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Interview avec Mohamed Abderrahmane Tazi : « Les jeunes doivent connaître les écrits de Fatema Mernissi »


Rédigé par Safaa KSAANI Jeudi 20 Octobre 2022

Arrivé dans les salles de cinéma depuis le 28 septembre dernier, le nouveau long-métrage de Mohamed Abderrahmane Tazi, “Fatema, la sultane inoubliable”, raconte la vie et le parcours de la sociologue et écrivaine Fatema Mernissi. Dans cet entretien, il nous fait part de sa fierté d’accomplir cette “mission”.



Interview avec Mohamed Abderrahmane Tazi : « Les jeunes doivent connaître les écrits de Fatema Mernissi »
- Vous avez consacré votre nouveau long-métrage “Fatema, la sultane inoubliable” à la défunte, qui est votre cousine. Est-ce que ce lien familial vous a facilité la tâche?

- Oui et non, car, en dehors de cette relation familiale, nous étions des amis. Le film raconte l’histoire à partir de notre retour de l’étranger, elle des Etats-Unis et moi de la France. On retrouve cet esprit de camaraderie qui existait depuis notre enfance. Depuis, nous étions pratiquement inséparables dans nos voyages et dans nos projets. Le fait d’être cousins n’ajoute pas quelque chose à ce que je voulais faire en tant que cinéaste, avec ma vision personnelle, sous forme d’un biopic sur une dame très importante dans notre société, une icône, une sociologue de talent. Une femme qui a combattu pour la liberté de la femme. C’est ça le personnage qui m’intéressait, au-delà de notre relation familiale.

Pour moi, c’est une forme nouvelle d’expression. On peut rester dans la fiction, la comédie ou le drame et faire du biopic. Il faut diversifier notre cinéma. Je pense qu’on n’a pas fait de biopic jusqu’à ce jour. Je suis heureux d’avoir abouti à le finir, le projeter, et le voir apprécié.


- Trois semaines après la projection du film, pensez-vous que le biopic est un genre apprécié par le public marocain ?

- Le public, on l’éduque. Quand on voit chaque soir pendant le Ramadan des séries de burlesque, de gesticulation, évidemment ça éduque et impacte un public. C’est pourquoi on voit la répercussion de ce genre d’expression audiovisuelle dans certains films actuellement. Il faudrait qu’on arrive à donner des choses intéressantes au public. Ça ne sert à rien de faire un film et qu’on l’oublie à la sortie de la salle de cinéma. Il faudrait faire des films où on donne aux gens à penser et à réfléchir. Évidemment, il y a un côté divertissant au cinéma. Il y a aussi l’éducation qui est très importante.


- Quel message souhaitez-vous véhiculer à travers ce film ?

- Je ne fais pas de films pour envoyer des messages. Je fais des films pour raconter des choses qui me touchent dans notre société, ce que je vois, ce que je sens, et ce que je dois apporter. Dans mes films, je donne à voir notre société marocaine dans ses traditions, ses habitudes, sa culture et son patrimoine. Voilà ce qui m’importe. - C’est de votre devoir… - Disons qu’il y a des obligations à tout citoyen d’apporter quelque chose dans sa société. Dans le domaine culturel, j’espère pouvoir sensibiliser les gens pour mieux apprécier leur pays, et ce, via mes films.


- Le public cible sont les jeunes ?

- Il n’y a pas de cible à proprement parler puisqu’il ne s’agit pas de spot publicitaire. Effectivement, je m’adresse aux jeunes. Le plus important pour moi c’est que ce film puisse donner une idée aux jeunes pour qu’ils puissent revenir à la lecture et savoir qui est Fatema Mernissi, ce qu’elle a écrit et comprendre le combat qu’elle a mené pour la société marocaine. Les études menées par cette sociologue, connue dans le monde arabe et en Occident, représentent notre société. Quand elle explique la vision de l’islam bien plus haute que l’obscurantisme des interprétations, quand elle étudie la sociologie auprès des tisseuses de tapis, quand elle fait des études sur des jeunes désoeuvrés… Les jeunes doivent connaître ses écrits. Si des jeunes sortant du film se motivent pour lire ses livres, j’aurais réussi ma mission.


- L’idée du biopic est née du fait du décès de la défunte ?

-Non, pas du tout. C’était de son vivant. Je lui ai proposé de faire un film sur elle, surtout dans un esprit documentaire. Je lui avais enregistré énormément d’images aussi bien animées que fixes sur ses voyages, ses missions, ses études sociologiques… Et la réponse était la suivante : “Moi, je ne suis pas importante. Ce sont mes livres qui sont importants!”. Je n’étais pas encouragé. Mais après sa mort, ma mission est de pouvoir réaliser ce que je voulais faire de son vivant.
 
« Si des jeunes sortant du film se motivent pour lire ses livres, j’aurais réussi ma mission »

- En tant que son proche, vous avez vu sa lutte et son combat pour la liberté de la femme marocaine et l’égalité des sexes pendant une période sensible du Maroc. A quel point cela a-t-il façonné votre cinéma?

