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« L’Bouffa », Escobar du Sahara, trafic de cocaïne… Sans filtre avec le patron de la division de lutte contre la criminalité transnationale


Rédigé par Saâd JAFRI Samedi 16 Mars 2024

Trafic de cocaïne, de cannabis ou encore de substances psychotropes… les autorités marocaines se plient en quatre pour faire barrage aux stratégies des réseaux criminels opérant dans le trafic de drogues. Abderrahim Habib, commissaire divisionnaire, chef de la division de lutte contre la criminalité transnationale à la Direction centrale de la Police Judiciaire, nous dévoile les coulisses de la chasse aux trafiquants engagée par le pôle Direction Générale de la Sûreté Nationale (DGSN)-Direction générale de la Surveillance du territoire (DGST).



Création : Saad Salimi / L'Opinion
Création : Saad Salimi / L'Opinion
  • Les deux dernières années, le crack, communément connu dans les rues sous le nom de « L’Boufa », défraye la chronique. Un dispositif spécial anti-crack a été mis en place en 2023. Quel est le premier bilan de votre chasse à « L’Boufa» ?

Nous avons asséné un coup très dur aux trafiquants de crack et de ce qu’on appelle « L’Boufa ». Jusqu’à ce jour, nous avons arrêté 923 personnes dans le cadre de 659 affaires, avec la saisie de plus de 10 kg de cocaïne destinée à « L’Boufa ». Ceci grâce à un plan d’action qui a été mis en place en août 2023 et qui nous a permis d’arrêter les principaux trafiquants de cette drogue, opérant dans certaines régions et villes, étant donné que cette dernière n’est pas généralisée au niveau de tout le Royaume.
 
  • Il s’agit des grandes villes a priori?

Plus ou moins… ils opéraient à Casablanca et dans ses périphéries, notamment à Deroua, El Gara, Médiouna, Lahraouiyine, Rahma, Bouskoura, etc. Quelques saisies ont été réalisées dans d’autres villes comme Rabat, toutefois, le Grand Casablanca était un peu la plaque tournante du trafic de « L’Boufa». Mais avant de passer à l’action sur le terrain, de grands efforts ont été fournis en aval, en coordination avec les éléments de la DGST (Direction Générale de la Surveillance du Territoire) et de la PJ (Police Judiciaire), permettant d’établir une liste nominative des personnes qui se livrent au trafic du crack. Nous avons également pu identifier, discrètement, les points de vente, qui connaissent un afflux massif de consommateurs.
 
  • Le secret réside donc dans le travail de renseignement…

Effectivement, ce sont des informations très précieuses et très précises qui permettent de mener des opérations millimétrées. La seconde étape consistait à passer à l’acte sur le terrain, en mobilisant les éléments des zones ciblées. Les résultats sont probants, comme en témoigne la baisse des saisies de crack.
 
  • S’agissant des saisies, le Nord du Royaume était considéré comme la voie principale du trafic, or, aujourd’hui, on remarque des interpellations à peu près partout dans le pays, surtout dans les régions du Sud ?

 Ça dépend de quel type de drogue. Il y a une quinzaine d’années, la région de l’Oriental était par exemple une plaque tournante pour les comprimés psychotropes en provenance d’Algérie. Aujourd’hui, ces substances sont acheminées depuis des pays européens, via divers modes opératoires. Les benzodiazépines (substances souvent utilisées comme sédatifs ou tranquillisants) par exemple depuis l’Espagne, alors que l’ecstasy provient principalement des Pays-Bas, par voies maritimes ou via les postes frontaliers. La marchandise est ensuite acheminée vers les villes en question, comme Casablanca, Rabat, Kénitra, etc. Donc, la porte d’entrée des psychotropes reste le Nord.
 
  • Vos actions sont-elles vraiment efficaces dans la lutte contre la propagation des psychotropes ?

Depuis 2015, nous avons saisi quelque 11.301.697 substances psychotropes, dont 3.736.265 ecstasy. A vous de juger.

Nous avons déjà saisi des convois de drogues dirigés par des membres du Polisario »

 
  • ​​Et pour la cocaïne ? 

Alors, la cocaïne fait l’objet d’une configuration particulière. Souvent, elle survient de l’Afrique subsaharienne, d’où par exemple la grosse saisie de près de 363 kg saisis en janvier dernier au poste frontalier d’El Guergarate. Suite aux tensions géopolitiques que connaît la région, les cartels sud-américains ont tenté de faire de l’Afrique de l’Ouest une plaque tournante du trafic international de cocaïne. Les convois vont depuis l’Amérique du Sud jusqu’aux ports de la région. La marchandise entre ensuite dans la phase de stockage et de conditionnement, pour qu’elle soit distribuée sur deux plans. Une petite quantité est acheminée vers le marché africain et la grande partie va vers l’Europe, où le marché est beaucoup plus lucratif. Novateurs dans leurs démarches de trafic, les cartels cherchent à faire transiter leur marchandise via le Maroc, mais grâce aux efforts du pôle DGSN-DGST, de la Gendarmerie Royale et de la douane au niveau du poste frontalier, lesdites initiatives font souvent pschitt.

