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Culture

Interview avec Noor Ikken: "Prendre le temps de regarder autour de soi, c’est une manière de rendre hommage à la vie"


Rédigé par Houda BELABD le Dimanche 26 Mai 2024

Avez-vous envie de faire le tour du monde, de rire à tue-tête ou, au contraire, de transpirer des yeux, mais aussi d'apprendre de nouvelles phrases en italien, voire plein d'autres en franglish (du français anglisé), tout cela en restant vautré au fond de votre canapé ? Lisez « Le Premier Eté » de Noor Ikken, un roman promis à un grand succès.



Photo: tous droits réservés.
Photo: tous droits réservés.
 
 
  • Donner libre cours à sa plume est parfois un double-je, voire un double-jeu. La troisième personne protagoniste peut parfois être une première personne cathartique. Qu'en pensez-vous?
 
Effectivement, l'écriture, en général, permet d'exprimer en silence ce que la voix voudrait prononcer mais n'ose pas. Dans "Le Premier Eté", ce n'est pas seulement le personnage principal qui est, pour moi, une forme de catharsis, ce sont, étonnamment, les trois cousines. Je pourrais dire à mon infime petite échelle, comme Flaubert, que je suis à la fois Tanya, Hanna et Nora. Trois personnages fictives imprégnées chacune d'un bout de mon caractère, trois jeunes filles qui vont prendre des directions différentes que j'aurais pu prendre personnellement.C’est ici un triple-jeu qui me permet d’explorer le champ des possibles tout en gardant une distance narrative.
 
 
  • Les personnages nantis dont vous esquissez les portraits sont attachants, contrairement à cette classe dorée, jalousée, abhorrée, celle des BB (beaux et bêtes) et des "kiliminis" à laquelle nous nous sommes habitués dans certains romans marocains d'expression française. Nous ressentons d'emblée votre intelligence émotionnelle, celle qui consiste à taquiner sans juger. Est-ce un message subliminal ?
 
Ce n’est pas vraiment un message subliminal, c’est plutôt une approche personnelle de la narration : j'essaie de poser le doigt sur ce qui dérange ou fait mal sans appuyer trop fort. Je décris sans condamner, j’éclaire sans assombrir. Je ne juge pas, je laisse le lecteur réfléchir face à certaines situations ou face à certains choix. Il s’agit de mon éducation et ma manière d’encourager la tolérance et l’empathie dans une société où les préjugés restent nombreux.Je voulais dépeindre une image moins stéréotypée et plus humaine de cette classe moyenne considérée comme « dorée » quoique que celle que je décris ne l’était pas vraiment. Elle était humble et simple mais privilégiée, sans doute, par rapport au reste de la société.
Mon intention, à travers l’humour, est de dépasser les clichés et de ne pas tomber dans la caricature. Je crois fermement que chaque individu porte en lui une complexité qui mérite d’être explorée. En révélant les nuances et les contradictions internes qui habitent mes personnages, j’aimerais inciter le lecteur à porter un regard moins radical sur celles et ceux qui l’entourent, à avoir une vision plus tolérante de l’autre. Montrer que derrière les apparences, les valeurs, les émotions et les sentiments sont identiques. Qu’il y a une universalité de la souffrance, de la joie et bien sûr de l’amour.
 
 
  • Parlez-nous, des "coulisses" de ce livre. Nous sommes par exemple curieux de savoir si vous l'avez écrit d'une traite, de la même manière avec laquelle nous avons envie de le lire et de quand vous avez eu le déclic de l'écrire ?
 
 
Pendant de nombreuses années, j'ai nourri le désir d'écrire et de publier des romans. Malheureusement, les responsabilités familiales mais surtout les aléas de la vie m'ont confrontée à de dures épreuves qui ont mis en péril ma santé et ma force, m'obligeant à me battre pour vivre, à me rétablir, puis à être présente en priorité pour ma famille.Tout a commencé par un déclic dans un moment où les étoiles semblaient enfin alignées, où j'avais retrouvé une partie de ma vitalité et où je me reposais sur une plage. Etonnamment, j’observais une jeune fille qui courrait cheveux au vent et je me suis souvenue de mes cousines et moi au même âge. Cette insouciance que la jeune fille dégageait a été un moment suspendu pour moi entre présent et passé et elle me ramenait des années en arrière à cette période où je n’étais moi-même que totale insouciance. Cela m’a donné envie de raconter une fiction qui débuterait dans les années 80. J’ai commencé par raconter l’histoire d’une adolescente et petit à petit l’univers autour d’elle s’est agrandi. D’autres personnages sont apparus : sa famille, des amis, des voisins, chacun donnant de la voix et voulant raconter un peu de sa vie.
 
