Lorsqu’ils se croisent à la fin des années 1950, le scénariste Goscinny et le dessinateur Sempé sont de parfaits inconnus. Le premier n’a pas encore enfanté « Astérix », le second doit patienter avant de devenir l’aquarelliste des « Grands Rêves ». Ils décident alors de replonger dans leur tendre et turbulente enfance. C’est la naissance des aventures du Petit Nicolas qui ne tardent pas à séduire plusieurs générations. Ces histoires illustrées paraissent d’abord sur les colonnes de « Sud-ouest Dimanche ».
La publication ultérieure des cinq volumes s’écoule à plus de huit millions de copies qui sont aujourd’hui traduites dans une trentaine de langues. Dominique Caubet, professeur des Universités émérite d’arabe maghrébin, raconte la genèse de la version en darija qu’elle dirige il y a dix années : « En 2012, les éditeurs du Petit Nicolas (IMAV) ont eu le projet de créer une collection de traduction dans les ‘’Langues de France’’. Ils avaient contacté la Délégation Générale à la langue française et aux langues de France pour en connaitre la liste et la présence de l’arabe maghrébin dans cette liste avait attiré leur curiosité. La France compte pas moins de 75 langues ‘’régionales ou minoritaires parlées traditionnellement par des citoyens français qui ne sont langues d’aucun autre Etat’’. La collection compte aujourd’hui 15 volumes, allant du breton au corse en passant par le yiddish et divers créoles. La traduction allait donc se faire dans un contexte français où une reconnaissance avait été accordée en 1999 en tant que ‘’langues minoritaires non territoriales’’ à des langues de migration anciennes, le ‘’berbère’’ (amazigh) et l’arabe dialectal. L’arabe maghrébin est la langue la plus parlée en France après le français, puisqu’on estime son nombre de locuteurs à trois ou quatre millions, qui ont des origines variées, de culture musulmane ou juive, issus de mouvements migratoires anciens et variés, rapatriés ou immigrés. Était-ce faisable ? La réponse a été oui sans hésiter, tout en sachant que ça n’allait pas être tâche facile. »
D’autant que le concept maghrébin de la langue arabe n’est pas aisé à assimiler par chacun des trois pays concernés. Mais la parade est trouvée : « L’arabe maghrébin est le nom générique qui regroupe les darijas algérienne, marocaine et tunisienne. Nous avons fait le choix de l’authenticité, sans chercher à fabriquer une langue médiane maghrébine artificielle, et nous avons réparti les neuf histoires, à raison de trois par langue. J’ai été chargée de coordonner le travail avec les trois traducteurs, dont deux sont enseignants à L’INALCO (Jihane Madouni et Wahid Fayala), et pour le marocain, le choix s’est porté sur un weld el blad, Amine Hamma, musicien et acteur incontournable de la scène artistique marocaine. Après ce premier essai, nous avons récidivé en coécrivant Jil LKlam, un recueil de textes de la nouvelle scène marocaine. »
Krwassa » et « ptipanat b cheklat »
Restent trois segments épineux dans pareille entreprise : écrire en darija, traduire les noms propres et adapter les appellations liées à la nourriture.
« Le travail s’est fait en 2013-2012, à une époque où la graphie arabe commençait juste à se développer sur les réseaux sociaux qui écrivaient massivement en 3aransiya. La graphie arabe ne se développera qu’à partir de 2015 avec la progression des smartphones. Nous avons donc choisi d’écrire ces histoires en graphie arabe et latine en mélangeant les habitudes de l’orthographe française (kh pour, gh pour, ch pour, et - les nouvelles graphies électroniques (3 pour, 7 pour, 9 pour). Pour les prénoms, nous avons gardé Nicolas, mais tous les autres, Alceste, Rufus, Eudes, Geoffroy sont devenus Hamid, Ziyad, Antar et Sami, et Marie-Edwige, Zoulikha. Nous avons essayé de conserver les jeux de mots et on le sait, quoi de plus intraduisible ! Ainsi M. Blédurt s’appelle Si Guemha, M. Dubon, Si Lahlou, Léon Labière, Bouchaïb Bou Birra. La plupart des noms de nourriture existent en tant qu’emprunts au Maghreb et ont été conservés et transcrits : ‘’croissant’’ se dit ‘’krwassa’’, ‘’petits pains au chocolat’’ forme même un pluriel en marocain ‘’ptipanat b cheklat’’. » Dominique Caubet n’est pas peu fière d’avoir mené à bon port, avec ses complices traducteurs, ce challenge en darija : « Le Petit Nicolas présente une inoubliable galerie de portraits d’affreux jojos qui tapissent notre imaginaire. Après moult consultations, nous avons réussi à tout traduire, ce qui prouve d’abord l’universalité du propos contenu dans ces histoires mais aussi que la darija a la capacité de tout dire, de tout rendre, avec toutes les finesses nécessaires. »
Une belle simplicité
Dans l’univers du dessin et de sa mise en images, le Maroc compte Mohamed Beyoud qui use du trait et gère la direction artistique du FICAM, festival international du cinéma d’animation de Meknès.