D’ailleurs, lors de la dernière saisie, les autorités marocaines ont pu remonter jusqu’au réseau de trafiquants. Nous ne pouvons pas aller trop dans le détail, puisque l’enquête est toujours en cours, mais il y avait une ramification au Maroc qui était censée assurer le transit de la marchandise à un pays européen. Donc, là encore, on voit l’efficacité du travail d’information et d’intervention des différents services du Royaume dédiés à la lutte contre le trafic.
 
  • ​Grosso-modo, quel est le bilan des saisies de cocaïne que vous avez effectuées durant les dernières années ? 
 
Depuis 2015 jusqu’à aujourd’hui, plus de 12 tonnes, avec un taux de pureté qui peut aller jusqu’à 90%. 
 
  • Et combien n’avez-vous pas réussi à saisir ?
 
Difficile de dire, mais ça ne dépasserait pas 10%. 
 
  • Pourquoi donc les trafiquants maintiennent les voies marocaines?
 
Dissuader des trafiquants n’est pas facile. Ils tentent plusieurs voies, jusqu’à ce qu’ils trouvent la faille. En témoigne l’affaire des vols en provenance de Sao Paulo, en 2014, où les cartels avaient essayé de faire passer la drogue depuis l’aéroport Mohammed V, au moyen de mules. L’ensemble des opérations menées dans le cadre de cette affaire nous a permis de saisir plus de 900 kg de cocaïne. Il y a aussi l’affaire de plus d’une tonne de cocaïne dissimulée dans une cargaison de caisses de poisson. Dans le détail, il s’agissait d’un commerçant espagnol qui importait du poisson surgelé du Pérou destiné aux grossistes. Ces derniers ont vendu aux distributeurs, qui en nettoyant les poissons y ont trouvé des paquets de cocaïne. 
 
  • Ces quantités étaient-elles destinées au marché marocain cette fois-ci ?
 
Pour la dernière affaire, nous n’avons pas beaucoup d’informations, puisqu’il s’agissait d’une saisie sèche. Pour la première par contre, une partie était destinée au marché local, mais le reste pour des pays africains et quelques pays européens. À vrai dire, les fournisseurs de coke voulaient alors s’implanter au Maroc pour écouler leurs produits sur place ou procéder à un stockage temporaire dans une zone de transit, pour après les transformer, les conditionner et les écouler. Mais nous avons tué leurs ambitions dans l’œuf.

Saisie de 59 kilogrammes et 218 grammes de cocaïne dans un conteneur frigorifique au port Tanger Med. (Archive)
Saisie de 59 kilogrammes et 218 grammes de cocaïne dans un conteneur frigorifique au port Tanger Med. (Archive)
  • Toujours dans le cadre du trafic dans les provinces du Sud, l’affaire Escobar du Sahara a fait couler beaucoup d’encre. Que représente pour vous cette affaire en termes de réalisations ? 
 
La particularité de cette affaire réside dans les statuts des personnes impliquées, notamment des hommes politiques et des personnalités connues au niveau national. Raison pour laquelle elle a défrayé la chronique. Mais pour moi, en tant que policier, c’est une affaire parmi tant d’autres. Or, elle montre, par contre, le niveau de vigilance des autorités marocaines au niveau de tout le territoire national. 
 
  • En parlant de vigilance, les autorités algériennes déclarent souvent et en grande pompe les saisies de grandes quantités de cannabis, mettant en question l’efficacité du contrôle marocain. Un mot à dire là-dessus ? 

D’emblée, je voudrais préciser que depuis 2018, nous nous sommes focalisés intensément sur les réseaux opérant dans les provinces du Sud du Royaume. De grosses saisies se faisaient quotidiennement de convois de cannabis destinés soit à la Mauritanie, soit à l’Algérie. Aujourd’hui, les autorités algériennes veulent s’attribuer le mérite de la régression des saisies, or, cette baisse est due au travail qui se fait au Maroc, par les autorités marocaines. Transporter le hasch par voie terrestre relève désormais d’un vrai chemin de croix, et ce, grâce à un grand travail de renseignement (identification des personnes, leur localisation et l’itinéraire qu’elles comptent emprunter, les moyens de transport qui seront utilisés et le timing parfait pour l’exécution de l’opération) auquel toutes les composantes du pôle DGSN-DGST ont pris part et dont nous sommes très fiers.
 
  • Quel est le bilan de cette lutte contre le trafic de cannabis ?

Depuis 2015 jusqu’à aujourd’hui, nous avons pu saisir près de 1046 tonnes de cannabis, au niveau national. Ce chiffre en dit long sur la baisse des saisies chez nos voisins de l’Est, comme je soulignais au début. 
 
  • Dans les régions sahariennes, le front séparatiste du Polisario n’est-il pas un acteur dans le trafic de drogue, selon vos informations ?

