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Interview avec Rajaâ Cherkaoui El Moursli : « Il faut changer le statut de l’Université au Maroc »


Rédigé par Safaa KSAANI Mercredi 2 Novembre 2022

La persévérance finit par payer. Preuve en est le travail mené d epuis une quarantaine d’années par la physicienne de renommée Rajaâ Cherkaoui El Moursli, qui lui a valu d’être reconnue comme l’une des meilleures scientifiques de physique du monde.



- Vous figurez parmi les meilleures scientifiques de physique du monde en 2022, selon le classement américain «AD Scientific Index». Vous avez été distinguée par le même Prix l’an dernier. C’est dire l’importance de vos recherches dans le domaine scientifique. Sur quoi portent vos récentes recherches ?

- L’année dernière, une de mes anciennes doctorantes m’a envoyé un message de félicitations pour ce classement. Franchement, je ne le connaissais pas. Donc première chose, je me suis mise sur internet pour une recherche sur ce classement. L’AD Scientific Index (Alper-Doger Scientific Index) est un système de classement et d’analyse basé sur la performance scientifique et la valeur ajoutée de la productivité scientifique des scientifiques individuels.

Ce nouvel indice a été développé par le professeur Dr Murat ALPER (MD) et le professeur associé Dr Cihan DÖĞER (MD) en utilisant les valeurs totales et des cinq dernières années de l’indice i10, de l’indice h et des scores de citation dans Google Scholar. J’ai été surprise mais fière.

En fait, c’est le résultat d’un travail ardu de plus d’une quarantaine d’années. Et c’est grâce à notre participation à la collaboration internationale ATLAS et les bénéfices qu’on en a tirés : des doctorants avec un niveau international, des formations innovantes et un transfert de technologies. Il est important de souligner que dans la recherche scientifique, pour intégrer les collaborations internationales, il faut l’accord et le soutien de toutes les parties, donc dans notre cas, celui de notre ministère de tutelle. Nous remercions tous les ministres qui se sont succédé et qui nous ont toujours soutenus.

Le Maroc a eu le privilège, grâce à la compétence de ses chercheurs dans ce domaine, de rejoindre la collaboration internationale ATLAS au CERN à Genève, et ce, depuis 1996. Le CERN (l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire) est l’un des plus grands et des plus prestigieux laboratoires scientifiques au monde. Il a pour vocation la physique fondamentale, la découverte des constituants et des lois de l’Univers.

Les chercheurs marocains ont ainsi contribué à la construction et à l’analyse des données du détecteur ATLAS (acronyme de A Toroidal LHC ApparatuS) et actuellement à la mise à niveau du détecteur ATLAS. ATLAS est l’un des deux détecteurs polyvalents du Grand collisionneur de hadrons (LHC). Il étudie des domaines de physique très variés. Nous avons été très fiers de contribuer à une grande découverte du siècle, celle de la particule Higgs qui explique comment les particules fondamentales qui sont les briques élémentaires qui forment tout l’univers, nous compris, ont acquis une masse.

La science devient de plus en plus internationalisée et les grands projets de recherche scientifique sont de plus en plus mondiaux parce qu’ils abordent des sujets fondamentaux d’intérêt universel. Les centres de recherche et les laboratoires doivent évoluer pour relever ces défis, d’où l’importance et la nécessité de la création de plusieurs collaborations scientifiques dans le Monde. Que ce soit pour avoir accès à de l’équipement spécialisé ou à de nouvelles sources de financement, ou pour trouver de nouvelles idées, les chercheurs tendent la main à leurs collègues du monde entier, et leurs travaux en bénéficient. La science est indéniablement un projet mondial. Je pense que le Covid a bien montré la nécessité d’une collaboration internationale pour vaincre cette épidémie mondiale.


- Le constat est là. Au niveau national, la science n’est pas mise en valeur. Des collaborations internationales sont-elles le seul moyen pour voir la recherche prospérer ?

- Je ne pense pas, car ces dernières années, notre ministère, par le biais du Centre national pour la recherche scientifique et technique (CNRST) et plusieurs autres organismes, a fait des appels à projets (IRESEN, OCP, ..). Les résultats de ces projets vont apparaître dans les années à venir. Il y a un seul hic, qu’il faut améliorer. Il s‘agit de la gestion financière et administrative des universités publiques. Il faudrait changer le statut de l’université d’établissement public à celui d’un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, répondant à un cahier de charges bien défini, donc avec une gestion financière et administrative plus souple.

