Préparé et cuisiné à toutes les sauces, le thon est un poisson cardinal dans l’alimentation moderne, au Maroc et ailleurs. Ainsi, au niveau mondial, « plus de 7 millions de tonnes de thonidés et espèces apparentées sont capturés chaque année. Les thons grands migrateurs et les espèces apparentées représentent 20% de la valeur marchande de toutes les pêches de capture marines et plus de 8% de la production mondiale de produits de mer. Ces poissons jouent ainsi un rôle critique au niveau du développement durable, de la sécurité alimentaire, des opportunités économiques et des moyens de subsistance pour les populations du monde entier », précise l’Organisation des Nations Unies (ONU) dans la page dédiée à la Journée mondiale du thon qui est célébrée chaque 2 mai depuis 2016. Cette espèce se retrouve ainsi annuellement mise à l’honneur, sous les projecteurs de la presse et des scientifiques, « afin de sensibiliser le public à la valeur de ce poisson et à la nécessité d’en assurer la conservation à long terme ».
Thon au Maroc
Le Maroc fait partie des pays directement concernés par l’enjeu de préservation des stocks de thon, puisque les deux façades maritimes du pays connaissent des activités d’exploitation de cette ressource depuis plusieurs décennies. Ainsi, selon l’Institut National de la Recherche Halieutique (INRH), « en 2019, ces espèces (thonidés, NDLR) ont été capturées en Atlantique par 122 palangriers, 955 canots de pêche, 35 senneurs, 23 RSW (navire de Pêche à la Senne) et 36 chalutiers. Tandis qu’en Méditerranée, ces espèces ont été capturées par 44 senneurs et 40 canots de pêche. Le port de Dakhla fournit à lui seul plus de 90% des débarquements de ces espèces. Par ailleurs, les thonidés tropicaux, notamment le thon obèse, l’albacore et le listao ont été principalement exploités sur la côte Atlantique marocaine par 101 palangriers, 1 senneur et 187 canots de pêche ». Une activité de pêche qui s’avère considérable et qui alimente toute une filière de commercialisation et de transformation des produits de la mer.
Pêche et engins
La pêche côtière et la pêche artisanale ne sont par ailleurs pas en reste puisqu’elles capturent également diverses espèces de thon, notamment les « thonidés mineurs » (thonine, maquereau frégate, bonite à dos rayé...). Cette activité se fait par le moyen de divers engins de pêche : « Les palangriers utilisent notamment les filets de surface et accessoirement la palangre et la ligne à main. Les canots de pêche utilisent une multitude d’engins selon la saison de pêche, mais les filets de surface demeurent leur principal engin de pêche. Cette flottille côtière et artisanale réalise généralement des marées journalières et les zones de pêche sont généralement situées près des côtes », peut-on lire dans la plateforme en ligne de l’Observatoire Halieutique de l’INRH. En raison de la surexploitation des stocks mondiaux de plusieurs thonidés, la pêche se retrouve strictement réglementée pour certaines espèces à travers les accords ciblant les pays membres (dont le Maroc) de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (ICCAT).
Protection et surexploitation
Au Maroc, les thonidés mineurs ne font l’objet d’aucune réglementation nationale spécifique puisque les espèces concernées semblent encore épargnées par le « radar » de l’ICCAT. Il n’en demeure pas moins que la pêche de plusieurs autres espèces de thonidés est strictement réglementée à travers des quotas définis durant les tables de négociations de l’ICCAT, mais également par l’intermédiaire de la limitation liée aux nombres d’engins et de périodes de pêche. Des mesures qui prennent tout leur sens au vu du déclin des stocks de thonidés dont le tiers du volume exploité mondialement se fait « à un niveau biologiquement non-durable », selon l’ONU. « À l'heure actuelle, plus de 96 pays sont impliqués dans la conservation et dans la gestion du thon qui a une valeur annuelle de près de 10 milliards de dollars américains. Certains programmes de la FAO ont de plus commencé à donner des résultats positifs en réduisant la surpêche. Ce n’est cependant qu’en redoublant d’efforts que nous pourrons finalement parvenir à une gestion durable de ces ressources », conclut la même source.
3 questions à Mustapha Aksissou, biologiste marin « La surpêche est la menace qui pèse le plus sur ces espèces très convoitées »
Professeur de biologie marine à l’Université Abdelmalek Essaâdi de Tétouan, Pr Mustapha Aksissou répond à nos questions concernant la préservation des stocks marocains de thonidés.
- Quels sont les éléments en commun, d’un point de vue écologique, chez les espèces de thonidés ?
