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Interview avec Dr Yassine El Yattioui : « Le commerce intra-maghrébin pourrait être multiplié par quatre ou cinq en quelques années »


Rédigé par Safaa KSAANI Dimanche 9 Novembre 2025

Le dossier du Sahara connaît un tournant décisif. Cette nouvelle pose la question de la relance du projet de l’Union du Grand Maghreb. Décryptage avec Dr Yassine El Yattioui, Secrétaire Général et chercheur associé à NejMaroc, Centre Marocain de Recherche sur la Globalisation.



-Le Maroc a enregistré des avancées diplomatiques notables sur le dossier du Sahara, avec le soutien réaffirmé de puissances clés à son initiative d’autonomie. Cette dynamique positive, avec la paralysie de l’Union du Maghreb Arabe (UMA), soulève une question fondamentale. Dans quelle mesure l’évolution de ce dossier pourrait-elle ouvrir la voie à une relance du projet d’union des pays du Grand Maghreb ?

- Le déblocage onusien en faveur du plan d’autonomie marocain change l’équation stratégique en réinsérant la question du Sahara dans une grammaire de solution pragmatique, ce qui ouvre une fenêtre d’opportunité pour relancer une intégration maghrébine longtemps paralysée par la rivalité algéro-marocaine et la dormance institutionnelle de l’UMA. En termes de théorie des régimes, une clarification normative au Conseil de Sécurité réduit l’incertitude stratégique et les coûts politiques de transaction, rendant plus crédible un agenda de confiance mutuelle fondée sur la réouverture graduée de la frontière terrestre la plus durablement fermée au monde et sur des mécanismes techniques de coopération sectorielle (douanes, sécurité transfrontalière, interconnexions énergétiques, corridors logistiques). Dans cette perspective, la politique de la main tendue de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, réitérée de manière constante, gagnerait à rencontrer une disponibilité algérienne pour un dialogue sans préalable, seul capable de transformer l’avancée diplomatique en dividendes régionaux. Le levier atlantique constitue ici un multiplicateur d’intégration. Le Port de Dakhla Atlantique, pensé comme nœud d’accès aux Amériques et à l’Afrique de l’Ouest, permettrait d’arrimer l’Algérie, la Tunisie et la Libye à des chaînes maritimes diversifiées, diminuant la dépendance au seul bassin méditerranéen fragilisé par les chocs géoéconomiques récents, tout en donnant une profondeur stratégique à la Mauritanie et en reconnectant les hinterlands sahariens aux marchés continentaux dans le cadre de la ZLECAf. Concrètement, un «paquet» maghrébin pourrait combiner réouverture séquencée des points de passage, facilitation commerciale, normes communes pour le fret et la logistique, et gouvernance partagée de corridors atlantiques- sahéliens, avec Dakhla comme hub d’agrégation et de redistribution. L’objectif étant de déplacer la rivalité de statut vers une compétition de performance au service d’un bien commun régional. Cette dynamique suppose un pilotage politique conjoint Rabat-Alger, une sanctuarisation des dossiers de souveraineté et une mise en réseau des agences portuaires, énergétiques et ferroviaires des cinq États membres, afin de redonner du contenu à un traité d’Organisation du Maghreb Arabe (OMA) resté lettre morte depuis des années.

- Quelles seraient les retombées économiques immédiates et à long terme d’une zone de libre-échange et d’une union douanière complète au sein du Grand Maghreb ?

- Dans un espace de plus de 100 millions d’habitants, disposant de ressources naturelles variées, d’une position géographique stratégique entre l’Atlantique, la Méditerranée et le Sahara, et d’une diaspora économiquement active, la complémentarité des économies maghrébines offrirait une base solide pour une intégration régionale fondée sur la logique d’interdépendance productive, logistique et commerciale. À court terme, la levée des barrières tarifaires stimulerait la circulation des biens manufacturés et agricoles entre les cinq pays membres, aujourd’hui entravée par la fragmentation politique et réglementaire. Le commerce intra-maghrébin, qui ne dépasse pas 5% du commerce total de la région, pourrait être multiplié par quatre ou cinq en quelques années, générant une croissance cumulative estimée à plusieurs points de PIB pour chaque pays. Les secteurs à gains rapides seraient l’agro-industrie, les matériaux de construction, les produits pharmaceutiques, les biens d’équipement légers et les énergies renouvelables. Le Maroc et la Tunisie, dotés d’industries de transformation relativement avancées, pourraient jouer un rôle de locomotive industrielle, tandis que l’Algérie et la Libye apporteraient leur puissance énergétique et leur capacité d’approvisionnement en matières premières. La Mauritanie, quant à elle, deviendrait un maillon logistique essentiel entre l’espace saharien et les routes atlantiques. À moyen terme, la création d’une union douanière, avec un tarif extérieur commun et des normes harmonisées, permettrait de construire une véritable économie d’échelle régionale. La complémentarité structurelle entre les économies - services et industrie marocaine, énergie algérienne, potentiel universitaire et académique tunisien, ressources naturelles libyennes et mauritaniennes - engendrerait une interdépendance saine, réduisant les vulnérabilités externes et consolidant la souveraineté économique collective. Cette dynamique favoriserait également la montée en gamme technologique grâce à des chaînes de valeur partagées, par exemple dans l’industrie automobile, l’agroalimentaire, les engrais, ou encore l’hydrogène vert. En devenant un bloc cohérent, le Grand Maghreb disposerait d’un poids de négociation accru face aux autres ensembles africains (CEDEAO, SADC, EAC) et face aux partenaires extérieurs, notamment l’Union Européenne, la Chine, les États-Unis et les pays du Golfe. À long terme, les effets multiplicateurs seraient considérables.

