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Interview avec Hassan El Kamoun :« Les libraires ont besoin d’une loi qui les protège »


Rédigé par Safaa KSAANI Jeudi 22 Septembre 2022

La hausse des prix des fournitures et des manuels scolaires inquiète les parents d’élèves, mais aussi les libraires. Dans cet entretien, un éclairage est porté sur les principales doléances des professionnels.



Interview avec Hassan El Kamoun :« Les libraires ont besoin d’une loi qui les protège »
- La rentrée scolaire 2022 est marquée par la hausse des prix. Quel est l’impact direct sur les libraires indépendants?

- C’est clair qu’il y a une baisse des ventes et du chiffre d’affaires chez les libraires. Plusieurs facteurs y participent, notamment la crise économique engendrée par la pandémie, la baisse du pouvoir d’achat mais aussi la décision tardive du ministère de l’Education nationale de subventionner de 25% les prix des manuels scolaires destinés aux écoles publiques. Cette annonce a été effectuée le 15 août et a impacté le déroulement de la rentrée scolaire pour les libraires et les éditeurs qui préparent normalement la rentrée entre juin et juillet.

A cette décision s’ajoute celle du ministère de l’Industrie d’augmenter les frais de douanes pour encourager la production locale et limiter l’importation de cahiers de l’Egypte et de la Tunisie, qui sont mis sur le marché pendant des années avec des prix raisonnables. Grand hic, il n’y a pas beaucoup d’industriels qui confectionnent ces cahiers au Maroc. Nous nous sommes ainsi trouvés devant une pénurie de manuels scolaires. D’ailleurs, nous avons constaté une baisse des ventes, parce que de nombreux parents préfèrent acheter des livres d’occasion et ne viennent à la librairie que pour compléter quelques achats.


- Les prix de vente actuels laissent-ils une marge de bénéfice aux libraires ?

- Nous avons constaté une augmentation de 80 à 85% des prix des cahiers scolaires. Les cahiers de 50 pages, 192 pages et 48 pages qui sont très demandés par les écoles connaissent une pénurie sur le marché et leurs prix ont augmenté. A titre d’exemple, le petit format du cahier scolaire de 50 pages est passé de 1,90 dirham l’année dernière à 2,90 cette année.

Après le lancement des appels d’offres de l’initiative Royale «1 million de cartables» qui avait enregistré de fortes commandes, son prix a atteint 3,60 DH durant le mois d’août, tandis que celui de 192 pages est passé de 5,30 à 6,80. Cela s’explique en partie par l’augmentation du coût du papier qui a augmenté de 120% sur le marché mondial, en passant de 8000 à 18.000 dirhams la tonne. Nous avons passé des commandes en juillet dernier.

Or, jusqu’à présent, nous n’avons reçu aucune fourniture. L’éditeur ne peut pas éditer en perte. Autre remarque, le manuel scolaire destiné aux lycéens n’entre pas dans le cercle de la subvention de l’Etat. Les éditeurs ont procédé autrement, en diminuant la remise octroyée aux libraires. D’habitude, on l’achète à 20% chez l’éditeur et à 15% chez le distributeur. Actuellement, on l’achète à 15% chez l’éditeur et 10% chez le distributeur, avec une absence de possibilités de retour du livre chez l’éditeur.


- Comment vous vous entendez avec vos fournisseurs ?

- Le fournisseur marocain nous demande d’acheter toute la fourniture: cahiers, stylos, cartables et couvertures, avant de nous livrer. Ce qui est plus grave, ils demandent de payer en espèces des millions de centimes. Cela n’a qu’une explication : tout se passe en noir. Donc, l’État ne bénéficie pas de cette industrie. D’ailleurs, d’après le code général des impôts, une facture qui dépasse 5.000 dhs doit être payée par chèque pour laisser une trace. Je pense qu’il y a un problème de gouvernance et de vision. Il fallait étudier le marché et passer par une période transitoire de deux ans pour laisser les industriels s’y préparer et répondre aux besoins du marché marocain.


