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Interview avec Emmanuel Dupuy : “L’Europe veut concurrencer le projet chinois de la nouvelle Route de la Soie”


Rédigé par Anass MACHLOUKH Samedi 12 Février 2022

Après la visite de la présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, au Maroc, l’Union Européenne et le Maroc ont convenu de revigorer leur partenariat privilégié pour les cinq prochaines années. Dans cette interview, Emmanuel Dupuy, Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), fait le bilan de cette visite hautement symbolique, qui intervient à un moment très sensible dans les relations entre le Royaume et son voisinage européen. Entretien.



Interview avec Emmanuel Dupuy : “L’Europe veut concurrencer le projet chinois de la nouvelle Route de la Soie”
- La présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, a effectué une visite officielle au Maroc, après des mois de crispation dans les relations Maroc-UE, quel bilan faites-vous de cette visite ?

- Cette visite est importante puisqu’elle advient à un moment particulier, à une semaine de la tenue du Sommet Union Européenne-Union Africaine, à Bruxelles. Il n’aura échappé à personne que le Maroc est une étape dans la tournée de la présidente de la Commission Européenne qui va la conduire ensuite à Dakar pour rencontrer le président sénégalais Macky Sall.

La présidente de la Commission vient avec un objectif clair : présenter la vision et la stratégie européenne pour le voisinage méridional pour concurrencer le projet chinois de la Route de la Soie. L’Europe met sur la table 300 milliards de dollars dans le cadre du « Global Gateway » pour soutenir le développement des infrastructures digitales et l’économie verte dans les pays partenaires et notamment les pays africains.

Évidemment, le Maroc occupe une place importante dans cette stratégie vu qu’il est un partenaire privilégié. Je rappelle que le Royaume est le premier partenaire non-européen à être associé à ce programme. La visite de Von der Leyen a été l’occasion de clarifier les choses, il a été rappelé l’immensité de la coopération entre le Maroc et l’UE, il suffit de constater que l’UE y investit 1,6 milliard d’euros. J’ai également retenu quelques messages forts qui ont été envoyés par la présidente de la Commission, surtout en ce qui concerne la jeunesse et la culture.


- Comment voyez-vous le futur des rapports entre le Maroc et l’UE après cette visite ?

- Il est important d’insister sur un point important, celui de la convergence des vues entre les deux parties. Ursula von der Leyen a salué, au nom de l’UE, le Nouveau Modèle de Développement adopté par le Maroc et qui correspond parfaitement aux orientations de l’Europe puisque les objectifs sont les mêmes. L’Europe se réjouit également de l’importance qu’accorde le Maroc au nouvel agenda méditerranéen, surtout en ce qui concerne les questions migratoires.

Aussi faut-il garder à l’esprit que les relations maroco- européennes sont trop vieilles pour qu’elles soient perturbées par les problèmes de circonstances. Le Maroc est le premier pays à négocier le statut avancé en 2003 avant de l’obtenir cinq ans plus tard. Ceci a donné lieu à un élargissement du domaine de la coopération pour inclure le traité Open-Sky, la lutte contre le terrorisme et la coopération migratoire. Autant d’indices qui montrent la profondeur de ce partenariat.

D’ailleurs, Ursula von der Leyen a rappelé un fait extrêmement important, c’est que 38% des exportations des pays africains vont vers le marché européen et 37% des importations africaines viennent d’Europe. De ce point de vue, il est déterminant d’avoir un levier ou une porte d’entrée en Afrique. Le Maroc est idéalement, géographiquement et politiquement bien placé pour jouer ce rôle. Il est donc évident que la visite d’Ursula von der Leyen au Maroc à quelques jours du Sommet UE-UA revêt un caractère symbolique.


- La question migratoire n’en demeure pas moins un dossier épineux entre le Maroc et l’Union Européenne, surtout après la crise migratoire de Sebta. La visite de Von der Leyen suffira-t-elle pour régler les malentendus ?

- La présidente de la Commission a rappelé ce qu’a déclaré le Commissaire européen, chargé du voisinage et de l’élargissement, Oliver Varhelyi. Ce dernier n’a pas manqué de saluer l’engagement du Maroc et du Roi Mohammed VI dans la réadmission des mineurs isolés. Souvenons- nous que cela s’est passé en pleine crise avec l’Espagne qui tentait de créer un hiatus entre certains pays européens et le Maroc lors du scandale de “Ghali Gate” et la crise de Sebta.

De ce point de vue, l’UE reconnaît et se satisfait des efforts du Maroc en matière de migration et notamment les efforts consentis par l’ex-ministre de la Justice pour le règlement du dossier des mineurs isolés, ce que continue de faire le gouvernement d’Aziz Akhannouch. Actuellement, tout le monde attend avec impatience l’accréditation officielle de Youssef Amrani au poste d’Ambassadeur du Maroc à l’UE. Un pas supplémentaire pour renforcer le dialogue.


