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Interview avec Samia Akariou : « Dans «Dar Nssa», les personnages priment sur l’accent »


Rédigé par Mariem LEMRAJNI Lundi 1 Avril 2024

« Dar Nssa », la série marocaine à succès, repousse les limites en explorant des thématiques taboues comme l’inceste, pulvérisant ainsi les records d’audience. À la tête de ce projet, la réalisatrice Samia Akariou nous entraîne dans les méandres d’un huis clos audacieux et répond aux interrogations des téléspectateurs.



  • Parlez-nous du point de départ de votre série « Dar Nssa » et ce qui vous a inspirée à choisir ce sujet spécifique pour votre projet de Ramadan ?

Au commencement, « Dar Nssa » était initialement intitulé « Dar Lhmam ». Ce projet a été soumis aux appels d’offres dès 2020, dans le contexte post-Covid. Après trois tentatives, il a finalement été sélectionné lors de la troisième soumission, et cela après les remarques qui nous ont été adressées.

À l’origine, notre intention était de créer une pièce de théâtre mettant en avant plusieurs femmes, qui cohabitent dans une même et ancienne maison, pour explorer ainsi le concept de la sororité féminine. Cependant, l’évolution de l’idée a été influencée par les restrictions de mouvement imposées pendant la pandémie, remettant en question la notion d’enfermement et les secrets cachés derrière les murs des familles.

Ces interrogations ont alors orienté le projet vers des thématiques sociales, alignées avec nos convictions personnelles en tant que citoyens et écrivains. Bien que l’idée initiale aborde l’inceste, nous avons décidé d’impliquer le beau-père plutôt que le père.
 
  • Dans « Dar Nssa », vous avez traité un sujet délicat : l’abus sexuel des filles par leur beaupère, un thème particulièrement poignant dans le cadre conservateur de notre société. À votre avis, quelles mesures peuvent être prises pour combattre ce crime ?

Le viol des enfants est un crime impardonnable et abominable qui doit être sévèrement condamné par la loi. En parallèle, il est crucial d’encourager les victimes à suivre des thérapies et à chercher de l’aide pour se soigner, car même si une punition légale est appliquée, la maladie sous-jacente persiste.

Le choix de mettre en avant le beau-père dans le scénario ne signifie en aucun cas que nous sommes opposés au droit des femmes de refaire leur vie, surtout dans le contexte où nous nous battons pour une nouvelle Moudawana. Il est important de comprendre que les abus sexuels, qu’ils soient commis par le père, l’oncle, ou le beau-père, sont des réalités omniprésentes. Nous ne souhaitons pas stigmatiser les beaux-pères, mais simplement souligner l’importance de protéger nos enfants contre tout type d’abus.

La libération de la parole est également essentielle pour lutter contre ce fléau. En tant que créateurs dans le domaine de la télévision, nous lançons alors un appel urgent à tous les parents pour qu’ils expliquent à leurs enfants que leur corps est leur intimité, et qu’ils ont le droit de refuser tout contact physique non désiré.
 
  • La scène d’ouverture révèle immédiatement un cadavre et des femmes complices, instaurant un climat de tension dès le départ, mais le développement qui suit semble loin de vouloir apaiser le spectateur. Pourquoi avoir opté pour cette structure narrative ?

Dans cette œuvre, nous avons choisi de placer trois femmes face à un cadavre dès le commencement, lançant ainsi une interrogation métaphorique poignante : la femme doit-elle anéantir l’homme pour affirmer son existence ? Bien loin de souscrire à cette idée, notre trame révèle que l’homme en question était un agresseur, un criminel neutralisé en légitime défense. Notre approche, loin de prôner la préméditation, vise à dévoiler progressivement les motifs derrière cet acte, créant un suspense haletant qui a captivé l’audience dès les premiers échos de notre teaser.
 
  • Avez-vous rencontré des défis particuliers en tant que femme réalisatrice tout au long du processus de création ?

Il convient de souligner que ma trajectoire a été bénie par une fortune remarquable, grâce avant tout à l’encouragement indéfectible de mes deux producteurs, Nabil Ayouch et Amine Benjeloune. Puis en tant que leader de projet, aux côtés de mes chers amis Nora et Jawad, et en ma qualité de réalisatrice, j’ai été accueillie avec bienveillance par la chaîne.

