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Culture

Interview avec la réalisatrice Leïla Kilani « L’adhésion du jeune public à mon film m’a vraiment touchée »


Rédigé par Yassine ELALAMI le Mardi 19 Décembre 2023

Après le festival international du film à Marrakech, Leïla Kilani débarque avec sa fiction « Indivision » en Egypte pour représenter le Maroc en compétition internationale au Festival d'El Gouna, qui se tient du 14 au 21 décembre en Égypte. Dans cette interview, la réalisatrice nous transporte dans les coulisses d’une fable cinématographique engagée.



"C’est une fiction un peu insolite, mais qui a réussi à toucher certains spectateurs, notamment les jeunes"
"C’est une fiction un peu insolite, mais qui a réussi à toucher certains spectateurs, notamment les jeunes"
  • Pourriez-vous nous expliquer comment l'idée de ce film est née et quelle a été votre inspiration principale ?

- L'idée pour ce film a émergé de l'état actuel du monde et des désastres écologiques que nous pouvons tous constater. Mon désir personnel était de créer une fiction qui ne soit ni moralisatrice, ni simplement illustrative, ni activiste. Je voulais croire en la possibilité du cinéma, d'être à la fois dans le monde et dans la proposition poétique. C'est aussi une histoire du passé racontée selon le regard de la nouvelle génération.
 
  • Pouvez-vous nous parler du choix de l'emplacement pour le tournage de votre film et comment la ville de Tanger a influencé votre création cinématographique ?
 
- Initialement, j'avais prévu de tourner le film à Rabat, mais j'ai rapidement changé d'avis. Étant originaire de Tanger, je ne parviens pas à travailler sur mes créations cinématographiques ailleurs. Tanger est une ville obsédante, complexe, que nous ne parvenons pas à enfermer dans des schémas préétablis. J'y reviens fréquemment car c'est ma fenêtre sur le monde et une découverte inépuisable.
 
Le dérèglement climatique est particulièrement perceptible à Tanger, notamment avec la migration désordonnée des oiseaux qui ne parviennent plus à déterminer le moment opportun pour changer de lieu. Alors que cette action devrait être instinctive, la situation climatique actuelle plonge ces belles créatures dans une vie semée d'ambiguïté.

  • L’écologie, la lutte des classes, l’égalité des genres et l’héritage sont tous des sujets abordés dans le film. Comment avez-vous réussi à les narrer de manière cohérente ?

- Tout simplement en m'ancrant dans la réalité, en adoptant une vision réaliste. Dans cette réalité, tout le monde coexiste : il y a les oiseaux, une famille bourgeoise, et un bidonville, tous présents dans le même plan. L'unité de l'image met en avant la terre et la nature, qui deviennent des personnages intégrants de l'histoire.
Le territoire est le personnage principal, et tout ce qui l'entoure s'entrelace et s'incarne à travers les personnages.
 
  • Pourquoi avoir choisi deux acteurs non-professionnels natifs de la ville de Tanger, Bahia Boutia El Oumani et Jaâfar Brigui, pour votre film ?

- Entre eux, il y a une certaine jubilation par rapport au scénario et aux dialogues, une dynamique extraordinaire qui revêt une grande importance pour moi à l'intérieur de mes films. J'ai également une obsession pour la langue. Étant donné que le film raconte une histoire née à Tanger, il était crucial que les comédiens maîtrisent les trois langues de manière parfaite et presque inconsciente. C'est un constat partagé par les habitants de cette ville, toutes classes confondues. Dans leurs conversations quotidiennes, on trouve souvent des mots empruntés des langues étrangères.
 
L'influence de l'espagnol, et surtout du français, donne naissance à un dialecte rythmiquement incroyable, avec une musicalité absolument fascinante. Mes comédiens en ont pleinement profité, en particulier Jaâfar, qui manifeste une véritable gourmandise pour la langue.  
 