Les chercheurs sont souvent fatigués par la lourdeur actuelle de ces administrations. Mais la collaboration reste aussi un outil pour suivre ce qui se réalise au niveau international. Et il ne faut pas négliger nos compétences marocaines qui sont à l’étranger. Je les remercie car elles ont toujours été présentes et leur appui a été très important pour plusieurs projets nationaux et internationaux.
 
Pour la recherche fondamentale, le nombre de femmes est assez faible.

- Entre l’an dernier et aujourd’hui, qu’est-ce qui a changé au niveau de la recherche scientifique, en général ?

- Difficile de voire un changement au cours d’une année. La recherche scientifique est un travail de longue haleine et de  persévérance.

 
- Sur le plan national, est-ce que la participation de la femme dans le nucléaire est conséquente ?

- Oui, bien sûr, car le nucléaire intervient dans plusieurs domaines qui concernent l’énergie, la santé, l’environnement, l’eau, l’alimentation et l’agriculture, l’industrie et la sécurité et la sûreté nucléaire, tant en application qu’en recherche fondamentale.

Dans tous ces domaines, la femme se distingue par son excellence et son leadership dans de nombreuses thématiques telles que la recherche scientifique, l’expertise technique, ainsi que la formation tant académique que professionnelle, sa reconnaissance est manifeste à l’échelle nationale et internationale. Un exemple frappant est celui de l’Agence marocaine de sécurité et de sûreté nucléaires et radiologiques (AMSSNuR), où les femmes occupent 49% des postes. Si on regarde la médecine nucléaire, les deux tiers des spécialistes sont des femmes. Je pourrais ainsi balayer plusieurs secteurs. Pour la recherche fondamentale, effectivement, le nombre de femmes est assez faible. Actuellement, nous avons créé une association «Femmes dans le nucléaire WIN Maroc » qui, j’espère, nous permettra de donner des statistiques précises.


- Vous avez contribué à rendre le système de santé marocain plus efficace en créant le premier master de physique médicale. Quel regard portez-vous sur l’état du système médical national ?

- Bien que parfois critiqué, je vous assure que le secteur médical au Maroc a bien évolué et que des diagnostics et des thérapies rivalisent avec ceux de pays plus riches. Par contre, un constat est clair, c’est que l’hôpital public a été un peu délaissé et que le privé prend parfois le dessus. Comme nous le constatons actuellement pour l’effort fait pour créer des universités privées, ce qui est nécessaire, mais à condition de soutenir plus le public qui encadre plus de 80 % des jeunes marocains. Heureusement, on constate une évolution mais qui reste un peu lente vis-à-vis des besoins.


- Parmi les nouveautés de la rentrée universitaire 2022/23, la création de 18 nouveaux parcours d’anglais dans les universités publiques et 21 diplômes d’anglais dans les universités privées et partenaires. A quel point cette mesure permettrait-elle aux étudiants d’avancer rapidement dans leurs recherches scientifiques ?

- De nos jours, les soft-skills deviennent indispensables. Parmi ceux-ci, les techniques de prise de parole en public, la communication et l’apprentissage des langues. Nous avons déjà l’arabe et le français qu’il ne faut surtout pas abandonner car acquis, mais l’anglais devient la langue universelle pour la recherche.

Pour mémoire, l’Université Al Quaraouiyine, créée par Fatima El Fihriya au IXème siècle, est parmi les premières universités dans le monde. En ces temps là, il fallait apprendre l’arabe pour acquérir la science. Aujourd’hui, c’est l’anglais qui prévaut. Il faudrait également que les cursus en anglais dans les universités permettent à l’étudiant d’apprendre la recherche bibliographique ainsi que la rédaction d’une publication scientifique en cette langue. Mais cette première initiative est excellente et les améliorations se feront progressivement après une évaluation dans quelques années.


- Par ailleurs, est-ce que le nucléaire est envisageable pour le Maroc d’aujourd’hui ?

- Le Maroc a toujours adopté le mix énergétique avec une option nucléaire. Nous avons des ressources humaines non négligeables formées dans ce domaine. Les discussions de coopération dans ce domaine sont menées avec plusieurs pays dans le monde depuis longtemps. Notre gouvernement est maître de ses choix.
 



Recueillis par Safaa KSAANI








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