- Quels sont les projets d’infrastructures transmaghrébines qui deviendraient immédiatement prioritaires, et quel serait leur impact sur la fluidité des échanges commerciaux et l’attractivité régionale pour les investissements étrangers ?

- Parmi les projets stratégiques, la Ligne à Grande Vitesse (LGV) marocaine offre un modèle à suivre. Reliant déjà Tanger à Casablanca, puis à terme Marrakech et Agadir, elle illustre une volonté d’intégrer les régions périphériques et d’ouvrir des corridors économiques vers le sud. Étendre un tel réseau à l’échelle maghrébine permettrait d’imaginer, à long terme, une LGV transmaghrébine reliant Tanger, Oran, Alger, Tunis et Tripoli. Ce corridor ferroviaire structurant stimulerait le commerce régional, réduirait les coûts logistiques, et constituerait un axe majeur d’intégration humaine et économique. Sur le plan routier, le projet de Transsaharienne algérienne, reliant Alger à Lagos via Tamanrasset est un projet structurel à dynamiser. Dans une perspective maghrébine élargie, cette infrastructure pourrait être prolongée et connectée à des axes marocains, mauritaniens et libyens, créant un maillage continental unifiant le Nord et le Sud. Cette intégration favoriserait le commerce sahélo-maghrébin, l’émergence de zones logistiques à Dakhla, Zouerate, In Guezzam et Sebha, et ouvrirait une voie alternative aux routes maritimes congestionnées. L’interconnexion énergétique figure également parmi les priorités. La mise en place de corridors énergétiques communs, notamment autour du gaz et de l’hydrogène vert, offrirait à la région une souveraineté énergétique partagée. Le Maroc, grâce à ses infrastructures solaires et éoliennes, pourrait fournir une énergie propre au réseau maghrébin, tandis que l’Algérie et la Libye, fortes de leurs réserves, assureraient la stabilité de l’approvisionnement.

- Si l’union est jugée difficile à court terme en raison des tensions bilatérales persistantes, quelles étapes intermédiaires pourraient poser les bases d’une intégration future, et par où commencer concrètement ?

- Si l’union complète demeure difficile à court terme en raison des tensions persistantes, la logique doit être celle d’un processus en cercles concentriques, commençant par la coopération sectorielle avant de déboucher sur une union politique et économique. La première étape consisterait à instaurer un dialogue structuré, sous médiation bienveillante, dans un cadre neutre et symboliquement fort. Le Golfe, et en particulier l’Arabie saoudite, offre un cadre idéal pour un sommet de réconciliation maghrébine. Forts de leur neutralité et de leur tradition diplomatique, les pays du Golfe ont démontré leur capacité à faciliter des rapprochements régionaux. Un sommet à Riyad, sous l’égide conjointe de la Ligue Arabe et de l’Union Africaine, pourrait inaugurer un processus de rapprochement progressif, à l’image des formats de dialogue établis en Asie ou au Moyen-Orient. Dans un deuxième temps, des initiatives conjointes non politiques mais techniques pourraient être mises en place : coopération sur la gestion des ressources en eau, lutte contre le changement climatique, prévention du terrorisme et développement des infrastructures frontalières. Ces domaines apolitiques favoriseraient la création d’une «confiance de travail» entre administrations et experts des deux rives, préparant la voie à des projets communs plus ambitieux. Une troisième étape pourrait consister à organiser un sommet annuel des ministres de l’Économie, du Commerce et des Transports des cinq pays de l’UMA, afin de réactiver les institutions dormantes et de définir un agenda d’intégration réaliste. Ces rencontres régulières permettraient de dégager un plan d’action quinquennal, articulé autour de corridors logistiques communs et d’une harmonisation réglementaire progressive. Enfin, sur le plan symbolique, des programmes culturels et universitaires conjoints joueraient un rôle décisif. La création d’un réseau maghrébin d’Universités, de centres de recherche et d’incubateurs économiques permettrait de reconstruire un imaginaire collectif et de nourrir les générations futures d’une culture d’unité. C’est par l’éducation, la mobilité étudiante et les échanges intellectuels que se forge la conscience d’un destin commun.







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