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[Interview avec Awatif Hayar] Une solution numérique pour améliorer la situation des femmes


Rédigé par Hiba Chaker Mardi 8 Mars 2022

Egalité des droits, lutte contre les violences, égalité professionnelle… la ministre de la Solidarité, de l’Insertion sociale et de la Famille nous dévoile la stratégie de son département pour la femme marocaine. Une stratégie qui se veut d’abord numérique. Détails.



- A quel point le contexte sociopolitique marocain favorise-t-il l’émancipation féminine ?

- Nul ne peut nier qu’il y a une réforme en faveur des droits des femmes. Les indicateurs montrent des avancées encourageantes en matière de statut des femmes au Maroc depuis les années 2000 grâce aux efforts continus et éclairés de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu le glorifie, à travers la mise en place de mesures institutionnelles et législatives visant l’amélioration de la parité, de l’égalité des chances entre les deux sexes et la promotion de la représentativité des femmes au niveau des différentes institutions, puis à travers le Nouveau Modèle de Développement qui renforce ces efforts.

En plus, le programme gouvernemental se propose comme objectif de faire passer le taux des femmes actives de 20 à 30%. Toutefois, les femmes souffrent toujours d’inégalités et de violences. Seulement, à cause du manque de données scientifiques exactes et mesurables qui permettent d’identifier les vrais points de blocage, il reste difficile de faire face à ces problèmes. C’est pourquoi notre priorité est la digitalisation.

Nous allons lancer un système d’information géographique qui nous permettra de faire une analyse de données pour établir un référentiel et une carte sociale basée sur les données collectées et des statistiques délivrées par les établissements compétents et, dans le futur, sur l’analyse des données du Registre social unifié… pour estimer et analyser avec objectivité la réalité de la condition socioéconomique de la femme, et agir rapidement pour accélérer son amélioration.

Ainsi, l’affectation des ressources destinées aux programmes qui visent l’amélioration de la condition de la femme seraient adaptés aux besoins de chaque région.


- Le cadre réglementaire au Maroc a été réformé afin de combattre le mariage des mineures et les impacts qu’il peut avoir sur la société. Que reste-t-il à faire ?

- Je signale que l’éducation est un levier de développement et d’épanouissement pour les jeunes filles. C’est pourquoi nous soutenons d’abord la numérisation pour faciliter l’accès à l’éducation dans le monde rural, en partenariat avec le ministère de l’Education nationale, du Préscolaire et du Sport, afin de garantir l’éducation aux filles dans les villages éloignés qui sont les plus impactées par ce phénomène.

Nous travaillons également sur l’accompagnement social afin de sensibiliser les familles pour réduire les facteurs qui poussent ces filles, mais surtout les parents à accepter le mariage des mineures, et ce, à travers, par exemple, le concept GISR (Green Innovative Social Regeneration to empower people), que nous venons de lancer et qui est un mécanisme de regénération sociale verte et innovante visant à renforcer la capacité des femmes et jeunes filles et en général les personnes en situation de vulnérabilité pour créer une nouvelle génération de services sociaux au profit des familles et des personnes en situation difficile.

Ce concept propose des services variés tels que des formations et ateliers en ligne et en présentiel sur l’éducation parentale et l’orientation familiale, parce que c’est crucial de faire comprendre aux parents d’abord qu’il ne faut pas accepter de marier une mineure et que ce type de mariage enregistre un taux élevé de divorces.
 
« Nous allons lancer un système d’information (...) qui peint la réalité de la condition socioéconomique de la femme marocaine »
 
- Quelle est la stratégie de votre ministère pour favoriser le succès de la femme marocaine et son intégration dans le milieu socioprofessionnel ?

- Nous venons de lancer un nouveau programme visant l’autonomisation économique de la femme. C’est un programme qui ne concernait que 800 femmes à Dakhla mais qui a été élargi pour atteindre 36.000 femmes à l’échelle nationale (3000 femmes dans chaque région) avec un budget total réservé conjointement par le ministère et les douze Régions du Maroc de plus de 220 millions de dirhams.

Nous avons lancé également en novembre 2021 la 19ème campagne nationale de sensibilisation à la lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles sous le thème : « Je m’engage », consacrée à la sensibilisation dans le milieu scolaire contre ces violences.

