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Interview avec Saïd Elmazouari, critique de cinéma: Barbie, icône du féminisme ou mouvement consumériste ?


Rédigé par Mina Elkhodari Dimanche 27 Août 2023

Depuis sa sortie dans les salles obscures, le film américain « Barbie » ne cesse de susciter le débat. Lequel donne chaire à la célèbre poupée crée en 1959, se veut une dénonciation du patriarcat. Cependant, le féminisme porté par le film peine à convaincre le grand public. Immersion dans cette œuvre phénoménale qui fâche dans plusieurs pays arabes et fait rire au Maroc avec Saïd Elmazouari, critique de cinéma.



Saïd Elmazouari, Critique de cinéma
Saïd Elmazouari, Critique de cinéma
- Les cinémas « Atlas » avaient indiqué sur leur page Facebook que le film « Barbie » a enregistré 65.000 entrées en deux semaines. Qu’est-ce qui fait, selon vous, le succès de ce film devenu un phénomène à part, notamment au Maroc ? 

Plusieurs facteurs expliquent le succès du film en salles. Il y a d'abord la compagne publicitaire acharnée que les studios Warner ont mise en œuvre pour la promotion du film, puis le phénomène internet (baptisé Barbenheimer) qui a suivi l'annonce de sa sortie le même jour que « Oppenheimer » de Christopher Nolan, donnant le jour à un tourbillon de mèmes qui mettent en dérision le parfait contraste entre le ton, l'atmosphère et les thématiques mobilisées par les deux films. Ce qui n'a pas manqué d'attiser les attentes. « Barbie »   profite aussi d'un énorme atout de ciblage étant donné qu'il touche aussi bien les enfants, les jeunes et les moins jeunes qui se reconnaissent dans la référence Barbie. Les salles ont notamment attiré beaucoup de couples, et certains n'ont pas hésité à adopter une sorte de code vestimentaire qui rappelle les couleurs du film, avant de se diriger vers la salle. Une tendance déjà observée dans les dernières années avec les jeunes habillés en costume pour les projections des « Minions 2 ». 

- Plusieurs pays ont interdit le film quelques semaines après sa projection, et ce, pour atteinte à la morale et pour la promotion de l’homosexualité. Pourquoi le Maroc n’a pas engagé la même chose sachant que le film connaît un succès majeur dans les salles de cinéma ? 
 
Quelles que soient les raisons invoquées, l'interdiction d'une œuvre d'art ne montre que l'étroitesse d'esprit des commanditaires de la décision d'interdiction. Interdire un bien culturel au temps d'internet où les films et les livres circulent littéralement dans l'éther, et n'importe quel enfant pourrait les télécharger en quelques clics, montre que la chose culturelle dans les pays en question est encore entre les mains de personnes en total déphasage avec l'esprit du temps dans lequel ils vivent. 

Je trouve donc normal que le Maroc n'ait pas interdit Barbie, du moment que sa projection ne viole pas les lois universelles en vigueur, en incitant par exemple au racisme ou à la haine raciale. Hormis ces cas stipulés par la loi, si certaines scènes sont susceptibles de heurter les spectateurs jeunes, il convient d'assortir la sortie d'une classification d'âge (-18, -16, -12, etc.) et en interdire l'accès à la tranche d'âge concernée. Il faut faire confiance au spectateur, lui donner l'occasion de se faire son propre avis des films pour les discuter dans un cadre calme, constructif et émancipateur pour tous les intervenants.

- Barbie est connue pour être une poupée destinée aux enfants sauf que plusieurs acteurs jugent qu’il véhicule des messages non-innocents et loin de l’enfance. À votre avis, s’agit-il vraiment d’un film qui parle aux enfants ?

Bien sûr que le film parle, entre autres publics, aux enfants étant donné sa thématique et surtout l'univers tout en couleurs que son réalisatrice a conçu. Mais de là de le taxer de « film-conspiration contre les bonnes mœurs de nos enfants », je trouve que c'est abusé.Tout film véhicule une vision du monde et un propos qui traduit les intentions de ses créateurs. Ce que nous devons à nos enfants (du moment que le film n'est en aucun cas susceptible de heurter leurs sentiments) c'est de leur pourvoir un esprit critique qui leur permettra de se construire un point de vue par rapport aux films et, idéalement, engager une discussion afin de les aider à questionner ce qu'ils ont perçu du film.

Le débat autour des films est une des plus efficaces écoles de formation d'un esprit critique, et donc d'un citoyen, dans la plus noble conception du terme. Seule une véritable politique d'éducation à l'image pourrait remplir pleinement cet objectif, et c'est pourquoi nous appelons de nos vœux, depuis plusieurs années, son instauration par le ministère de l’Education en concertation avec le ministère de la Culture et le Centre Cinématographique Marocain (CCM).