- Des écoles privées vendent des manuels scolaires aux parents dans leur périmètre. Sont-ils en droit de le faire ?

- C’est un problème que nous rencontrons chaque année. Les écoles court-circuitent le libraire et le contrecarrent dans son travail. Normalement, les écoles ont une mission claire et nette : l’éducation et l’enseignement et non pas le commerce. On a condamné à maintes reprises ces actes qui se trouvent dans toutes les villes, notamment à Casablanca, où se trouvent les éditeurs. Presque 70% des écoles à Casablanca vendent directement les manuels aux parents.


- Y a-t-il un gap entre le coût du livre marocain et celui du livre français vendu au Maroc ?

- La procédure d’importation d’un livre de la France reste trop complexe et qui dure entre 25 jours et 40 jours. Ces manuels importés de France, d’Angleterre et du Liban ont connu une hausse de 8% à 12%. Et ceux produits localement et destinés aux écoles privées ont augmenté de 12% à 15%. Chaque maison d’édition en France est représentée au Maroc par une structure importatrice qui a l’exclusivité de distribution. En tant que libraires, on doit passer obligatoirement par ces structures importatrices.


- Quelle solution préconisez-vous pour freiner ces récurrentes inflations ?

- Il faut un contrôle du marché. Il y a plusieurs sociétés qui distribuent les livres, que ce soit des livres de production locale ou importés. Il y a une grande concurrence entre ces sociétés pour les vendre aux écoles de manière directe, ce qui signifie que les pratiques malsaines persistent. Il y a une grande anarchie dans le secteur, d’où la nécessité d’une réglementation qui encadre les fonctions de toute la chaîne d’approvisionnement.

Depuis la création de l’Association des Libraires Indépendants du Maroc en 2018, on a essayé de diagnostiquer les problèmes qui freinent le développement de cette branche commerciale spécifique. La principale conclusion tirée réside dans l’élaboration d’une loi qui protège les libraires et les maisons d’édition. Si la France compte actuellement 25.000 librairies, dont 993 seulement dans la région parisienne, c’est dû à la protection des libraires grâce à la mise en oeuvre d’une loi qui gère la production, la distribution et la vente des livres en France depuis 1991.




Recueillis par Safaa KSAANI
* Association des Libraires
Indépendants du Maroc (ALIM)

Editeurs


Un soutien louable mais tardif
 
Les ministères de l’Éducation nationale et de l’Économie et des Finances ont pris une décision conjointe pour la mise en place d’un mécanisme de soutien aux éditeurs de manuels scolaires, et ce, après une série de consultations avec le Comité interministériel des prix, annonce un communiqué publié dans la soirée du jeudi 18 août. Ce soutien financier direct, bien que louable, n’a pas été sans impacts sur les délais d’approvisionnement.

« La décision du ministère de l’Education nationale de subventionner de 25% les prix des manuels scolaires destinés aux écoles publiques était tardive”, affirme Hassan El Kamoun, vice-président de l’Association des Libraires Indépendants du Maroc (ALIM). Et de souligner que les libraires et les éditeurs préparent normalement la rentrée scolaire au préalable, entre juin et juillet. C’est ce qui explique en partie la pénurie de manuels scolaires durant cette rentrée.

Ainsi, les éditeurs devraient recevoir leurs commandes dans quelques semaines vu les délais imposés par les procédures d’importation et de production des livres. Toutefois, le soutien financier, dont le déboursement est à la charge de la Caisse de Compensation, a été fixé à 25% des prix de vente, et ce, après une étude du dossier par le ministère de chaque éditeur en fonction du nombre de manuels imprimés et distribués en 2022.

L’objectif est d’assurer la stabilité des prix des manuels scolaires à l’occasion de la rentrée 2022-2023. Elle vise également à assurer la disponibilité suffisante des manuels scolaires en temps opportun pour la rentrée scolaire 2022-2023, et d’éviter toute augmentation de leurs prix, précisent les deux ministères.