proposées sont sans grande profondeur. Mais l’un des principaux thèmes de cette peinture est que l’obstacle représenté par le masque n’interdit pas l’expression des désirs amoureux. Une variante assez rare montre que si le désir amoureux est très fort, une prise de risque est possible. Eros peut vaincre Thanatos. Des thèmes secondaires sont également apparus comme celui de la peur ou de la dénonciation d’acheteurs affolés qui se précipitent sur les produits alimentaires ou sur le papier hygiénique pour des raisons quelque peu irrationnelles. Un autre thème est la valorisation des personnes, le plus souvent occultées, qui permettent à la société de continuer d’exister, en particulier l’armée des blouses blanche. 

On commence à peine à voir le travail des ateliers des mois de confinement. En dehors des artistes qui, affolés, s’arrêtent de travailler, il y en a d’autres qui continuent leurs œuvres antérieures et d’autres qui expriment leurs sentiments liés à la situation actuelle. Certains vont même assez rapidement tenter d’opérer le passage vers des créations authentiquement artistiques. D’autres pensent que c’est là un piège mortel pour un peintre. On est dans l’éloignement des contraintes du marché. Pour cela, il ne faut pas tomber dans cet autre piège qui consisterait à aliéner ses créations, à peindre pour se mettre au service des politiques ou des médecins et à respecter les règles proposées. Même s’il y a l’arrêt de la vie, il faut continuer son œuvre en y intégrant de nouvelles questions que l’isolement fait apparaître et non proposer un reflet au premier degré. 

Hassan LAGHDACHE