- Plusieurs critiques s’accordent sur le ton féministe du film. Se trouve-t-on face à une œuvre féministe, qui fait progresser la cause des femmes, ou devant un film caricature enchaînant les clichés avec une ambition purement commerciale capitalistique ?
 
Le film ne cache pas son inscription dans la veine féministe, depuis le choix de la réalisatrice Greta Gerwig connue pour ses sympathies avec le mouvement, en passant par les slogans mobilisés pour sa commercialisation (notamment la tagline « She's everything. He's just Ken. » qui a fait couler beaucoup d'encre). Mais les intentions sont une chose et les résultats en sont une autre. Le film est malheureusement miné par les visées mercantilistes qui ont précédé à sa conception, et quand bien même sa réalisatrice tente de déconstruire l'imaginaire patriarcal, les mécanismes même qui sous-tendent sa forme ne font que remettre en œuvre les mêmes logiques qu'elle essaie de dénoncer. Le patriarcat et le capitalisme sont les deux revers d'une même médaille qui n'a cessé de cantonner la femme dans un rôle de fair- valoir, et ce n'est pas une publicité de Martel déguisé en pamphlet féministe qui va remettre en question ce triste état des choses. 

- Les critiques évoquent un manque cruel de subtilité par rapport aux sujets traités, notamment la masculinité toxique et le patriarcat. Qu’en pensez-vous ?  
 
Il faut dire que le film ne manque pas d'originalité sur le plan visuel qui évoque le côté guimauve décérébré détaché de la réalité de l'univers Barbie. La première partie est à ce titre assez réussie quand elle souligne le côté réalité alternative (Truman show) que cet univers n'a cessé d’incarner, mais à force de cumuler les clins d'œil, la platitude des gags, et surtout au vu du manichéisme de la deuxième partie, prévisible à souhait, qui n'a trouvé de plus subtil pour combattre un stigmate que d'en ériger un autre, au profit duquel tous les hommes sont perçus comme des créatures décérébrées. Il faut dire que Greta Gerwig, cinéaste de talent, bien rompue à l'école du cinéma indépendant, a fait preuve de plus de finesse dans ses précédents films. Mais aurait-elle pu faire autrement dans la configuration qui a présidé à la production de celui-là ? 

- À quel point ça a impacté le message du film si on part du fait que l’objectif initial est de mettre en valeur les valeurs féministes ? 

Justement, ce n'est pas les valeurs féministes que met en valeur ce film, mais une vision idéologique et étriquée de la question féminine en vertu de laquelle la femme, comme l'homme d'ailleurs, sont envisagés comme des caricatures. Le tout au service d'un seul objectif : requinquer une marque de jouets! C'est le propre du capitalisme que de fagociter tous les combats en vue de promouvoir le seul qui vaut à ses yeux : l'idéologie du consumérisme. 

Pour les vrais films féministes (qui n'agitent pas ce qu'ils ne sont pas en étendard), il faut chercher du côté d'autres excellentes réalisatrices qui déconstruisent avec subtilité et maestria les univers où le machisme a toujours pris ses aises, je pense notamment à Maren Ade qui dresse avec « Toni Erdmann » qui un très beau portrait de femme cadre supérieur dans le milieu déshumanisé et froid du business ultralibéraliste, et « La dernière piste » où Kelly Reichardt brosse un personnage ambivalent et très touchant de femme forte, en bravant les traditions du western, un genre qui a la peau - on ne peut plus - dure en la matière.

 L’œuvre rose bonbon à succès
 
Pour sa sixième semaine dans les salles de cinéma dans le monde, le film américain « Barbie » fait son entrée sur le podium des films les plus regardés cette année.  L’œuvre phénoménale rose bonbon réalisé par Greta Gewing et produit par Mattel, les créateurs de cette poupée mondialement connue depuis les années 60, a franchi le cap du milliard de dollars de recettes au box-office mondial.

Avec le duo Margot Robbie qui incarne la célèbre poupée et Ryan Gosling qui incarne « Ken », le film met en scène la poupée s’aventurant dans le monde réel, révélant la multiplicité des violences patriarcales. Cependant, malgré son succès, le film US ne s’avère pas du goût de tous les pays, notamment le Cameroun qui rejoint le Koweït et l’Algérie où le film Barbie a été interdit pour atteinte aux mœurs.

Depuis sa sortie dans les salles obscures, l’œuvre a généré une nouvelle collection de poupées. Mais pas que, car le film suscité un regain d’intérêt sur les anciens modèles de la poupée dont la valeur moyenne a augmenté de plus de 20 %.








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