Il existe plusieurs espèces et groupes de thonidés dans la nature, parmi lesquels on peut trouver des groupes caractérisés par la taille importante des individus qui les composent, et d’autres de tailles moins importantes. Les thonidés font partie des espèces migratrices et sont connus pour les grandes distances qu’ils peuvent parcourir et les pics de vitesse qu’ils peuvent atteindre. Leurs migrations se font lorsqu’ils changent d’habitat pour se reproduire ou pour chercher à s’alimenter. Les thonidés sont des carnivores qui sont considérés comme des prédateurs pour les petits pélagiques notamment et se situent ainsi assez haut dans la chaîne alimentaire.
- Quelles sont les menaces principales qui pèsent sur les thonidés au niveau mondial ?
Les diverses espèces de thonidés subissent des menaces globales qui touchent la biodiversité et les écosystèmes marins, à l’instar de la pollution, de la dégradation des habitats ou encore des modifications du milieu qui sont liées au phénomène de changement climatique. Il est cependant avéré que la surpêche est la menace qui pèse le plus sur ces espèces très convoitées. Il convient de noter cependant que les efforts entrepris au niveau international durant ces dernières décennies ont donné des résultats encourageants, grâce notamment au travail de l’ICCAT et des pays membres qui siègent dans cette Organisation.
- Le Maroc déploie-t-il suffisamment d’efforts pour protéger ses stocks de thonidés ?
Le Maroc est aligné sur les recommandations de l’ICCAT puisqu’il met en œuvre les recommandations et les quotas de pêche pour le thon. Cela dit, notre pays peut fournir encore plus d’efforts de protection des thonidés, en élargissant les mesures de protection aux thonidés mineurs, à travers la mise en place d’aires marines protégées notamment. Ce genre de mesure permettra de protéger également la viabilité des stocks d’espèces-proies, à savoir les petits pélagiques dont le déclin est une menace indirecte à toutes les espèces qui s’en nourrissent, notamment les thonidés.
Conservation : Une soixantaine d’espèces de thon menacées d’extinction
Dès 2011, l'Union internationale pour la conservation de la nature a classé sept des 61 espèces de thon connues dans une catégorie menacée, c'est-à-dire en grave danger d'extinction. Le nombre de thons a également diminué en raison du changement climatique, qui désoxygène les océans en se réchauffant, menaçant la survie de la vie marine comme le thon, qui a besoin d'oxygène en raison de sa grande taille. De nombreux pays dépendent cependant du thon pour leur sécurité alimentaire, leur développement économique, l'emploi et la génération de recettes publiques. Plus de 80 États ont des pêcheries de thon et des centaines de milliers de personnes dépendent de la pêche pour leur subsistance. En dépit des stocks encore disponibles de thonidés au niveau mondial, la pêche au thon est associée à des risques majeurs pour la chaîne d'approvisionnement, tels que la surpêche, la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN). Ces activités menacent la durabilité des pêcheries, des écosystèmes marins et des moyens de subsistance.
Gastronomie : Pêché au Maroc et consommé ailleurs, le thon rouge, roi des mers
Parmi toutes les espèces de thonidés dont les quotas de pêche sont fixés régulièrement par la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (ICCAT), l’espèce qui exacerbe le plus de tensions et suscite souvent les levées de boucliers des pays membres est le fameux thon rouge. Ne le cherchez pas dans les commerces du Royaume, car il est très peu probable que vous en trouviez, sauf dans certains cas de pêches accessoires (accidentelles). Ceci pour la simple raison qu’il fait partie des poissons les plus chers et que l’ensemble des stocks de thons rouges pêchés au Maroc sont destinés à l’export. Selon l’INRH, « au Maroc, le thon rouge est exploité principalement durant son passage saisonnier, au moyen des madragues, à la ligne à main et à la senne tournante. Habituellement, la période d’activité des madragues s’étend d’avril à juin ». Les mesures de conservation et de gestion décidées par l’ICCAT, concernant les stocks de thon rouge de l’Atlantique Est et de la Méditerranée, ont par exemple fixé un quota annuel de 3.700 tonnes pour l’année 2023. Le poids minimal de capture est par ailleurs fixé à 30 kg par individu et de 8 kg pour la pêche à la ligne à main. Quatre périodes sont par ailleurs fixées pour chaque type de pêche et zone maritime. Très lucrative, la pêche au thon rouge génère des revenus importants puisque le prix au kilo de cette espèce peut rapidement dépasser les 300 dirhams. En 2019 au Japon, un thon rouge de 278 kilos a été vendu à un prix record de 2,7 millions d’euros.