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Interview avec Mouncef Idrissi : «La maladie addictive est multifactorielle et impose une approche préventive»


Rédigé par Rime Taybouta Jeudi 20 Janvier 2022

Environ 6 millions de fumeurs au Maroc, selon une estimation récente du Conseil économique, social et environnemental. Mouncef Idrissi, addictologue, diabétologue et médecin du travail à Rabat, considère l’addictologie comme un phénomène aux grandes conséquences économiques et sociales.



- La crise sanitaire est survenue avec un lot d’effets néfastes sur les habitudes et comportements des individus. Quid des addictions, s’aggravent-elles avec les effets de cette crise ?

- La pandémie de Covid-19 constitue une réalité particulière et inhabituelle. Celle-ci a affecté les personnes sur le plan physique, mais également sur le plan psychologique. En effet, dans un tel contexte, de nombreuses personnes vivaient des réactions de stress, d’anxiété et de dépression.

Outre la pandémie elle-même, les mesures qu’elle a engendrées et la crise économique qui en découle pèsent lourd sur la santé mentale de plus en plus importante de la population.

La crise sanitaire a un impact important sur les aspects de la santé physique, mentale et sociale, particulièrement chez les personnes qui souffrent d’addiction. Des études nationales menées durant cette pandémie ont montré qu’il s’agit d’une augmentation considérable des états de stress généralisé au début, mais, de plus en plus, ce dernier devient chronique. Le stress excessif omniprésent vis-à-vis de notre bien-être physique, se transforme en anxiété, vu que cette dernière est liée à l’isolement, une variable intervenue à cause de cette crise.


- Quelles sont les typologies des différentes formes d’addictions ?

- En vue de satisfaire la demande de santé, l’Etat a veillé sur l’offre de soins et mis l’ensemble des ressources humaines, matérielles, logistiques et financières à la disposition des populations. Dernièrement, cette offre a été focalisée sur les soins du Covid, ce qui fait que toutes les maladies chroniques ont été impactées par la suite.

Il faut savoir que l’addiction est une vraie maladie chronique, tout comme le diabétique, un addict doit passer par des périodes de rémission et puis un suivi qui permet de prévenir toutes les complications. Outre les addictions liées aux substances, les addictions comportementales, notamment : les troubles de conduite alimentaire, le jeu de hasard et d’argent, les troubles d’attachement, les achats compulsifs, font actuellement l’objet de recherches scientifiques.


- Quelle est la nuance entre dépendance et addiction ?

- Contrairement à la dépendance qui est définie par ce désir puissant de consommer ainsi que la tolérance par rapport aux effets et aux conséquences nocives, l’addiction se caractérise par une consommation ou une pratique compulsive et non-contrôlée.

Après l’amélioration de l’offre de soins, la définition de dépendance et d’abus a été remplacée par la notion des troubles liés à l’usage des substances ainsi que des comportements, une initiative qui a réglé le problème du diagnostic orphelin, parce qu’avec cette ancienne nosographie, il était difficile de placer le diagnostic. Pour cette raison, la communauté scientifique internationale a jugé qu’il était nécessaire d’adopter une telle appellation « les troubles liés à l’usage ».


- Qu’est-ce qui pousse les jeunes à aller vers ces pratiques ?

- L’adolescence est une période charnière. De nos jours, l’attitude et le comportement des jeunes vis-à-vis des substances psychoactives sont considérés comme un indicateur de santé mentale. Toutefois, il faut des études nationales approfondies et exploitables afin d’en tirer des conclusions probantes. Ce qui permettrait de dresser un bilan de qui fume quoi ? Où ? Comment ? Une telle démarche permettrait également de connaître l’âge d’exposition à grande échelle.

La connaissance de ce dernier paramètre est cruciale car plus l’âge d’exposition est précoce, plus les pronostics sont graves. C’est comme un diabète qui survient tôt, mettant les patients dans des états graves à jeune âge. Maintenant, il est de notoriété publique que l’adhésion des adolescents à ce genre de pratiques vient par l’influence sociale, notamment des pairs. Les substances psychoactives font partie de notre environnement, elles sont très accessibles.

A cela s’ajoute l’influence de la scène audio-visuelle, à travers les publicités, les films. Tout cela fait que l’addiction devient une « maladie sociale » dont les acteurs qui y interviennent sont la société, l’école et la famille.


- Comment peut-on se sortir d’une addiction ?

- Il faut agir très tôt, car la maladie addictive est multifactorielle Il faut donc des formations de prévention et celles qui ont montré leur efficacité démarrent généralement tôt, c’està- dire débuter la sensibilisation dès l’école primaire, sachant que certains pays le font dès la maternelle. Il faut aussi des programmes qui s’inscrivent dans la durée. Pour qu’il soit efficace, un programme de lutte contre l’addiction doit impliquer l’ensemble des parties concernées par ce phénomène, celles-ci devraient définir les objectifs et mettre en place des actions, qui seraient évaluées par la suite. Les programmes en question doivent également être adaptés au contexte socio-culturel, pour éviter tout éventuel choc pour les patients.
 
« L’addictologie est une spécialité qu’on doit faire lorsqu’on aime aider autrui ».

Ensuite, il y a la prévention secondaire, qui intervient lorsque les complications sont déjà là et qu’il faudrait soigner. Dans ce cas, il faut souligner qu’il ne faut jamais procéder à un traitement sous la contrainte. Le mot d’ordre c’est la motivation, mais pour ce qui est des techniques, il y en a plein, à savoir les traitements pharmacologiques, les techniques de réadaptation, les thérapies cognitives, etc. Celles-ci ont fait leurs preuves, il faut juste savoir se comporter avec ces situations.


- Comment devraient être, selon vous, les profils des professionnels qui devraient traiter ce genre de maladies?

- Etant donné que l’addiction est une maladie chronique, dont les complications physiques, mentales et sociales sont dévastatrices, le personnel soignant devrait être dévoué, empathique, avec de grandes qualités humaines et professionnelles. L’addictologie est une spécialité qu’on doit faire lorsqu’on aime aider autrui. Il ne suffit pas d’être un bon clinicien pour réussir en addictologie, il faut d’abord construire sur les qualités humaines.


- Le Maroc est-il doté des infrastructures et instances nécessaires pour former suffisamment d’addictologues?

- Beaucoup d’efforts sont fournis par les professionnels dévoués, toutefois, il y a des efforts à fournir afin de hisser cette spécialité au rang des autres spécialités du domaine médical. Il faut développer les infrastructures, notamment les structures d’accueil d’hospitalisation dont le nombre est resté jusqu’aujourd’hui réduit. Grâce aux initiatives de SM le Roi Mohammed VI, toutes les villes disposent d’une structure où les citoyens pourraient avoir un accès à une consultation addictologique.

Maintenant, il faut un petit effort supplémentaire pour répondre à ce phénomène qui est en hausse. Il faut également la mise en place d’une formation plus avancée avec un syllabus adapté aux valeurs et aux réalités de notre société.


Recueillis par Rime TAYBOUTA