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Interview avec Mohammed Bakrim : «Les investissements alloués au cinéma sabrés à 70% en 2020»


Rédigé par Safaa KSAANI Dimanche 30 Janvier 2022

Le ministère de la Culture se propose de repenser le secteur afin d’optimiser la circulation des produits culturels et du cinéma en particulier.



- Mardi dernier, le ministre de la Culture a annoncé à la Chambre des Représentants qu’il est en train d’étudier la possibilité de valoriser le montant des subventions publiques à la production cinématographique internationale, pour passer de 20% à 30%. Que signifie cela concrètement. Et quel sera son impact en termes de création d’emploi ?

- C’est une proposition qui vise à faire passer la part de la prise en charge par l’Etat des frais d’investissement d’une production audiovisuelle internationale de 20% actuellement à 30%. C’est une forme de contribution à même d’encourager par des mécanismes fiscaux les sociétés de production à opter pour le choix du Maroc comme espace de tournage d’une partie ou de l’ensemble d’un projet cinématographique ou audiovisuel. Cela concerne aussi bien un clip, un spot de publicité qu’une grosse fiction américaine ou un téléfilm de France3.

L’objectif étant bien sûr de venir en aide à un secteur impacté par la crise et redonner du travail à des centaines de techniciens mais aussi à des figurants, des employés de sociétés de production marocaines. D’une manière indirecte aux secteurs qui gravitent autour d’un tournage : transport, hôtellerie, restauration…


- A quoi est due cette hausse du budget d’investissement étranger, en cours d’étude ?

- Cette politique publique très volontariste d’aide à la production internationale (autour de 100 millions de dirhams injectés annuellement par le CCM dans ce sens) s’inscrit dans une double logique. Une logique économique en cohérence avec les choix libéraux qui président à la politique générale menée par le pays où l’Etat s’engage à favoriser par des mesures incitatives l’investissement étranger au Maroc.

En matière de cinéma et de production audiovisuelle, cela rejoint toute une panoplie de mesures fiscales, douanières qui ont, notamment à partir des années 2000, apporté leur fruit avec une augmentation substantielle des budgets investis au Maroc (une augmentation annuelle de près de 8%). Mais c’est une politique qui obéit à une logique historique.

Le Maroc a été très tôt un pays de grande destination pour les tournages internationaux bénéficiant de la sollicitude des plus hautes autorités politiques du pays. Je peux vous rapporter par exemple une anecdote révélatrice de cet intérêt.

Feu Hassan II était intervenu personnellement pour le tournage au Maroc de plusieurs séquences du film « Un thé au Sahara » de Bernardo Bertolucci (1990). Il était en effet convenu que le tournage allait avoir lieu au Maroc ; les producteurs ont opté finalement pour l’Algérie. Alors que Bertolucci était dans les plateaux du Hoggar quand il reçut un appel téléphonique du défunt Roi lui rappelant ses engagements à tourner au Maroc. Le célèbre réalisateur italien n’hésita pas une seconde et reprit une partie de son tournage à Tanger (filmant notamment l’arrivée à Tanger du couple imaginé par Bowles qui fit lui-même une apparition dans le film) et dans les régions d’Erfoud.

S.M. le Roi Mohammed VI porte le même intérêt à cette dimension de notre cinéma. En lançant le festival de Marrakech avec une dimension internationale, la volonté royale vise justement à renforcer cette politique. De grands cinéastes ont affiché leur reconnaissance au Souverain pour le soutien apporté à la concrétisation de leur projet. Je cite le cas d’Oliver Stone qui n’a pu terminer sa super production « Alexandre » qu’avec l’apport de l’armée marocaine.
 
Les effets prolongés de la pandémie ont réduit de plus de 70% le montant des investissements en 2020.

- Ce dispositif entraîne de grosses retombées financières en termes d’investissements étrangers dans le secteur du cinéma. Selon vos estimations, combien de millions de DH d’investissement étranger seront ainsi générés dans la production cinématographique et télévisuelle ?

- L’embellie n’est pas pour demain ; le contexte est très délicat ; outre les effets prolongés de la pandémie qui a réduit de plus de 70% le montant des investissements en 2020, il faut ajouter la rude concurrence qui s’annonce pour après Covid-19.

En plus de nos concurrents classiques, l’Espagne, les pays de l’Europe de l’Est qui ont rejoint l’Union Européenne, il faut compter désormais avec des concurrents coriaces comme les pays du Golfe qui mettent énormément d’argent pour attirer les productions étrangères. Abu Dhabi est devenue une plateforme incontournable dans ce sens.

Il faut compter également avec l’arrivée certaine de nos deux pays frères du Maghreb, exclus provisoirement de la compétition pour les raisons que l’on sait. Mais le Maroc a pour lui l’existence d’une réelle volonté politique, une stabilité, une économie ouverte et le savoir-faire évident de ses techniciens, de ses producteurs, de ses artisans…. Tout cela plaide en faveur d’un optimisme lucide qui signifie que l’on peut retrouver approximativement les chiffre d’avant Covid ; à savoir des investissements globaux de près d’un milliard de dirhams.


- Quels grands studios internationaux seraient les premiers à manifester leur intérêt ?

- Le système est hyper organisé ; et il y a des grandes traditions qui sont déjà en place. Des sociétés marocaines qui assurent la production exécutive font un excellent travail à l’étranger (certaines ont même des correspondants à Hollywood) et investissent les festivals internationaux avec le soutien du CCM pour garder le contact avec les clients traditionnels du Maroc : les Américains, les Français, les Allemands…


- Le ministre avait également annoncé la création de 150 salles de cinéma, à travers le Royaume, et de salles de cinéma, de spectacles et de théâtre au sein des Maisons de jeunes et de la culture. Quel commentaire en faites-vous ?

- C’est là où le bât blesse… Malheureusement, avec tous les efforts investis, le cinéma marocain pâtit de l’absence d’un marché intérieur qui donnera sens à cette dynamique de la production nationale (plus de 25 longs métrages par an !!!). Je ne pense pas que les Maisons des jeunes pourraient pallier ce déficit.

En 2007, le CCM, en concertation avec la profession, avait préparé un projet global pour répondre à la crise de l’exploitation cinématographique. Il comprend au moins trois volets : la réhabilitation des salles de cinéma qui relèvent du patrimoine architectural de nos villes (l’exemple du cinéma Salam à Agadir) ; une politique d’aide à la création de multiplexes de moyenne taille dans les grands centres urbains ; la création de salles de proximité et polyvalentes dans les quartiers. C’est un projet qui mérite d’être ressorti et réactualisé en fonction des nouveaux développements.

Le ministère de la Culture pourrait contribuer en réglant le statut hybride de certains centres culturels. Ils pourraient être équipés en matériel de projection une fois tranchée la question de leur statut : certains dépendent des mairies et des communes. Le jeune ministre n’a qu’à dépoussiérer les archives de ses départements ; les idées sont là en instance. J’espère qu’il aura la sagesse de ne pas noyer le problème, comme certains de ses prédécesseurs, en appelant à un colloque national (pour la énième fois) ou à concevoir un livre blanc qui avait coûté une année blanche au cinéma.


Recueillis par Safaa KSAANI








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