- On parle beaucoup d’une relance du Partenariat euro-marocain de prospérité partagée, comment interprétez-vous cette nouvelle direction que prend la coopération entre les parties ?

- L’Union Européenne attache une importance particulière à la transition écologique qui demeure extrêmement prégnante dans la politique de l’UE. Je rappelle que le pacte vert européen, “Green deal”, représente 30% du budget européen pour la période 2021-2027. Cela a été discuté lors de la visite de la présidente de la Commission Européenne.

En effet, le Maroc est en train de diversifier ses sources d’énergie en développant les énergies renouvelables. L’Europe, pour sa part, tente de réduire de moitié son empreinte carbone. Comme 6% des émissions de gaz à effet de serre proviennent du bassin méditerranéen, il est indispensable que cela fasse l’objet d’une coopération étroite entre les deux rives de la Méditerranée. D’où l’importance du partenariat entre le Maroc et l’UE dans ce domaine et c’est, je crois, ce dont il était question dans les échanges d’Ursula von der Leyen avec les responsables marocains.


- Ces derniers mois, les relations maroco-européennes n’ont pas été aussi sereines que d’habitude, à cause des tensions qui ont surgi entre le Maroc et l’Espagne, et le Maroc et l’Allemagne, quel impact cela a-t-il eu sur les rapports entre le Maroc et l’UE ?

- Vous aurez remarqué que les crises diplomatiques auxquelles vous faites allusion se sont passées au niveau bilatéral, la Commission Européenne n’a pas grand-chose à dire sur la politique étrangère aussi bien de l’Espagne que de l’Allemagne, ce qui fait que sa marge de manoeuvre pour intervenir est extrêmement étroite.

Même le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, dont l’épouse est la présidente du Parti Socialiste Espagnol, n’a pas été en mesure de s’immiscer dans ces affaires. Ce que peut faire aussi bien la Commission que le Conseil européens, c’est de rappeler l’importance et la profondeur de la coopération entre le Maroc et son voisinage européen. C’est au niveau bilatéral que les crises diplomatiques qui ont eu lieu ces derniers mois doivent être réglées.
 
Le Maroc occupe une place importante dans la stratégie du Global Gateway vu son partenariat privilégié avec l’UE.

- Concernant la question du Sahara, le Maroc est de plus en plus intransigeant et exige de la clarté de la part de ses partenaires européens, le discours royal à l’occasion de l’anniversaire de la Marche Verte a fait clairement savoir que tout accord de coopération économique ne saurait être conclu sans inclure le territoire du Sahara. Peut-on s’attendre à une évolution de la position officielle de la diplomatie européenne sur ce sujet?

- À mon avis, l’affaire du Sahara est du ressort des Nations Unies, comme l’a montré la tournée de l’Envoyé personnel des Nations Unies pour le Sahara. De ce point de vue, la présidente de la Commission Européenne n’a pas grand-chose à dire. En tout cas, ce n’est pas la bonne personne à qui s’adresser à propos de ce dossier.

Par contre, s’il y a quelqu’un à interroger, ça serait bien le président de l’Union Européenne, qu’est le président français, Emmanuel Macron. La France, je le rappelle, occupera la présidence de l'UE pendant les six prochains mois. Par ailleurs, je trouve que l’évolution de la position de l’UE sur la question du Sahara dépend des Etats membres. Toutefois, le Parlement européen peut, quant à lui, jouer un rôle important, surtout lors des votes des accords conclus entre le Maroc et l’UE. Le fait qu’il y ait une majorité de députés conservateurs du Parti Populaire Européen peut avoir une influence considérable.



Recueillis par Anass MACHLOUKH

Portrait


Emmanuel Dupuy : le pédagogue de la géopolitique mondiale
 
Fin connaisseur de la politique internationale et des relations méditerranéennes, Emmanuel Dupuy occupe le poste de Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). Il est Secrétaire national du parti Les Centristes, chargé des Relations internationales. Il est également Professeur associé au sein de la Faculté des Lettres & Sciences Humaines de l’Université catholique de Lille ainsi qu’au sein de l’Institut Supérieur de Gestion (ISG) de Paris. En parallèle, il est souvent invité à donner des cours au sein de la Zhejiang Wanli University du Ningbo Maritime Silk Road Institute (Ningbo, Chine).

M. Dupuy a occupé aussi des postes de responsabilité au sein du gouvernement français. Il fut chargé de mission auprès du secrétaire d’Etat à la Défense et aux Anciens combattants de 2008 à 2010. Emmanuel Dupuy est très engagé dans l’agenda international des conférences et il fréquente souvent le Maroc pour prendre part à des séminaires et forums internationaux, dont MedDays.