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Interview avec Mouna Karimi : " Les femmes gagnent en visibilité dans le cinéma marocain "


Rédigé par Meriem Lamrajni Dimanche 4 Février 2024

L'artiste engagée Mouna Karimi, chercheuse et cinéaste marocaine, dévoile à Marseille son exposition captivante : « Négocier ce corps n'est pas permis ». L'exposition explore la représentation des femmes dans le cinéma marocain, et offre une réflexion profonde au public.



 
  •  Comment avez-vous évolué en tant que cinéaste chercheuse spécialisée dans le cinéma marocain féminin ?
 
Après avoir obtenu mon Bac, j'ai immédiatement envisagé de me diriger vers une carrière axée sur l'image. J'ai intégré l'ISCA, l'Institut Spécialisé du Cinéma et de l'Audiovisuel, où j'ai étudié le scénario et la réalisation tout en réalisant plusieurs projets cinématographiques. C'est là que ma passion pour le documentaire s'est développée, et j'ai rapidement décidé de poursuivre dans cette voie.

Par la suite, j'ai accumulé diverses expériences professionnelles tout en initiant des projets documentaires, les faisant évoluer jusqu'à leur participation à des festivals. Mon objectif était de mettre en lumière des figures féminines du quotidien qui m'entouraient, et représenter ainsi la diversité des parcours des femmes marocaines de tous milieux sociaux, souvent négligées sur nos écrans. Cette démarche découlait de mon désir personnel de voir des images reflétant ma génération au-delà des clichés et stéréotypes souvent présents dans les films et téléfilms.

J'ai également obtenu un master en production en France, à Lussas, l'une des meilleures formations du pays en matière de documentaire de création. C'est là que j'ai développé une vaste culture des cinématographies féminines internationales. Par la suite, j'ai travaillé à Paris avec des sociétés de production documentaire, participant à des résidences d'écriture pour mes projets, toujours axés sur des histoires féminines ou abordant des problématiques liées aux femmes.

Au cours de cette période, plusieurs éléments se sont enchevêtrés, et j'ai pris conscience qu'au-delà de ma carrière d'artiste réalisatrice, je souhaitais me concentrer sur l'histoire des images cinématographiques, notamment au Maroc, et sur leur impact et leurs liens avec la société, les traditions et la culture nationales. C'est ainsi qu'est née en 2018 l'idée de réaliser une thèse portant sur la représentation des femmes dans le cinéma marocain et les cinématographies nationales des cinéastes ayant influencé ces représentations.
 
  • Qu'est-ce qui vous a motivé à créer cette exposition ?
 
En 2018, au démarrage concret de ma thèse, j'ai ressenti le besoin de concrétiser un projet créatif explorant certaines des questions que j'abordais dans mes écrits. Si l'écrit apporte beaucoup, les médiums artistiques ont souvent la capacité d'illustrer et d'incarner de manière plus tangible des recherches de terrain sur des questions spécifiques. En abordant la question des images de femmes au Maroc, par exemple, j'ai rapidement compris qu'elles étaient inspirées par une pluralité culturelle, arabo-musulmane, amazighe, nord-africaine. J'ai également constaté que nos images se construisent souvent à travers l'oralité et se transmettent d'un imaginaire à un autre.
 
L'idée d'une série de photographies a donc pris forme, où je personnifierais à travers l'iconographie plurielle marocaine des portraits oniriques qui interpellent notre imaginaire culturel.
En ce qui concerne le film, j'ai souhaité explorer les implications du geste créatif autour de la représentation du corps féminin. J'ai collaboré avec un artisan potier qui n'avait jamais réalisé ce type de projet, et l'idée était d'initier un échange basé sur le partage des savoirs pour aborder le geste de fabrication à travers la poterie et les questions liées à l'autocensure de nos imaginaires.   

J’ai donc eu l’idée d’intégrer à cette exposition une sorte de table archéologique proposant certaines de ces images mises en lien les unes aux autres et aussi une fresque murale retraçant l’histoire du cinéma marocain.  

Ce qui s'est avéré particulièrement captivant, c'est la présentation de ce travail à Marseille, une ville cosmopolite. Cette exposition a suscité un vif intérêt au sein de la population marseillaise, engendrant de nombreuses interrogations. Prochainement, je prévois de proposer cette œuvre au Maroc, et je suis convaincue que l'intérêt du public sera également manifeste.
 
  •  Qu'est-ce qui vous a motivé à créer cette exposition à Marseille, et comment est née l'idée de "Négocier ce corps n'est pas permis"?
 