Un choix qui découle de la volonté de faire primer l’égalité de genre en milieu scolaire, partant du fait que les établissements d’éducation sont le noyau pour inculquer les valeurs d’égalité et de citoyenneté pour faire rempart à toutes les formes de violence et bâtir une société plus équitable entre hommes et femmes. L’organisation de cette campagne s’inscrit également dans le cadre de la concrétisation de l’ouverture sur l’école et l’université, dans le but de les impliquer en faveur d’une conscience collective en ce sens.


- Il y a aujourd’hui une multitude de projets qui visent à soutenir et à promouvoir les droits de la femme marocaine. Leurs impacts restent toutefois très limités à cause notamment d’un manque de convergence et de coordination entre les différents acteurs, comment peut-on faire face à cela ?

- Certes, au début de mon mandat, j’ai fait un tour afin d’analyser la situation de la femme au Maroc et nous avons constaté qu’il faut renforcer la convergence et la coordination entre les différents acteurs à deux échelles. D’abord, au niveau des politiques publiques : il y a des lois et des politiques spécifiques à la femme, pour lutter contre la violence, pour les enfants, les personnes âgées… etc. Alors que la femme et la fille sont concernées par toutes ces composantes.

Ainsi, nous travaillons sur une stratégie transversale qui englobe tout cela et qui concerne toute la famille avec une composante très forte sur l’égalité et l’approche genre. Cette stratégie se base sur la sensibilisation et l’éducation dès un très jeune âge sur l’égalité et le respect des droits des filles et des femmes. Il ne faut pas qu’il y ait des discontinuités sociales dans la société, que ce soit dans l’espace public, au milieu professionnel ou dans la sphère privée, et ceci ne peut se réaliser qu’à travers la bonne éducation.

Ensuite, il faut renforcer la convergence au niveau territorial entre la multitude des acteurs dans le secteur de la femme pour accompagner la réalisation des projets dans ce secteur. D’ailleurs, le nouveau concept « GISR » dont on a déjà parlé, en réhabilitant des centres sociaux de l’Entraide Nationale qui assurent pour améliorer les services d’accueil, d’écoute et d’orientation, représente un “social hub” qui repose sur la convergence entre l’Entraide Nationale et l’Agence du développement du social pour développer une ingénierie sociale efficace et des services sociaux appropriés et adaptés aux besoins des bénéficiaires dans les territoires.

Nous visons à travers ces centres à prioriser la digitalisation en tant qu’instrument et outil pour élargir la base de données des bénéficiaires et améliorer les mécanismes de ciblage et à optimiser l’efficacité et l’efficience des actions entreprises dans le domaine social à tous les niveaux, notamment les volets inhérents à la formation, à la bonne gouvernance et à la facilitation de l’accès à l’information et à la qualité des services.




Recueillis par Hiba CHAKER


Hayar, l’académicienne qui mise sur l’éducation pour l’égalité
 
Docteure en traitement du signal et télécommunications de l’Institut national polytechnique de Toulouse, Awatif Hayar est la première Marocaine à obtenir le diplôme d’agrégation en génie électrique de l’École normale supérieure Cachan en 1992. Depuis, cette femme brille au niveau académique et politique.

Enseignante-chercheuse, experte internationale en smart cities, deuxième présidente d’Université au Maroc, Awatif Hayar est actuellement ministre de la Solidarité, de l’Insertion sociale et de la Famille. Auparavant présidente de l’Université Hassan II de Casablanca, elle a été sélectionnée en 2015 par l’African Innovation Foundation comme l’une des 10 meilleures femmes innovantes en Afrique. Hayar a été également coordinatrice de Solar Decathlon Africaproject E-co Dat et a piloté des projets de R&D, dans les domaines des villes intelligentes avec la ville de Casablanca, et avec IRESEN, CNRST, Lydec, GIZ et la Fondation HBS.

Elle est l’initiatrice d’E-madina Smart City Cluster. Ses recherches portent sur la radio cognitive verte, les systèmes UWB, les réseaux intelligents, les bâtiments intelligents et les TIC pour le développement social et écologique. Elle a également été présidente de l’IEEE DLT pour la région EMEA en 2014-2015 et l’inventrice du concept de Frugal Social Smart City pour Casablanca et les pays émergents, sélectionné par IEEE SCI comme l’un des projets les plus innovants au monde en 2015.

Pour cette académicienne, la réalisation de la parité et de l’égalité homme/femme « passe d’abord et avant tout par l’éducation ».