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Invasion en Méditerranée : Les algues brunes à l’assaut des plages marocaines !


Rédigé par Oussama ABAOUSS Dimanche 7 Août 2022

Introduites accidentellement, des algues brunes nauséabondes et invasives colonisent progressivement les plages méditerranéennes marocaines, espagnoles et portugaises.



Les plages dorées de la région portugaise de l’Algarve ont depuis quelques jours été complètement envahies par des tonnes d’algues brunes qui indisposent les estivants. Classée par l’Union Européenne comme « espèce exotique envahissante », cette algue non-indigène (Nom scientifique : Rugulopteryxokamurae) a été signalée en 2015 sur les côtes andalouses espagnoles. Certaines sources décrivent une prolifération qui aurait d’abord débuté dans les plages de Sebta avant de se propager et de gagner les plages de Tarifa, Malaga et Grenade.

Ainsi, selon le média espagnol El Pais, plus de 5.000 tonnes de ces algues brunes ont été ramassées dans la plage de Sebta dès 2015. Du fait de sa ressemblance avec d’autres espèces méditerranéennes, les scientifiques estiment que l’apparition et la prolifération de cette espèce invasive auraient pu se dérouler pendant plusieurs mois sans pour autant être signalées. Pourtant, les impacts négatifs de cette algue sont potentiellement graves.

Faune locale en danger

À ce stade, les biologistes assurent que l’espèce n’est pas toxique pour l’Homme. Ses conséquences sur la faune aquatique locale sont en revanche très inquiétantes. Une étude menée dans la zone marine protégée de Jbel Moussa entre 2015 et 2019 a, par exemple, pu établir que ces algues brunes se sont développées rapidement au détriment de l’habitat coralligène dont la structure a été altérée à cause de la régression d’autres espèces locales.

« Ces espèces sont sensibles à l’augmentation de la température de l’eau et subissaient déjà une régression progressive en raison des perturbations anthropogéniques (dues aux activités humaines, NDLR) et des invasions biologiques précédentes. Tous ces facteurs ont pu réduire la concurrence de niche dans la zone et favoriser les impacts causés par Rugulopteryxokamurae dans la zone », soulignent ainsi les auteurs de l’étude qui pointent par ailleurs « la nécessité d’une réponse administrative rapide pour augmenter les efforts d’atténuation sur cet habitat protégé ».

Impacts sur la pêche

Face à la récente apparition des algues brunes sur leurs côtes, les pêcheurs portugais n’ont pas manqué d’exprimer leur inquiétude. « Les algues peuvent s’infiltrer dans les filets et faire en sorte que ces derniers n’attrapent pas de poissons », a expliqué au micro d’Euronews Fábio Matos, de l’Association des pêcheurs de Barlavento au Portugal.

En raison de sa texture, cette algue brune n’est pas consommée par les poissons et sa prolifération n’est donc pas contrôlée. Ainsi, aux autres espèces invasives qui ont déjà altéré les équilibres de la mer Méditerranée, s’ajoutent également ces algues qui gâchent le plaisir des baigneurs et des promeneurs. Selon les spécialistes, l’algue serait arrivée en Méditerranée en s’accrochant aux coques des navires ou dans les eaux de ballast (utilisées à bord des bateaux pour les stabiliser avant d’être déversées à leur arrivée dans un port). Son apparition au niveau des côtes du Détroit de Gibraltar n’est de ce fait pas anodine au vu du fort trafic maritime que connaît la zone.

Mesures urgentes

« L’état actuel de prolifération de cette espèce exotique envahissante au niveau des côtes et plages méditerranéennes marocaines n’est pas encore établi avec précision. Au vu de son impact négatif sur la faune et la flore aquatiques au niveau des aires protégées marines, mais également sur le tourisme et les activités de pêche, il serait judicieux de mettre en place une cartographie précise pour faire le suivi de la prolifération », estime pour sa part Houcine Nibani, biologiste et président de l’Association de Gestion Intégrée des Ressources (AGIR).

« Au vu également de la croissance du trafic et des introductions accidentelles d’espèces exotiques, il est vital de multiplier les dispositifs de prévention en renforçant notamment les mesures de contrôle du déballastage des navires. Autrement, en tenant compte de la taille et des spécificités de la mer méditerranéenne, il reste difficile de lutter contre l’apparition d’espèces invasives sans mettre en place un effort collectif et coordonné qui implique un maximum de pays riverains », conclut la même source.



Oussama ABAOUSS

Repères

Poissons-intrus
Les algues exotiques en provenance d’autres contrées marines ne sont pas les seules à envahir la Méditerranée. Plusieurs espèces de poissons sont également de plus en plus signalées, principalement en provenance de la Méditerranée orientale en raison de la connectivité avec la mer Rouge à travers le canal de Suez. Les scientifiques évoquent le nombre de 900 espèces exotiques différentes, qui ont commencé à coloniser les côtes de la Méditerranée orientale, dont certaines sont extrêmement toxiques pour l’Homme.
 