Cependant, le parcours n’était pas exempt d’épreuves. Sur le plateau, les journées s’avéraient loin d’être toujours clémentes. Devant une équipe technique rigoureuse, je me voyais contrainte d’augmenter considérablement mes efforts, résistant fermement à toute tentative de leur part de m’imposer leur vision des choses.

J’ai donc réussi à rassembler hommes et femmes autour d’un projet commun, sans distinction de genre, malgré le fait que, personnellement, je me devais d’exercer une diligence bien supérieure à celle typiquement requise d’un réalisateur homme avec un premier projet d’envergure, qui rassemble 52 minutes réparties sur 30 épisodes.

En dépit des contraintes économiques et psychologiques, j’ai achevé ce projet dans les délais impartis, me libérant ainsi de toute pression à prouver ma valeur.
 
  • En quoi votre perspective féminine a-t-elle orienté votre démarche pour déconstruire les stéréotypes associés au genre et instaurer un « Female Gaze » ?

Pendant longtemps, les narrations ont été dominées par des voix masculines, mais il est temps aujourd’hui de faire place à des récits imprégnés d’une essence féminine. Cette intention s’illustre parfaitement à travers des moments singuliers de notre série, tels que la scène de la pompiste.

Elle est inspirée de ma rencontre fortuite mais marquante avec la nounou de mon fils dans une station-service. Cette scène n’était pas seulement un hommage à une figure singulière - la première femme pompiste à Casablanca - mais aussi une célébration de son audace.

Pour ancrer une perspective de « Female gaze », c’est avant tout l’art de l’écriture qui se trouve au cœur du processus. Il m’attriste de constater, notamment sur nos chaînes nationales, la diffusion de séries où la femme est reléguée à un rôle secondaire, se contentant de réagir plutôt que d’agir, son destin étroitement lié à celui de l’homme.

Je reste cependant optimiste, persuadée qu’un vent de changement souffle déjà. Avec l’essor du nombre de réalisatrices et l’émergence de scénarios qui embrassent pleinement le regard féminin, je crois fermement en une évolution vers des représentations plus équilibrées et enrichissantes.
 
  • Plusieurs critiques ont été formulées à propos de la sélection des comédiens, en particulier concernant leur difficulté à maîtriser le dialecte chamali. À votre avis, cette situation reflète-t-elle une pénurie de talents artistiques originaires de cette région, ou d’autres facteurs entrent-ils en jeu ?

Tanger a servi de décors pour notre récit fictif, qui rassemble des acteurs non natifs à adopter son accent. Il ne s’agit donc pas d’un documentaire reflétant fidèlement l’héritage de la ville. Les comédiens parlent donc un langage qui ressemble plus ou moins à la région pour compléter le décor, avec un accent chamali simple et accessible.

Il est également important de prendre en compte le quota imposé, avec certains annonceurs exigeant des têtes d’affiche pour leurs programmes. Malgré cela, nous avons donné leur chance à de jeunes talents inconnus du grand public. De plus, il ne faut pas négliger le fait que Tanger est une métropole cosmopolite où résident des personnes originaires de différentes régions du pays.

Face à un défi de casting significatif au Maroc, où les acteurs ne dépassent guère la barre des trois cents, le choix s’est porté sur la substance plutôt que sur l’origine. Plutôt que de sélectionner un acteur pour sa parfaite élocution en tanjawi mais étranger à l’esprit du personnage envisagé, j’ai privilégié celui capable de s’imprégner de l’âme du rôle, quitte à apprendre l’accent.

Pour affiner leur maîtrise dialectale, une immersion d’un à deux ans dans la ville serait idéale. Néanmoins, nous sommes fiers de compter plus de 75% de participants chamalis dans ce projet. Lorsqu’il s’agit de choisir entre une parfaite maîtrise de l’accent et la fidélité à la vision du personnage, ma préférence va incontestablement vers l’acteur qui saura incarner le rôle tel que je l’ai rêvé.








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