Il faut être pragmatique. Il est inconcevable de penser que le trafic de drogue à Tindouf n’a aucun lien avec le Polisario. S’il n’est pas impliqué directement dans les opérations, il l’est indirectement en exigeant notamment aux trafiquants ce qu’on appelle le droit de passage. Mais loin des hypothèses, nous avons déjà saisi des convois dirigés par des membres du Polisario. Il y a également des opérations avortées, dont les dirigeants sont basés à Tindouf. Lors des interrogatoires, les personnes interpellées ont avoué qu’elles ont été embauchées par des dirigeants polisariens pour transporter la drogue du Maroc à Tindouf. 
 
  • L’implication est donc avérée…

Exactement.
 
  • Dans 14 ans de carrière à la tête des stups, quelle est l’affaire qui vous a le plus marqué ?

Je ne me rappelle pas trop de l’année, mais il y avait un réseau criminel d’envergure en Espagne, dont les dirigeants auraient, selon les informations fournies alors par nos homologues espagnols, pris la fuite vers le Maroc. Ils nous ont donné quelques identités, mais sans aucune information sûre. Les personnes en question, qui étaient de « gros poissons », recherchées en Espagne pour des crimes odieux, faisaient du trafic international de stupéfiants par voie maritime. Il était donc fort probable qu’ils aient pu entrer au territoire national grâce à des hors-bords nommés «Fantômes», qui font le trajet Espagne-Maroc en 10 minutes. Bref, nous avons lancé l’enquête, qui a duré près de 15 jours. Parmi les informations que nous avions reçues, il y avait celle d’une supposée amie marocaine de l’un des dirigeants. Nous l’avons soumise à une filature, car la police espagnole nous a informé qu’elle comptait rentrer au Maroc (NDLR : suivre à la piste un individu, pour surveiller ses faits et gestes). Dès son entrée au territoire, un transporteur professionnel est venu la chercher à Bab Sebta, pour prendre ensuite la fuite vers Martil. Au début, il a certes échappé à nos radars, mais encore une fois sur la base d’informations très précieuses, les éléments de la PJ sont parvenus à localiser la voiture. Nous avons ensuite pu arrêter les fugitifs, qui avaient en leur possession une énorme quantité d’argent en euros. C’est une affaire marquante de par la coopération étroite entre les différentes autorités nationales et les autorités espagnoles. Aussi, elle nous a permis de faire bonne figure devant nos partenaires internationaux. 
 
  • Concernant le détournement de l’usage de certains produits légaux, comme le «Protoxyde d’azote ». Comment faites-vous pour endiguer ces nouvelles tendances ?

Nous prenons tout d’abord conscience de ces phénomènes grâce à nos partenariats avec la société civile, grâce aux échanges d’informations avec le ministère de la Santé, grâce à nos réunions avec les associations de parents d’élèves, etc. Ces échanges nous permettent de déterminer les nouvelles tendances, en plus du travail purement policier. Notre plan d’action cible les trafiquants directement, sur la base des informations obtenues de la part de nos différents partenaires. 

Plus de 150 000 cartouches de protoxyde d’azote saisies, le 22 février, lors d’opérations policières simultanées à Casablanca et à Marrakech.
Plus de 150 000 cartouches de protoxyde d’azote saisies, le 22 février, lors d’opérations policières simultanées à Casablanca et à Marrakech.
 
  • Les informateurs jouent-ils un rôle là-dedans ?

Evidemment. Et partout dans le monde, les informateurs jouent un rôle crucial dans le travail et l’efficacité de l’action policière. Il sied, toutefois, de préciser que ces personnes-là rendent service à leur pays et qu’il ne faut surtout pas les stigmatiser. 
 
  • L’arrestation puis la condamnation du baron de la drogue le plus redouté des Pays-Bas, RidouanTaghi, a-t-elle eu des ramifications au Maroc ?

L’enquête est toujours en cours. Nous travaillons côte à côte avec les autorités néerlandaises. Nous avons eu des réunions, dernièrement, aux Pays-Bas. Nous partageons avec eux des informations précieuses sur le réseau criminel de RidouanTaghi. La coopération est sur la bonne voie. 
 
  • S’agissant de la coopération sécuritaire internationale, le Maroc est devenu un acteur incontournable dans lutte contre le crime international. Quelle est la place de cette coopération dans vos plans d’action ?

La coopération sécuritaire occupe une place centrale dans nos plans d’action. Les échanges d’informations que j’ai cités dans les différentes affaires se font avec les autorités marocaines, mais également étrangères. Dans ce sens, le Maroc a adhéré à plusieurs instances de coopération sécuritaire internationale comme l’organisation internationale de police criminelle plus connue sous le nom d’Interpol, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, l’Organisation mondiale des douanes, le Secrétariat général du Conseil des ministres de l’Intérieur arabes. De plus, des conventions bilatérales nous lient à d’autres pays amis à travers un réseau d’officiers de liaison et d’attachés de sécurité qui facilitent les échanges. Au fil des années, des affaires et des enquêtes, le Maroc a obtenu la confiance de ses partenaires, grâce à sa célérité, son efficacité et sa réactivité. 
 
  • Quels sont les partenaires internationaux avec qui vous travaillez le plus ?

Nous travaillons avec presque tout le monde, mais un peu plus avec les Etats-Unis (DEA), l’Espagne et l’Italie.









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