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Culture

Jamal Boushaba, caresses et éraflures


Rédigé par Anis Hajjam Anis HAJJAM le Dimanche 25 Avril 2021

Miné par la maladie, l’homme, originaire de Debdou, s’est éteint le 20 avril à la veille de ses 56 ans et au lendemain de la parution d’un recueil de poésie. Journaliste, critique d’art, acteur culturel, il aura vécu en dandy flamboyant.



Son cœur battait pour la sincérité, la beauté, l’amour, la vie.
Son cœur battait pour la sincérité, la beauté, l’amour, la vie.
Il était la bête noire de lui-même. Intransigeant, soigneux, entier, sans concession aucune. Ses réactions épidermiques lui ont souvent causé de sérieux quiproquos. Mais il n’en avait cure. Acteur culturel de premier ordre, Jamal Boushaba ne faisait pas dans la demi-mesure. Quand il s’agissait de dire ses quatre vérités à quelqu’un, il le lui faisait savoir sans détour, quitte à se soulager de sa compagnie. Doté d’un humour incisif, il dégageait une bonhomie rare, proche de la naïveté. Son cœur battait pour la sincérité, la beauté, l’esthétique, l’amour, la vie. Quand il dégainait son rire, c’était la contagion alentour. L’homme évoluait à distance de la réalité réelle. Il survolait ce qui cimente le profit, méprisait l’hypocrisie, combattait la légèreté du discours. L’art était son vaste refuge. Il lui a consacré une énergie jamais démentie. Ceux qui l’ont connu lui reconnaissaient une fougue inconsolable pour l’éclat et la grâce. Jamal était un réparateur des cœurs.

Aventures excitantes 

Jeune, Boushaba sait que son destin ne peut échapper aux griffes de la culture. Il se laisse donc érafler avec délicatesse. Il commence par pousser la porte de l’école des Beaux-arts. Ses études achevées, il rumine avant de cofonder le mensuel gratuit «Les Alignés», une pépite traitant de l’art avec un souffle nouveau. Nous sommes en 1992 (trois années avant la création de Casamémoire où il milite) et espérons sortir de la morosité des années 1980. Cette première expérience se solde par une brutale fermeture du mensuel. Jamal est rapidement approché par «Téléplus» dont il devient le rédacteur en chef. Le champ de l’intitulé du magazine est alors élargi à l’art, à tous les arts. Les rêves éveillés du journaliste prennent du volume et commencent à se réaliser au fur des rencontres, à mesure d’aventures de plus en plus excitantes. Jamal intègre l’hebdomadaire «La Vie économique» sous la houlette du cérébral et grand faiseur de titres de presse Jean-Louis Servan-Schreiber qui le nomme chef du service Culture. Au contact de ce grand homme, Jamal Boushaba peaufine ses connaissances en termes de technique journalistique. En 1999, il est «transféré» en France dans le cadre de l’animation artistique de l’année du Maroc dite «Le Temps du Maroc». Dans la foulée, il se lance un défi d’envergure en créant avec sa sœur Mounya et son frère Amine un trimestriel à caractère artistique et culturel. Le bébé, prénommé «Au Maroc», naît à l’automne 2000. Un fanzine d’une avant-garde insolente. Chapeautant la direction de la publication, la rédaction en chef et la direction artistique, Jamal se vautre dans des explorations tous azimuts. Avec finesse et rigueur. L’aventure dure le temps de deux numéros, le premier sur Casablanca, son amour, et le second sur Marrakech où il espère s’installer. Les deux publications deviennent cultes et se rangent sur l’étagère des collectors. 

Touche-à-tout culturel

Critique d’art, commissaire d’expositions et agitateur artistique, Jamal Boushaba continue de faire le bonheur des rubriques culturelles qu’il dirige pour le compte du magazine urbain «Parade», «Le Journal hebdo» et ensuite la plateforme électronique «Le Desk». Ses dernières collaborations émaillent les colonnes de l’hebdomadaire «Tel Quel» du temps où la culture y trônait avec élégance. D’autres supports comme le très plastique «Diptyk» font appel à ses critiques affutées, suscitant estime et respect. Il y a peu, il crée le site internet artetc.ma, une vitrine de l’art contemporain. Le talent de Boushaba déborde sur d’autres expressions comme l’architecture qu’il évoque avec fougue et passion. Ce touche-à-tout culturel diversifie ses outils d’intervention, s’abandonnant à la chronique radiophonique et télévisuelle avec une précision tracée au compas.  Il lègue deux monographies éditées par «La Revue maure», l’une consacrée à l’artiste plasticien Younes El Kharraz et l’autre dédiée à l’architecte Rachid Benbrahim Andaloussi. A son crédit également, un livret biographique du peintre Saad Hassani. Un mois avant sa disparition, Jamal Boushaba réalise un vieux rêve en sortant un recueil de poésie illustré par des photographies de Deborah Benzaken, «Champs de nuit» paru aux éditions Le Fennec. L’ouvrage se ferme sur ces vers :
(…)
«Le ciel descend, se déploie et s’étend comme
une immense tente sur la terre
Sur la butte se consume un maigre foyer
Tout près l’enfant aux yeux trop grands de voir
dans le noir
Et pourquoi ce soir-là lit-il son destin ?
L’enfant n’a pas peur et s’il tremble c’est de
sentir le départ»
Difficile de ne pas lier ce départ à ta fugue définitive. Difficile aussi de parler de toi au passé. Difficile enfin de ne plus pouvoir te conjuguer au présent.