J'ai exploré les récits qui émergent des figures féminines issues de l'oralité amazighe de plusieurs régions, et je continue cette exploration dans mes futurs travaux. J'ai également cherché à comprendre la manière dont ces images circulent au sein de la société et les interrogations qu'elles suscitent.
La richesse de notre culture nous permet d'aborder les représentations sous différentes formes et dimensions. Les images mentales revêtent une importance particulière pour nous, car une grande partie d'entre elles se transmet par les contes et récits oraux. Notre cinéma s'inspire fréquemment de ces autres formes de représentations.

Le titre de l'exposition fait également référence à l'idée de la négociation qui entoure le corps féminin, un thème au cœur des débats et discours, tant au Maroc qu'en France. À travers cette exposition, j'ai également cherché à faciliter l'accès à mon travail de recherche académique.
 
  • Selon vous, quel est l'avenir du cinéma marocain féminin? Voyez-vous des évolutions positives dans la manière dont les femmes sont représentées à l'écran?
 
Actuellement, je ne peux que me montrer optimiste, car au cours des 15 dernières années, on observe une augmentation notable de la présence des femmes dans l'industrie cinématographique marocaine. Les réalisatrices marocaines gagnent de plus en plus de reconnaissance sur la scène internationale, et leurs films contribuent à changer la perception et la représentation des femmes à l'écran.
Il est essentiel de promouvoir l'émergence de réseaux de soutien entre femmes, que ce soit à travers des mentorats, des ateliers ou des associations professionnelles. C'est d'ailleurs l'un des projets à long terme que j'aimerais mettre en œuvre au Maroc.

Cependant, malgré cet optimisme, il reste beaucoup à accomplir pour parvenir à une égalité et une représentation complètes. Les défis comprennent la nécessité d'une plus grande présence dans les rôles de direction, l'accès au financement et la lutte contre les stéréotypes de genre à l'écran et dans la société en général.
 
  • L'une des critiques fréquentes dans le domaine cinématographique est l'utilisation du "male gaze". Pouvez-vous partager votre perspective sur la présence du "regard masculin" dans le cinéma marocain et comment cela se reflète dans la représentation des femmes à l'écran?
 
Oui, c'est effectivement une question récurrente et cruciale lorsqu'on s'engage dans un travail cinématographique. Le concept de "male gaze" implique la réalisation d'images filmiques et la transmission d'un discours à travers les personnages et la mise en scène du film selon une perspective masculine, intrinsèquement liée à la notion d'un regard patriarcal. Ce regard a toujours été très présent dans le cinéma marocain, bien qu'il ne soit pas universel, même s'il a dominé la majorité des films produits pendant plusieurs décennies.

Il se manifeste de plusieurs façons : à travers la caméra en ce qui concerne la mise en scène et la manière de filmer les personnages féminins, à travers la construction des personnages en termes de caractère, de parcours de vie ou des discours qu'ils portent, et enfin à travers le spectateur et ce qui lui est présenté et compris de la vie de ce personnage féminin et de ce à quoi elle aspire. Cependant,  nous constatons qu'il existe de nombreux cinéastes masculins qui ne suivent pas ces constructions filmiques, tels que Faouzi ben Saidi, Jilali Ferhati, Hicham Larsi, Hakim Belabess.
 
  • En élargissant votre champ d'action au-delà du Maroc, comment décririez-vous votre expérience de représenter la thématique de votre exposition à Marseille?
 
L'expérience a été extrêmement stimulante et enrichissante. Le public marseillais a posséde nombreuses questions concernant les œuvres de l'exposition et le film, témoignant ainsi d'un réel intérêt pour la cinématographie et l'art liés au Maroc. Mon objectif est également de créer des ponts entre des publics et des programmations artistiques totalement différents d'un pays à l'autre.
 
  • Pourriez-vous nous éclairer sur votre projet de poterie qui envisage de représenter les femmes à travers des perspectives diverses, tout en explorant la dynamique particulière entre l'artiste et l'artisan dans cette entreprise?
 
L'idée du film a émergé lorsque j'ai commencé à chercher un moyen d'observer et de comprendre la construction des rapports aux représentations du corps féminin au sein de la société marocaine. Dialoguer avec un artisan autour d'un objet de création centré sur le corps féminin offre un canal de communication différent autour de ces représentations.

L'objectif n'est pas du tout de changer le point de vue de l'autre, mais plutôt de le comprendre. Dans mon film, j'inclus d'ailleurs une archive d'interview où la sociologue Fatima Mernissi parle justement de cette communication nécessaire pour comprendre les visions qui s'opposent. J'ai discuté avec plusieurs potiers avant de rencontrer celui qui a accepté de collaborer sur le projet. L'idée était simplement de lui demander de réaliser une sculpture qui explore son imaginaire à propos du corps féminin, et que lui aussi m'apprenne le maniement de l'argile afin que je réalise la mienne selon mon regard.









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