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Interview avec Pr Mohammed Zakaria Abouddahab / Compétence universelle : Les fondements d’un étrange principe d’ingérence


Rédigé par Saâd JAFRI Lundi 30 Janvier 2023

Un Etat ne peut habituellement juger des crimes que s’ils sont commis sur son territoire, par ou contre ses citoyens. Néanmoins, les pays occidentaux se permettent un étrange droit d’ingérence dans les affaires des pays émergents ou tiers-mondistes, en usant d'une étrange extension aux affaires non pénales du principe juridique de la compétence universelle. Professeur de Relations internationales à l’Université Mohammed V de Rabat, Mohammed Zakaria Abouddahab décortique pour nous cet outil du droit international utilisé à tort et à travers par les grandes puissances.



Interview avec Pr Mohammed Zakaria Abouddahab / Compétence universelle : Les fondements d’un étrange principe d’ingérence
  
- Depuis des décennies, les pays occidentaux se permettent un étrange droit d’ingérence dans les affaires des pays émergents ou tiers-mondistes, et ce, sous couvert du principe de la compétence universelle étendu à des affaires qui ne relèvent nullement du droit pénal international. Dernière affaire en date, le vote du Parlement européen à l’encontre du Maroc. Comment ce principe a-t-il été fondé ?
 
- Le principe de la compétence universelle a vu le jour à la suite de la Seconde Guerre Mondiale et a été reconnu en 1949 dans les Conventions de Genève qui définissent les règles en cas de conflit armé. Au fil du temps, ce principe s’est consolidé via d’autres grandes conventions internationales. Pour sa part, le Parlement européen a vu ses attributions s’élargir, notamment à partir de 2009, avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Ce traité a renforcé la codécision qui permet à cette institution d’intervenir dans le domaine du budget, de proposer des amendements aux textes législatifs présentés par la Commission Européenne et de valider les accords extérieurs conclus. En outre, le Parlement européen est articulé aux Parlements nationaux. Dans cette optique, on peut considérer qu’il est, en quelque sorte, le dépositaire de la clause démocratique. Pour le cas du Maroc, on ne peut parler de compétence universelle reconnue au Parlement européen et lui permettant d’agir en direction de citoyens marocains. La compétence universelle a en effet un sens juridictionnel plus avancé qu’une simple Résolution non obligatoire adoptée. Elle va plus loin, car elle confère à une juridiction de poursuivre des non-nationaux quand bien même ces derniers ont commis des crimes en dehors du territoire national.

- S'il ne s'agit pas de compétence universelle, sur quel fondement juridique le Parlement appuie-t-il son ingérence?

- Il s’agit d’abord de noter que cette institution dispose de 26 commissions dont celle affectée aux affaires étrangères. Ensuite, dans le cadre du Statut avancé octroyé au Maroc en octobre 2008, il était question de lancer un Dialogue politique renforcé incluant la coopération interparlementaire. D’où la création en 2010 d’une commission parlementaire mixte Maroc-UE. L’on peut donc considérer que la «clause de conditionnalité démocratique», dont le Parlement européen se sent investi, a été le fondement de l’action de ce dernier, abstraction faite des considérations politiques (différentes sensibilités politiques) ou géopolitiques (calculs géopolitiques) de sa démarche.
 
- Dans cette même logique, les pays moins puissants, africains et arabes notamment, peuvent-ils agir réciproquement et juger des affaires qui se déroulent dans des pays occidentaux ? 

- Il n’y a pas photo ! Nous avons donc déjà éclairé autour du principe de compétence universelle qui, normalement, est incarné, sur le plan multilatéral, par la Cour pénale internationale (CPI). De plus, on sait que le Conseil de Sécurité a l’exclusivité de déclencher une intervention armée contre un pays au sens du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Nous ne sommes pas dans ce registre. Quant aux pays, y compris africains, on sait que certains, comme le Sénégal, se sont dotés de la compétence universelle introduite dans leurs codes pénaux. Les autres institutions que vous avez mentionnées dans votre question n’ont pas cette habilité ou compétence.

- Depuis des années, des Etats arabes, africains, asiatiques… etc., dénoncent l'ingérence européenne en particulier et occidentale en général. Que peuvent faire ces pays pour y mettre fin à ce type d’ingérence ? Existe-t-il des instances internationales autres que celles prévues par l'ONU qui pourraient leur permettre de la contrer ?

- On doit rassurer les lecteurs que la compétence universelle ne s’applique pas automatiquement, étant lourde de conséquences. Il y a des préalables pour l’activer. D’abord, elle concerne les crimes les plus graves, notamment le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et l’agression. Ensuite, la juridiction internationale (la CPI par exemple), au nom du principe de subsidiarité, n’intervient qu’accessoirement, c’est-à-dire lorsque les tribunaux nationaux sont défaillants. Dans le cas donc de la Résolution précitée du Parlement européen, nous ne sommes pas dans cette configuration. Néanmoins, l’on devra rappeler que les Etats de l’Union Européenne ont, pratiquement tous, préconisé la compétence universelle dans leurs législations.
 
- Quels sont les tenants et aboutissants judiciaires des décisions prises par les instances telles que le Parlement européen ?
 
- Le Parlement européen n’a aucune compétence juridictionnelle. C’est la Cour de Justice de l’Union Européenne qui en dispose. Toutefois, on rappellera que le Parlement européen a la faculté de dépêcher une commission d’enquête concernant certains faits ou allégations concernant des violations des droits de l’Homme, mais avec l’accord des autorités nationales. Le précédent existe à la suite des événements dits de Gdeim Izik en 2010. A la suite de son «enquête», le Parlement européen avait à l’époque proposé à l’ONU l’inclusion d’un mécanisme d’observation des droits de l’Homme au niveau de la MINURSO.
 
