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Interview avec Mohamed El Ouahdoudi : « Le Maroc n’arrive pas à assurer sa souveraineté nationale en miel »


Rédigé par Safaa KSAANI Mercredi 13 Juillet 2022

Alors que le phénomène de disparition des abeilles s’accentue, Mohamed El Ouahdoudi, fondateur du Salon Expo Halal au Maroc, nous livre son analyse en la matière, tout en dressant un bilan alarmant du secteur de l’apiculture.



- Le phénomène de disparition des abeilles a commencé à partir des mois de juin/juillet 2021. Quelles leçons tirez-vous de ce phénomène dont les enquêtes et les études de terrain sont toujours en cours ?

- Cette disparition des abeilles que l’on appelle « syndrome d’effondrement des colonies » est à la fois une mauvaise surprise par son ampleur, et une conséquence prévisible. Le Maroc semblait être préservé de ce syndrome qui sévit de par le monde depuis plusieurs années, jusqu’à l’année dernière, quand la plus vielle ruche du monde, dans la région d’Agadir, a commencé à compter les dégâts.

A cela, il faut ajouter la surexploitation des ruches et l’introduction de poches de sucres dans l’alimentation des abeilles qui ont affaibli le système immunitaire de ces êtres habitués à se nourrir dans la nature. Il faut assumer ce fait et renforcer la formation et la sensibilisation des professionnels qui sont attachés à ce patrimoine ancestral.

Le sucre industriel, s’il n’est pas contrôlé, devient un véritable poison. Comme dit l’adage : ton aliment est ton médicament. Si on modifie l’alimentation de nos amies les abeilles, on doit s’attendre à des catastrophes que la sécheresse aggrave. Certains rapports européens ont pointé une « épidémie » de l’acarien parasite varroa (Il s’introduit en effet dans les alvéoles des ruches contenant les larves d’abeille et se nourrit de leur hémolymphe).

L’existence au niveau du Maroc de ce parasite serait peut-être une des causes de ces hécatombes brutales qu’a connu le Maroc il y a quelques mois. On ne peut pas improviser dans ce domaine en recourant à des produits chimiques pour soigner les ruches, qui se révèlent néfastes à tous points de vue. Cela dit, attendons de voir ce que révèleront les investigations de l’Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires (ONSSA) et du ministère de l’Agriculture.


- Les abeilles mangent du sucre pour survivre. On a l’impression que les champs et plantes manquent cruellement dans notre pays. A quel point peut-on pointer les pesticides ?

- Le Maroc a un potentiel de production de miel dix fois supérieur à ce qu’il produit actuellement. Il bénéficie d’une diversité géographique et d’un climat parmi les meilleurs au monde, et les plus propices. Cependant, la production de miel au Maroc reste en dessous de ce potentiel. L’effet des pesticides sur la disparition des abeilles est surtout le résultat d’études et enquêtes en Europe, où la plupart des insectes sont également en voie de disparition.

Au Maroc, cet usage est certes à dénoncer, mais il reste limité. La sécheresse et l’appât du gain sont à rechercher parmi les causes principales. Les dernières campagnes des pouvoirs publics pour limiter les pesticides dans notre monde agricole produisent leurs effets, et sans doute la prise de conscience par les consommateurs sera un facteur déterminant pour encourager une agriculture et des élevages respectueux de l’environnement.
 
Si on modifie l’alimentation des abeilles, on doit s’attendre à des catastrophes que la sécheresse aggrave.

- Dans ce contexte, comment se porte le secteur de l’apiculture ?

- On estime à environ un milliard de dirhams le chiffre d’affaires du secteur. Les Marocains sont consommateurs occasionnels du miel en général, notre pays ne figure pas parmi les pays grands consommateurs comme la France ou les Etats-Unis. Le Maroc ne figure pas parmi les grands producteurs de miel dans le monde, sa production annuelle ne dépasse pas les 5000 tonnes, à comparer à la production mondiale qui s’approche des 2 millions de tonnes. Une seule entreprise en France, leader mondial dans le commerce du miel, génère plus d’un milliard et demi de dirhams annuellement.

De tout temps, la production de miel au Maroc a constitué un complément de revenu pour des paysans. Aujourd’hui, l’industrialisation avance vite également dans l’apiculture, même si de nombreuses coopératives arrivent à concilier entre l’authenticité du produit et des chaînes quasi industrielles.

On peut devenir apiculteur amateur en cultivant cette passion. Je pense que l’avenir proche verra l’apparition de petites productions contrôlées, de qualité, comme c’est le cas en Europe.


- Au niveau de la commercialisation des produits du terroir, n’est-il pas urgent de mettre en place un partenariat public-privé efficace jouant en faveur des producteurs et par conséquent favoriser l’internationalisation de ces produits ?

- Le Maroc n’arrive pas à assurer sa souveraineté nationale en miel, de là à parler d’exportation c’est exagéré. On a beaucoup à apprendre de pays comme la Turquie, qui a développé un véritable savoir-faire en apiculture et figure parmi les trois premiers exportateurs de miel dans le monde.

Chez nous, il y a un grand besoin de contrôle et d’éducation pour limiter les dégâts des faux miels et des arnaques en tous genres. Les fraudes en tous genres se sont développées pour répondre à la demande mondiale du miel. La Chine et des pays d’Europe de l’Est sont pointés du doigt pour des fraudes (ajout de sirop de sucre, blanchiment du miel…). Les autorités marocaines doivent redoubler de vigilance. J’ai pu voir des bidons entiers de miel d’importation soi-disant d’Espagne, à Guelmim par exemple.
 
Au Maroc, l’usage des pesticides est certes à dénoncer, mais il reste limité.

Notre production artisanale de miel est très convoitée. J’ai trouvé du miel de la région de Draâ- Tafilalet en vente à Bruxelles dans une boutique spécialisée, alors que, normalement, il est interdit d’en importer du Maroc.

 
- Devant un vide juridique spécifique à l’apiculture et des textes actualisés couvrant les produits de la ruche, parmi les solutions que vous présentez figure l’intensification des champs et plantes aromatiques et médicinales. Pouvez-vous nous parler des tenants et aboutissants de ce projet ?

- En effet, de plus en plus de coopératives se lancent dans la culture des plantes aromatiques et médicinales pour lutter contre la désertification, et diversifier leurs produits grâce aux huiles essentielles notamment.

L’Agence nationale des plantes aromatiques et médicinales, basée près de Taounate, joue de plus en plus un rôle de formation et de sensibilisation afin d’augmenter les surfaces de ces cultures. Parmi elles, le romarin, qui fait partie des plantes mellifères recherchées par les abeilles. Celles-ci ont besoin de quatre substances que leur procurent les plantes mellifères : le nectar, le pollen, le miellat et la propolis, qui protège les ruches des infections. Ces substances sont présentes dans le lierre, le sorbier des oiseleurs, le châtaignier, le merisier, le noisetier, le clémentinier, l’amandier, le thym, la myrtille…


- Par ailleurs, quelle place sera accordée à la culture de ces plantes dans la 10ème édition du Salon Halal Expo ?

- Lors de notre prochain Salon des produits Halal à l’export, prévu en octobre 2023 à Agadir, nous mettrons à l’honneur la culture des plantes aromatiques et médicinales avec nos partenaires dans la chaîne de valeur des produits Halal, et la place du miel en tant qu’ingrédient et produit fini. Nous prévoyons également une rencontre internationale sur la production durable du miel, en visant un export de haut de gamme, avec des « marques » authentiques en phase avec la renommée du Maroc dans la qualité des produits de terroir.



Recueillis par Safaa KSAANI








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