Crabe bleu
Le crabe bleu est une espèce qui, depuis quelques années, a fait son apparition au niveau des côtes méditerranéennes marocaines. Ce crustacé est également réputé pour son impact négatif sur la biodiversité autochtone. Détecté pour la première fois sur la côte espagnole en 2012, puis en France en 2014, le crabe bleu est originaire d’Amérique du Nord. À noter que le coût économique des invasions d’espèces exotiques envahissantes dans le bassin méditerranéen est estimé entre 1990 et 2017 à plus de 27,3 milliards de dollars.

L'info...Graphie

Invasion en Méditerranée : Les algues brunes à l’assaut des plages marocaines !

Dégâts


Une espèce qui modifie profondément les habitats naturels
 
Les algues brunes qui sont actuellement en train de coloniser les écosystèmes méditerranéens sont originaires de la mer de Chine méridionale. Leur prolifération s’est également étendue au niveau de l’océan Atlantique puisque leur présence a été signalée dans l’archipel des Açores.

Selon les naturalistes portugais, l’algue brune a « profondément modifié l’habitat côtier des Açores dans les zones où elle s’est déjà établie. En seulement deux ans, elle a réussi à devenir l’espèce dominante sur le littoral ». En plus de ses capacités d’adaptation, l’algue brune a trouvé dans les écosystèmes marins méditerranéens les conditions idéales pour une croissance rapide. Si sa présence sur les plages incommode les baigneurs, sa dégradation peut également être source de nuisances olfactives à cause de l’hydrogène sulfuré qui résulte de sa décomposition.

Selon les médias espagnols, le gouvernement andalou a mis en place un fonds au bénéfice des pêcheurs afin de compenser les pertes occasionnées par l’algue qui envahit les filets et détruit l’habitat d’espèces comme le calamar et l’araignée de mer.
 

Coopération


Les ports méditerranéens s’allient contre les déballastages sauvages
 
Financé par l’Union Européenne, le projet ILIAD intègre une composante de contrôle des eaux de ballast à travers des dispositifs innovants qui seront testés au niveau de plusieurs ports méditerranéens.

« Au Maroc, ce projet est coordonné par l’Observatoire Odysséa de l’Association de Gestion Intégrée des Ressources (AGIR). L’implication de plusieurs ports méditerranéens est le seul moyen de mettre en place une lutte coordonnée contre les pratiques de déballastage qui peuvent introduire accidentellement des espèces invasives. Dans sa dynamique de prolifération, une algue exotique invasive, par exemple, ne s’embarrassera pas de considérations frontalières. C’est pour cette raison que le projet ILIAD met à contribution plusieurs infrastructures, notamment les ports de Valence, de Valencia et de Tanger Med », explique Houcine Nibani, président de l’AGIR.

L’objectif vise à terme de généraliser les protocoles et les bonnes pratiques qui permettront d’atténuer les risques d’apparition d’espèces invasives. « Une autre composante de ce projet se penche sur la mise en place d’un travail participatif d’identification et de suivi des espèces invasives déjà présentes », poursuit Houcine Nibani qui espère que le bon esprit de collaboration sera au rendez-vous.

« C’est un chantier vital dont le succès repose sur l’implication d’un nombre élevé de parties prenantes. Au vu de la qualité des institutions nationales, il est certain qu’une dynamique de travail en bonne intelligence se mettra en place, car l’enjeu en question est d’intérêt public », conclut le président  de l’AGIR.
 

3 questions à Houcine Nibani, président de l’AGIR


« Le ramassage systématique de ces algues peut donner de bons résultats pour peu que l’on trouve des moyens de valorisation »
 
- Existe-t-il des solutions pour éradiquer les algues brunes invasives des côtes méditerranéennes marocaines?

- Comme pour toutes les autres espèces invasives dont la prolifération engendre un impact écologique et économique, il est toujours beaucoup moins coûteux d’investir dans la prévention. Il existe bien évidemment des mesures curatives qui peuvent être mises en place. Le ramassage systématique de ces algues peut donner de bons résultats pour peu que l’on puisse trouver des moyens de valorisation. Pour cela, il faut d’abord commencer par bien étudier la dynamique de prolifération ainsi que les interactions de cette espèce avec l’écosystème marin.


- Comment faire pour mieux contrôler le déballastage des bateaux au vu de l’importance du trafic et des coûts pour mettre en place des stations dédiées ?

- Notre association a déjà entamé un projet qui vise à participer à la mise en place de solutions efficaces et accessibles en partenariat avec d’autres ports, notamment celui de Valencia en Espagne. Il existe actuellement des techniques pour imposer aux navires de faire leur déballastage d’une manière contrôlée et moins coûteuse que les stations et infrastructures qui nécessitent des investissements colossaux. Il existe également des fonds qui sont disposés à participer au financement et la mise en oeuvre de ces solutions, au Maroc notamment.


- Que manque-t-il alors pour renforcer les dispositifs existants avec ces nouvelles solutions ?

- La mise en oeuvre de ce genre de projet est un travail collectif qui doit impliquer une multitude de parties prenantes. Il y a eu une belle dynamique qui avait été entamée il y a quelques années dans ce sens par rapport à ce sujet particulier. Au vu de l’urgence que nous impose la prolifération des algues brunes ainsi que d’autres espèces invasives tout aussi destructrices, j’espère que le travail commun pourra rapidement reprendre et aboutir.


Recueillis par O. A.

 








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