Sans m’en rendre compte, je me suis mise à raconter l’histoire de toute une famille qui commençait par l’insouciance de la jeunesse de trois cousines en fin d’adolescence qui passent leurs vacances à la plage. Elles sont révoltées, impertinentes, amusantes et touchantes, chacune à sa manière. Elles ont l’âge où on se découvre et on découvre l’art de la séduction. Et surtout elles possèdent cette force caractéristique des adolescents, que l’on pourrait qualifier de « force de vie » : être persuadées que la vie réalisera tous leurs rêves, qu’elle leur ouvrira toutes les portes souhaitées, qu’il suffit juste de le vouloir. Et l’une d’elles, Tanina, fera l’expérience du premier amour, je l’accompagne dans la découverte de ce monde à la fois effrayant parce qu’interdit et si attirant.
Effectivement, je l’ai écrit d’une traite : tous les personnages avaient quelque chose à dire. Ils avaient envie de témoigner d’une époque qui pour certains, comme la grand-mère, remonte au début du 20ème siècle et qu’il est nécessaire de rappeler à toutes les jeunes générations qui ne l’ont pas connue.
 
 
  • Vous avez l'art et la manière de magnifier des scènes banales de la vie quotidienne sans pour autant tomber dans le poncif. Quel en est le secret ?
 
Tout simplement, en observant le monde avec le cœur. Ne jamais se lasser d’admirer, ne jamais être blasé. Même les scènes les plus banales ont de la beauté en elles, il suffit de la débusquer : une main qui se tend en tremblant, un sourire qui plisse le regard, la trace d’un pas hésitant sur le sable, une mère portant son enfant… Prendre le temps de regarder autour de soi, c’est une manière de rendre hommage à la vie. Donner de l'importance à chaque instant et profiter des êtres qui nous sont chers et qui, un jour, ne seront plus là. 
 
  • Votre plume sait si bien pianoter sur la gamme qui va du grand sourire aux larmes. Avez-vous d'autres talents outre l'écriture et l'humour ?
 
Je suis très manuelle, je peux passer des heures à fabriquer des sculptures et à peindre des objets. Je suis, en général, une amatrice d’art. Tout ce qui est esthétiquement beau me parle, de la peinture à la sculpture en passant par la photographie, je pense que c’est un héritage paternel.Mais j’ai une complicité particulière avec les mots et la musique. Il m’arrive de souhaiter que mes mots dansent comme s’ils étaient des notes, une harmonie écrite qui résonnerait sur le papier au lieu d’être interprétée par des instruments de musique.
 
 
  • Fanchescou et sa douce folie entomologique; Kokis et son humour à deux "dimes"; Madame et ses histoires drolatiques à souhait; Nora et son appétit vorace de la vie... vos personnages sont une véritable addiction. Nous avons l'impression de les avoir rencontrés un peu. Nous avons même envie d'arrêter Hanna et Tanya dans la rue pour complimenter leur bronzage "perfecto". Comment les avez-vous rendus si beaux, si magnifiques ?
 
C’était l’objectif que tout le monde se reconnaisse dans un personnage ou un autre. Que le lecteur se dise : « Tiens ! J’aurais agi de la même manière » ou « Tiens ! C’est exactement ce que mon frère ou ma sœur aurait fait ! ».Il faut dire que mes personnages sont tous un composite de plusieurs personnes rencontrées au cours de ma vie, des bouts de réalité que mon imagination a rassemblés, ce qui les rend plus réels et plus humains.  Ils ont tous des caractères et des personnalités différentes : Kokis et son excentricité débridée, Hanna et son impétuosité romantique, Lily et sa liberté d’esprit, Tanya et son romantisme silencieux... 
Et ils sont attachants parce que je suis attachée à eux, parce que je les écris comme s’ils existaient dans une réalité personnelle. J’ai une affection particulière pour chacun d’eux et surtout j’ai envie de les voir évoluer à travers le temps, tout comme le lecteur, j’espère.
 
  • D'où vous est venue l'idée de nous apprendre autant de nouveaux mots en italien en si peu de temps ?
 
Encore une inspiration de mon passé que mon imagination a amplifiée. Enfant, j’ai toujours été fascinée par le caractère prolifique et imagé de la langue italienne. Sa capacité à exprimer par la sonorité de ses mots et de ses gestes des subtilités sans tomber dans la vulgarité. J’ai voulu décrire le déroulement d’un été avec des couleurs, des bruits, des musiques et des voix matinées d’accents. Qu’en plus du roulement des vagues, s’anime un monde ensoleillé et plein de vie, une sorte d’expérience immersive presque visuelle. 
 
  • Avez-vous d'autres manuscrits sous le coude ? En préparation ? Bientôt un prochain best-seller ?
 
D’autres manuscrits, oui. Parce que l'histoire d'amour de Tanina n'est pas terminée, ce serait dommage qu'elle s'arrête ainsi. Et la famille a encore tellement de choses à raconter, des secrets à révéler et des péripéties à vivre. En fait, la suite est déjà en cours de correction. Si le lecteur apprécie et en redemande, l'histoire continuera. Quant à savoir si ce sera livre à succès, c'est au public d'en décider.Une chose est sûre : partager la suite sera pour moi un grand bonheur.

Recueillis par Houda BELABD







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