- En l’absence de répercussions judiciaires, quelles sont les autres éventuels effets de cette décision sur le Maroc ?
 
- Concernant les répercussions de la décision du 19 janvier 2023, elles restent circonscrites au domaine politique et n’ont aucune portée judiciaire pour au moins deux raisons principales. La première est que la Résolution précitée revêt la nature d’une recommandation. Ensuite, le Maroc est un Etat souverain d’autant plus qu’il n’est pas membre de l’Union Européenne. Pour autant, l’on ne devra pas sous-estimer la «force de frappe» du Parlement européen, car il peut saisir les organes «exécutifs», voire même «législatifs» de l’Union Européenne et ses Etats membres : Conseil de l’Union Européenne, Commission Européenne, Cour de justice de l’Union Européenne, parlements nationaux. Il a également la faculté d’interpeller la Haute représentation aux affaires extérieures et aux questions de sécurité. En somme, n’ayant pas d’impact juridique immédiat, la Résolution du Parlement européen pourrait engendrer, par ricochet, des effets politiques.

- Si on ne peut pas parler de compétence universelle, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit dans le cas d’espèce d’une forme flagrante d’ingérence. Comment le Maroc pourrait-il s’en prémunir ?
 
- La meilleure défense est l’attaque. En d’autres termes, notre pays a suffisamment de résilience et d’immunité pour contrebalancer les règles du jeu et infléchir la décision précitée. Certes, l’on ne peut nier à cette question son caractère complexe. Néanmoins, le Maroc gagnerait à augmenter sa proactivité européenne en multipliant les garde-fous et en prévenant de tels scénarios. En outre, le Royaume a accompli des avancées importantes en matière de réforme du système judiciaire et dans le domaine des libertés et des droits fondamentaux des personnes, y compris ceux des journalistes. Mais comme nous sommes liés par des engagements internationaux et régionaux en la matière, l’implémentation de certains parmi eux s’avère amortie par des pesanteurs internes et les données du terrain. En d’autres termes, les standards mondiaux pertinents devraient aussi être équilibrés par le relativisme culturel. De-là le plaidoyer permanent que le Maroc devrait mener pour anticiper de telles manœuvres. Celles-ci, tout le monde le sait, ont été orchestrées par des groupes parlementaires hostiles ou ignorants de la réalité profonde du pays. En outre, le timing géopolitique dans lequel cette Résolution est intervenue n’est pas innocent. Au final, l’avenir des relations de partenariat entre le Maroc et l’Union Européenne se décidera, en grande partie, à l’aune de la prochaine décision d’appel de la Cour de Justice de l’Union Européenne au sujet de la validité des accords sectoriels (agriculture et pêche) liant les deux parties.
 
Propos recueillis par Saâd JAFRI
 
 

L’info...Graphie


Maria Antonia Trujillo : «Les socialistes espagnols ont démasqué les actions des eurodéputés»
 
Alors que 356 eurodéputés ont voté en faveur de la Résolution européenne à l’encontre du Maroc, les socialistes espagnols sont allés à contre-courant dans une démarche qui semble concertée au sein du Parti de Pedro Sanchez, engagé à préserver la coopération entre Rabat et Madrid, alors que la Réunion de Haut Niveau (RHN) connaît ses derniers préparatifs.
«Les députés socialistes ont voté contre une Résolution qui représente une ingérence dans les affaires intérieures du Maroc et ont démasqué les actions des députés de différentes forces politiques qui proposent et votent en réponse à des intérêts qui ne sont ni très constructifs pour l'Union ni logiques», nous indique Maria Antonia Trujillo, ancienne ministre espagnole au Logement. Le soutien de l’Espagne, selon cette dernière, est dû, premièrement, au fait que le Royaume est un partenaire stratégique de l'UE et que ce partenariat servira à œuvrer dans d'autres domaines, comme la coopération euro-africaine, puisque le Maroc est une plaque tournante pour la coopération et l'échange d'expériences entre les pays de l'UE et les pays africains.
Ce soutien montre également la reconnaissance par l'Espagne du modèle démocratique marocain de respect des droits de l'Homme et de l'État de droit, qui a progressé de manière indéniable durant la nouvelle ère de SM le Roi Mohammed VI
 


CPI : Quand la Cour Pénale Internationale entre en jeu ?
 
  • Les victimes des crimes de guerre, crimes contre l’Humanité et de torture peuvent, en principe, porter plainte devant des tribunaux nationaux étrangers, sur la base de la compétence universelle prévue par les quatre Conventions de Genève de 1949 et par la Convention contre la torture de 1984. L’utilisation de cette procédure est actuellement le recours le plus efficace pour sanctionner internationalement les crimes les plus graves ;
 
  • Ces plaintes peuvent cependant être mises en échec si les pays concernés n’ont pas mis leur législation en conformité avec cette obligation internationale. Des dispositions spéciales doivent être incluses dans le code pénal et le code de procédure pénale du pays concerné pour que la compétence des tribunaux nationaux soit effective ;
 
  • Le Conseil de Sécurité de l’ONU a demandé aux États d’adapter leur législation interne pour intégrer le principe de compétence universelle, afin de sanctionner les auteurs de violations du droit humanitaire (Déclaration présidentielle du 12 février 1999). Le secrétaire général de l’ONU a formulé la même demande dans son rapport sur la protection des populations civiles dans les conflits armés du 8 septembre 1999 ;
 
  • Certains pays, principalement les membres de l’Union Européenne (et quelques autres tels que la Suisse et le Canada), ont mis leur législation nationale en accord avec cette obligation. D’autres États sont plus réticents, notamment la France ou les États-Unis ;
 
  • Dans la plupart des pays, la présence du criminel sur le territoire national est exigée pour déclencher la compétence des tribunaux.