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Interview avec Carmen Jaquier : « Il reste quelque chose de fictionnel dans l’Histoire »


Rédigé par Safaa KSAANI Mercredi 4 Janvier 2023

« Foudre », réalisé par la Genévoise Carmen Jaquier, a reçu le Prix de la mise en scène du Festival International du Film de Marrakech (FIFM). Elle essaie d’y nuancer la relation qu’entretient la fiction avec l’Histoire.



- Le drame « Foudre » est votre premier long métrage de fiction. De quel coup de foudre est né ce film ?

- L’idée de faire ce film m’est venue en lisant un fait divers raconté en trois lignes dans un journal, sur deux jeunes décédés dans un incendie criminel dans une banlieue berlinoise sans informations supplémentaires. J’ai trouvé cela tellement violent de le raconter de cette manière. Je me suis demandé d’où viennent ces personnes, dans quel contexte ont-elles trouvé la mort. C’était il y a une dizaine d’années. J’y ai beaucoup pensé. Cela m’a bouleversée. Les adolescents, ces enfants qui sont sous le pouvoir des adultes, qui ont des idées, des besoins et des nécessités, sont peu écoutés. C’est le point de départ d’un désir d’écrire sur les jeunes. Ce n’est pas lié à l’histoire de « Foudre » en soi.

- Peut-on dire que « Foudre » est né d’une colère déclenchée ?

- Le film est né d’une colère, sans m’en rendre compte en écrivant le film. Il y a aussi beaucoup d’amour pour des êtres, des hommes et des femmes que j’ai connus ou que je n’ai pas connus, qui ont été inspirants et qui ont lutté pour leurs droits. En tant que femme, j’ai subi tout au long de ma vie des violences et des injustices. Par exemple, au moment où Elizabeth et ses deux petites sœurs quittent la Chapelle et qu’elles se font poursuivre par trois garçons qui insultent la sœur d’Elisabeth d’avoir une relation amoureuse. Durant mes études, j’ai vu des femmes qui, pour avoir expérimenté quelque chose de très “doux”, se font insulter, cracher dessus ou agresser. Il y a des choses liées à ce que j’ai vécu ou j’ai pu observer.

- Une manière de dénoncer des « abus » ?

- Dénoncer, oui, mais ces trois garçons, agresseurs au départ, deviennent en fin de compte les plus grands amis d’Elisabeth. Ces trois garçons sont des personnes sensibles et délicates. Écrasés par les règles de la société, ils deviennent des agresseurs. La morale en est que c’est possible de changer et de faire le choix d’être différent. On invite les spectateurs à y réfléchir.

- En regardant le film, une impression de sincérité émane des séquences. Comment y êtes-vous parvenue ?

- Mon intérêt pour ce film était extrêmement profond et sincère. Je crois que chaque personne ayant participé à sa réalisation a vécu des moments de sincérité. J’espère que c’est quelque chose qui transparaît à travers les détails.

- Le film s’ouvre sur des images du peintre italien Giovanni Segantini. Pourquoi le choix de cette scène d’ouverture ?

- C’est vraiment venu pendant le montage, des discussions menées avec le monteur du film, Xavier Sirven, sur comment on entre dans le film. Il y avait un prologue dans le film qu’on a enlevé pendant le montage. Personnellement, j’ai aussi essayé dans mes courts métrages d’avoir la possibilité d’entrer dans l’univers du film en douceur et de permettre aux spectateurs de se débarrasser un peu de ce qu’ils sont et de leurs tensions face aux images, et de sentir l’essence du film dès les premières secondes, qu’on oublierait après. Durant les recherches, j’avais une collection d’images marquantes. Je me suis dit que ça pourrait être intéressant de commencer avec des images d’archives qui nous paraissent authentiques, et petit à petit montrer des photos et de la peinture pour donner la sensation qu’on n’est pas en train de raconter un fait historique mais plutôt une fiction. Donc, on commence et on détourne doucement ces images d’archives qui sont elles-mêmes de la fiction. On a demandé aux paysans et paysannes de poser, de porter certains vêtements... Il y avait clairement de la mise en scène dans ces photographies. Je voulais donner une petite indication sur le fait que c’est une fiction. Quelque part, il reste quelque chose de fictionnel dans l’Histoire.

Propos recueillis par Safaa KSAANI

«Foudre»

Quand la direction d’acteur s’imprègne de l’émotionnel

Pendant l’été 1900, la novice Elisabeth a dix-sept ans et s’apprête à faire ses vœux après cinq ans passés au couvent, quand le décès brutal et inattendu de sa sœur aînée l’oblige à rentrer auprès de sa famille.

Élisabeth va alors être confrontée à nouveau à la vie de labeur qu’elle avait laissée derrière elle, mais cette fois-ci elle n’est plus un enfant et les mystères qui entourent la mort de sa sœur la poussent à réfléchir à sa vie, à revendiquer son droit aux passions qu’elle croyait avoir laissées derrière elle. Là-haut sur la montagne, elle va essayer de retrouver la joie et l’innocence de l’enfance aux côtés de trois garçons devenus entre-temps des hommes.

Le casting du film a jeté son dévolu sur la jeune actrice Lilith Grasmug. « Le casting était particulier. On a discuté pendant presque une heure du rapport qu’on a avec nos familles, à l’amour, de choses connectées au film », nous confie-t-elle.

Elle a même laissé son empreinte sur ce personnage. «J’avais l’impression de tout connaître sur le personnage d’Elisabeth, mais il y a à la fois quelque chose qui m’échappe. C’est tellement soulageant et beau de rencontrer quelqu’un et de se dire que cette personne sera mon guide. Venue avec son histoire, Lilith a pris une part d’elle-même et l’a mise dans le personnage d’Elisabeth. Je lui remets une peau qu’elle enfile et s’en va plus loin. Elle donne vie à cette peau. Il y a quelque chose qui lui appartient », nous explique la réalisatrice.

« Foudre », rappelons-le, est le premier long métrage de Carmen Jaquier après deux courts métrages. Il a été présenté en première mondiale dans la catégorie « Platform » au Festival International du Film de Toronto 2022.