Son témoignage est celui d’un enfant qui refuse de grandir : « Ma dernière ‘’rencontre’’ avec Sempé remonte au mois de juin dernier lors de la dernière édition du festival d’Annecy, plus grand festival dédié au film d’animation dans le monde. Bien qu’il a été présenté à Cannes, ‘’Le Petit Nicolas, qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?’’ d’Amandine Fredon et de Benjamin Massoubre était très attendu par les festivaliers et a, par ailleurs, remporté le Cristal du long-métrage d’animation face à une rude concurrence. Une belle reconnaissance pour ce remarquable long-métrage d’animation et pour l’équipe qui a travaillé dessus. ‘’Le Petit Nicolas, qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?’’ est un film tendre, poétique et drôle qui raconte la rencontre entre deux grands génies : Jean-Jacques Sempé et René Goscinny et revient sur la naissance du Petit Nicolas avec son gilet rouge, de ses parents, de ses amis, de son école. Un film qui rend également hommage au trait de Sempé et à son immense talent. J’avais, bien évidemment, découvert Sempé, dans ma jeunesse, grâce au Petit Nicolas, mais ce qui m’avait marqué le plus chez lui, c’était un livre, ‘’Un peu de Paris’’, qu’il avait dédié à la ville-lumières et à la splendeur de la capitale parisienne avec des scènes de vie d’une belle simplicité... Ce recueil de dessins m’avait véritablement marqué car il démontrait, d’une part, la virtuosité, encore une fois, du trait de Sempé, et donnait, d’autre part, réellement envie de visiter ou revisiter la ville sur les traces de cet immense artiste. Sempé est donc parti et s’en est allé rejoindre mon panthéon des dessinateurs de génie : Gotlib, Wolsinky, Cabu… »
A l’annonce de la disparition du maître, une armada d’internautes s’est empressée de lui rendre hommage, lui empruntant son célèbre trait. On en garde ce dessin où on voit Le Petit Nicolas, le regard mouillé tourné vers le ciel, avec l’inscription : « Au revoir papa. »
La publication ultérieure des cinq volumes s’écoule à plus de huit millions de copies qui sont aujourd’hui traduites dans une trentaine de langues. Dominique Caubet, professeur des Universités émérite d’arabe maghrébin, raconte la genèse de la version en darija qu’elle dirige il y a dix années : « En 2012, les éditeurs du Petit Nicolas (IMAV) ont eu le projet de créer une collection de traduction dans les ‘’Langues de France’’. Ils avaient contacté la Délégation Générale à la langue française et aux langues de France pour en connaitre la liste et la présence de l’arabe maghrébin dans cette liste avait attiré leur curiosité. La France compte pas moins de 75 langues ‘’régionales ou minoritaires parlées traditionnellement par des citoyens français qui ne sont langues d’aucun autre Etat’’. La collection compte aujourd’hui 15 volumes, allant du breton au corse en passant par le yiddish et divers créoles. La traduction allait donc se faire dans un contexte français où une reconnaissance avait été accordée en 1999 en tant que ‘’langues minoritaires non territoriales’’ à des langues de migration anciennes, le ‘’berbère’’ (amazigh) et l’arabe dialectal. L’arabe maghrébin est la langue la plus parlée en France après le français, puisqu’on estime son nombre de locuteurs à trois ou quatre millions, qui ont des origines variées, de culture musulmane ou juive, issus de mouvements migratoires anciens et variés, rapatriés ou immigrés. Était-ce faisable ? La réponse a été oui sans hésiter, tout en sachant que ça n’allait pas être tâche facile. »
D’autant que le concept maghrébin de la langue arabe n’est pas aisé à assimiler par chacun des trois pays concernés. Mais la parade est trouvée : « L’arabe maghrébin est le nom générique qui regroupe les darijas algérienne, marocaine et tunisienne. Nous avons fait le choix de l’authenticité, sans chercher à fabriquer une langue médiane maghrébine artificielle, et nous avons réparti les neuf histoires, à raison de trois par langue. J’ai été chargée de coordonner le travail avec les trois traducteurs, dont deux sont enseignants à L’INALCO (Jihane Madouni et Wahid Fayala), et pour le marocain, le choix s’est porté sur un weld el blad, Amine Hamma, musicien et acteur incontournable de la scène artistique marocaine. Après ce premier essai, nous avons récidivé en coécrivant Jil LKlam, un recueil de textes de la nouvelle scène marocaine. »
Krwassa » et « ptipanat b cheklat »
Restent trois segments épineux dans pareille entreprise : écrire en darija, traduire les noms propres et adapter les appellations liées à la nourriture.