  • Ne pensez-vous pas qu'il est actuellement opportun de sensibiliser les citoyens marocains aux questions écologiques, et au-delà, à travers le cinéma, étant donné que notre jeunesse ne semble plus s'intéresser aux campagnes de sensibilisation qui ne durent souvent qu'une minute et 30 secondes sous forme de publicité ? 
- Personnellement, je m'abstiens de porter des jugements, car je crois que les différentes actions entreprises, quelle que soit leur nature, peuvent être complémentaires. Lorsqu'on aborde la question de l'écologie, on risque souvent de paraître ennuyeux pour beaucoup, mais cela ne signifie pas qu'il faut réduire les campagnes de sensibilisation.
 
Cependant, ce qui m'a profondément touchée, c'est l'adhésion du jeune public à ce film, perçu comme un travail mettant en scène de nouvelles figures auxquelles on peut facilement s'identifier à travers la poésie de l'histoire que j'essaie de proposer.
 
Votre observation me touche particulièrement. Si mon film parvient à fédérer un public jeune qui se sent investi dans un espace de débat et de prolongation de l'expérience cinématographique, cela ouvrira la porte à d'autres films capables d'accomplir la même chose.
 
  • Quelle est la perception du public vis-à-vis de votre film ?

- Je ne peux pas donner d'affirmation catégorique à cette question. J'ai participé à plusieurs sessions de questions-réponses et débats, et bien évidemment, il y avait un certain nombre de spectateurs qui n'ont pas aimé le film. C'est quelque chose de normal lorsque l'on essaie de réaliser un film un peu impertinent. C'est une fiction un peu insolite, mais qui a réussi à toucher certains spectateurs, notamment les jeunes.
 
Ce qui m'a surpris, c'est que le public n'était pas nécessairement cinéphile, mais des gens cherchant à découvrir le film. Mon espoir est que le film puisse créer un espace d'expérience et soulever la question de l'importance du cinéma, malgré l'accès à de nombreuses plateformes de streaming via les téléphones et les ordinateurs. D'un point de vue personnel, le film interroge également la capacité du cinéma à maintenir l'attention du public pendant deux heures dans une salle obscure, captivant le regard dans une seule direction.
 
  • Croyez-vous que le cinéma parvient toujours à captiver les esprits ?

- Absolument. Là, je suis affirmatif. Le cinéma doit continuer à honorer cette obligation de créer une expérience partagée, une croyance en quelque chose qui nous transcende à travers les récits et les épreuves collectives. En dépit des évolutions technologiques et de l'accès à diverses plateformes, le pouvoir du cinéma réside dans sa capacité à rassembler les gens et à les immerger dans des histoires qui résonnent au-delà de l'individu. C'est une forme d'art qui conserve son pouvoir de captiver et d'influencer les esprits.

 
Recueillis par Yassine ELALAMI

Une fable cinématographique engagée

D’une durée de 127 minutes, le film « Indivision » de Leïla Kilani offre une fable captivante explorant les thèmes complexes de la famille, de la propriété et de la destruction de l’environnement. Cette œuvre gigantesque et saisissante met en lumière les enjeux cruciaux de notre époque, invitant les spectateurs à une réflexion profonde sur les relations humaines et leur impact sur la planète.

Récompensé à plusieurs reprises, notamment du Prix de l’Innovation au Festival du Film de Montréal et du Prix Jeune Public au Festival d’Apt en France, « Indivision » s’impose comme un incontournable du cinéma engagé. Son exploration artistique et sociale transcende les frontières, offrant ainsi une expérience cinématographique riche en émotions et en réflexions.

La sortie du film au Maroc ne se limite pas à une simple projection. Elle s'accompagnera d'une stratégie spécifique visant à sensibiliser toutes les générations et à mobiliser les amateurs de cinéma autour d'une cause commune. En collaboration avec la Coalition marocaine pour la justice climatique, le film sera le point de départ de débats animés et d'une initiative innovante baptisée : « Des audiences publiques pour le Climat ». Ainsi, « Indivision » ne se contente pas seulement d'être un récit captivant, mais il devient un catalyseur pour le changement climatique, interrogeant notre responsabilité collective envers les générations futures et mettant en lumière les défis de la désertification au Maroc.
 



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