- Nous étions préoccupés par les mêmes sujets sur le Maroc. Comment voir progresser notre société, dans quel sens ? Qu’est-ce qu’on peut apporter comme information, soit par l’écrit ou par l’image, pour que cette société soit meilleure ?... Les droits de l’Homme et la liberté d’expression faisaient partie de nos préoccupations qui sont partagées, chacun de son côté, l’un par l’image et l’autre par les écrits. Quand vous lisez “Rêves de femmes” et quand vous voyez “A la recherche du mari de ma femme”, vous voyez des similitudes.


- Au niveau du casting, le choix des acteurs principaux est fixé sur Meryem Zaïmi et Brice Bexter El Glaoui. Le choix s’est-il fait naturellement ?

- Quand on se met à écrire un scénario, on imagine déjà les acteurs qui vont jouer les rôles. Tous les autres rôles sont plus ou moins satellitaires par rapport à celui de Fatema Mernissi. En la personne de Meryem Zaïmi, j’ai trouvé une actrice de grand talent, de par ce qu’elle a fait dans le théâtre, à la télévision. Et puis, il y a une ressemblance physique. Je sentais qu’il y avait quelque chose qui pouvait donner cette image de Fatema Mernissi, qui était particulière dans sa démarche, dans son accent, et dans son humour.. Elle a pu habiter le personnage et l’exprimer de manière magistrale.

Par rapport au rôle du cousin de Fatema Mernissi, c’est un autre comédien qui devait jouer le rôle. C’était à pied levé, une semaine avant le début du tournage. Ce comédien était en France à ce moment- là, bloqué par la Covid-19. A quelque chose malheur est bon, je suis satisfait du jeu de Brice Bexter qui a interprété mon rôle.


- Quelle a été la durée du tournage ?

- Le tournage a été fait en cinq semaines. Depuis 2019, on est arrivé à bout de ce film en mars 2022. Une grande partie de l’équipe était sur place, en 2020 à Zagora. Puis il y a eu la décision de confinement. On a dû attendre deux ans. Même en reprenant, il fallait toutes les difficultés du monde pour éviter les contaminations, notamment pendant le tournage. Le montage demande du temps aussi.


- Le Prix de la musique a été décerné au film lors du Festival national du film de Tanger. Avec quels artistes avez-vous travaillé au niveau musical dans cet opus ?

-Je ne veux parler ni de ce festival de palmarès de la honte, ni du Prix de la musique. Ce que je lis dans la presse me suffit pour comprendre que c’était de l’injustice et que des choses aberrantes ont été décidées par le jury, qui était d’ailleurs abandonné par deux personnages et pas des moindres: Lahcen Zinoun et Mme Bouchra Boulouiz. Ces derniers ont manifesté leur désaccord total pour le palmarès de ce festival. J’essaye d’oublier ce festival, qu’on appelle national.

Maintenant, sur le plan musical, dans tous mes films, les musiques ont toujours été originales. Chaque film devait avoir une particularité. La musique du film “A la recherche du mari de ma femme” qui étai faite par Abdelouahab Doukkali a laissé des traces. Pour mon dernier long-métrage, il y a un esprit soufi. J’ai écouté beaucoup de musiciens marocains. Le choix était fait sur M. Driss El Maloumi, qui est un compositeur et un musicien hors pair. D’ailleurs, que ce soit au niveau de la musique, du montage, de la prise de vue. il fallait être motivé par le sujet. C’est la première chose que je demande à mes collaborateurs à la création. Driss El Maloumi a exprimé sa joie et son désir d’apporter une pierre à cet édifice grâce à sa musique, qui exprime un certain soufisme de Fatema Mernissi.


- Puisque nous parlons de cinéma et de sociologie, pouvons-nous dire que ce long-métrage est une sociologie filmique ?

- J’ai travaillé précédemment avec un grand sociologue marocain, qui est Paul Pascon, à la fin des années 60. En tant que sociologue et responsable d’une région du Maroc qui est le Haouz, dans le domaine agricole, on a fait des films sociologiques. Des films qui traitent des paysans, du partage de l’eau, de la terre. On peut appeler ça une sociologie filmique.

Dans le cas du film “Fatema Mernissi, la sultane inoubliable”, c’est un regard de cinéaste, que vous pouvez appeler sociologique, sur une société, sur l’évolution d’un pays et sur ce qu’a vécu cette dame de 50 ans d’action dans différents domaines. Une toile de fond de ce qui est ce Maroc des années 70 à 2015.


- Quels sont vos projets en vue, sur le court terme ?

-Une histoire d’amour (rires). Parce qu’on en manque dans notre pays. Les sentiments d’amour, les rapports entre garçons et filles… on a besoin de montrer cela au cinéma. Je m’y attelle maintenant. C’est un défi que je relève.



Recueillis par Safaa KSAANI







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