« Le travail s’est fait en 2013-2012, à une époque où la graphie arabe commençait juste à se développer sur les réseaux sociaux qui écrivaient massivement en 3aransiya. La graphie arabe ne se développera qu’à partir de 2015 avec la progression des smartphones. Nous avons donc choisi d’écrire ces histoires en graphie arabe et latine en mélangeant les habitudes de l’orthographe française (kh pour, gh pour, ch pour, et - les nouvelles graphies électroniques (3 pour, 7 pour, 9 pour). Pour les prénoms, nous avons gardé Nicolas, mais tous les autres, Alceste, Rufus, Eudes, Geoffroy sont devenus Hamid, Ziyad, Antar et Sami, et Marie-Edwige, Zoulikha. Nous avons essayé de conserver les jeux de mots et on le sait, quoi de plus intraduisible ! Ainsi M. Blédurt s’appelle Si Guemha, M. Dubon, Si Lahlou, Léon Labière, Bouchaïb Bou Birra. La plupart des noms de nourriture existent en tant qu’emprunts au Maghreb et ont été conservés et transcrits : ‘’croissant’’ se dit ‘’krwassa’’, ‘’petits pains au chocolat’’ forme même un pluriel en marocain ‘’ptipanat b cheklat’’. » Dominique Caubet n’est pas peu fière d’avoir mené à bon port, avec ses complices traducteurs, ce challenge en darija : « Le Petit Nicolas présente une inoubliable galerie de portraits d’affreux jojos qui tapissent notre imaginaire. Après moult consultations, nous avons réussi à tout traduire, ce qui prouve d’abord l’universalité du propos contenu dans ces histoires mais aussi que la darija a la capacité de tout dire, de tout rendre, avec toutes les finesses nécessaires. »
Une belle simplicité
Dans l’univers du dessin et de sa mise en images, le Maroc compte Mohamed Beyoud qui use du trait et gère la direction artistique du FICAM, festival international du cinéma d’animation de Meknès.
Son témoignage est celui d’un enfant qui refuse de grandir : « Ma dernière ‘’rencontre’’ avec Sempé remonte au mois de juin dernier lors de la dernière édition du festival d’Annecy, plus grand festival dédié au film d’animation dans le monde. Bien qu’il a été présenté à Cannes, ‘’Le Petit Nicolas, qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?’’ d’Amandine Fredon et de Benjamin Massoubre était très attendu par les festivaliers et a, par ailleurs, remporté le Cristal du long-métrage d’animation face à une rude concurrence. Une belle reconnaissance pour ce remarquable long-métrage d’animation et pour l’équipe qui a travaillé dessus. ‘’Le Petit Nicolas, qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?’’ est un film tendre, poétique et drôle qui raconte la rencontre entre deux grands génies : Jean-Jacques Sempé et René Goscinny et revient sur la naissance du Petit Nicolas avec son gilet rouge, de ses parents, de ses amis, de son école. Un film qui rend également hommage au trait de Sempé et à son immense talent. J’avais, bien évidemment, découvert Sempé, dans ma jeunesse, grâce au Petit Nicolas, mais ce qui m’avait marqué le plus chez lui, c’était un livre, ‘’Un peu de Paris’’, qu’il avait dédié à la ville-lumières et à la splendeur de la capitale parisienne avec des scènes de vie d’une belle simplicité... Ce recueil de dessins m’avait véritablement marqué car il démontrait, d’une part, la virtuosité, encore une fois, du trait de Sempé, et donnait, d’autre part, réellement envie de visiter ou revisiter la ville sur les traces de cet immense artiste. Sempé est donc parti et s’en est allé rejoindre mon panthéon des dessinateurs de génie : Gotlib, Wolsinky, Cabu… »
A l’annonce de la disparition du maître, une armada d’internautes s’est empressée de lui rendre hommage, lui empruntant son célèbre trait. On en garde ce dessin où on voit Le Petit Nicolas, le regard mouillé tourné vers le ciel, avec l’inscription : « Au revoir papa. »
Anis HAJJAM