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Interview avec Aude Ehlinger Sedej : « Les effets de la violence à l’égard des enfants sont dévastateurs »


Rédigé par Mina Elkhodari Mercredi 21 Septembre 2022

Le projet « REDIP », mis en oeuvre par l’association Amane, vient d’arriver à son terme, l’occasion de discuter les résultats aboutis et les solutions proposées à long terme avec la directrice exécutive d’Amane, Aude Ehlinger Sedej. Interview.



Interview avec Aude Ehlinger Sedej : « Les effets de la violence à l’égard des enfants sont dévastateurs »
- Selon les données du Ministère public, 6 172 affaires judiciaires relatives à des violences à l’égard des enfants ont été enregistrées en 2019, quels sont les principaux enseignements à tirer de ce chiffre ?

- D’après nos constatations, ce chiffre n’est pas forcément révélateur de l’ampleur du phénomène et de la réalité des choses car plusieurs cas de violence sont passés sous silence. Dans les cas de la violence sexuelle par exemple, les enfants ne signalent pas « tous » les actes de violence dont ils sont victimes. Faute de prise de conscience ou de honte (Hchouma), les enfants comme les familles préfèrent garder le sujet secret plutôt que d’oser en parler.

Derrière, il y a en fait des aspects culturels et religieux liés à l’image de la famille, au futur de leur enfant et même son image aux yeux des voisins et de l’entourage proche. Ce qu’il faut savoir aussi est que, généralement, les enfants subissent de la violence, quelque soit sa forme, de la part des membres de la famille. Cela rend le fait d’en parler plus compliqué quelle que soit pour l’enfant ou sa petite famille. Il est important de signaler que les enfants, eux aussi, sont acteurs et victimes de violence.

D’après notre observation, nombreuses sont les formes de violence que subissent les enfants au sein de l’école, autour des établissements scolaires et dans les transports scolaires.


- L’étude réalisée dans le cadre de « REDIP » souligne que les filles risquent d’être davantage victimes de violence. De quel genre de violence parle-t-on et quels sont les facteurs consacrant ce constat ?

- En fait, à travers l’étude sur la violence basée sur le genre réalisée dans le cadre du projet REDIP, il était clair que les victimes de violences sexuelles, surtout, sont généralement des filles, notamment dans le milieu scolaire. Quant aux auteurs, ils sont principalement des garçons qui peuvent avoir la posture de collègues ou même de professeurs. Ceci est dû à plusieurs raisons dont on est – tous – conscients, notamment le modèle assez patriarcal de la société qui consacre de plus en plus de stéréotypes liés au genre et à la femme en particulier. Un exemple concret de cette réalité est que le consentement de la femme n’est pas pris en compte en cas de violence sexuelle.

Cependant, cela ne veut pas dire que les hommes ne subissent pas de violence sexuelle aussi. Dans ces cas, le silence revient une deuxième fois et l’acte de violence reste secret pour toujours. D’ailleurs, à cause de certaines normes sociales, les hommes privilégient le silence par peur d’être mal compris par l’ensemble de leur entourage.


- Quels sont, d’après votre étude, les effets de la violence sur les victimes à long terme ?

- Les effets de la violence à l’égard des enfants, qu’ils soient filles ou garçons, sont dévastateurs. Car, lorsque l’enfant subit des actes de violence à l’enfance, période clé pour la construction de son identité, il peut développer des troubles cognitifs, des troubles liés à des comportements sexuels. Il faut noter aussi que beaucoup d’enfants victimes de violence ont plus tendance à reproduire plusieurs formes de violence et d’abus sexuel au futur.


- Que recommandez-vous pour la protection et la prise en charge des enfants victimes de violence en milieu rural et urbain aussi ?

- Il important de signaler que le Maroc compte des avancées importantes en termes de protection des enfants contre toutes les formes de violence, notamment dans les programmes scolaires où le sujet est de plus en plus abordé ces derniers jours. Mais, nous estimons que son traitement reste encore timide. Pour ce faire, il faut travailler, selon l’expérience de « Amane» en la matière, sur deux aspects clés.

D’abord la sensibilisation des familles et des enfants dès le jeune âge sur le consentement, l’intimité, comment se protéger, les signes avant-coureurs de la violence et à qui en parler dans son entourage… L’objectif est d’avertir l’ensemble de la société sur le caractère sérieux du sujet malgré qu’on est dans un monde où la violence fait encore partie des méthodes éducatives et perçue comme une forme de communication à part.

Ensuite, il faut intégrer aussi les adultes en contact avec des enfants (les enseignants, les éducateurs, le personnel judiciaire…) dans le chantier de lutte contre la violence à l’égard des enfants. L’ambition est de comprendre l’ampleur du sujet pour la bonne prise en charge des enfants concernés.



Mina ELKHODARI


Lutte contre la violence à l’égard des enfants : « REDIP », pour faire le point
 
Poursuivant le chemin pour la lutte contre la violence faite aux enfants, l’association marocaine Amane a lancé, en 2020, le projet « REDIP » en vue du renforcement du dispositif de protection intégrée de la violence sexuelle dans les villes de Fès et Meknès, en partenariat avec l’ONG espagnole AIDA, et avec l’appui financier de l’Agence catalane de coopération au développement. Le projet a pour objectif de lutter contre la violence basée sur le genre à l’égard des filles et des adolescentes dans ces deux villes.

Le projet « REDIP » est marqué d’abord par la réalisation d’une étude nationale afin de mieux comprendre la situation actuelle des violences basées sur le genre au Maroc, les causes de la persistance de ces violences et leurs conséquences sur la vie des enfants. Ainsi, il a abouti à la création d’une plateforme de sensibilisation et d’information des jeunes de 9 à 15 ans. L’Espace Jeunes propose une navigation ludique adaptée à la tranche d’âge et à ses centres d’intérêts.

L’Espace Jeunes propose des réponses aux questions que les enfants et adolescents se posent sur le corps, l’intimité, le consentement, les violences (sexuelles, VBG, en milieu scolaire, sur internet, etc.), selon l’association. L’Espace Jeunes donne également des informations sur les moyens de reconnaître les signes de violence et s’autoprotéger.

Ainsi, l’association a lancé la campagne digitale « Kafa 3onfane didda al-atfal » (Cesser la violence contre les enfants) et qui a permis de sensibiliser plus de 500.000 personnes âgées de 18 à 64 ans sur les dangers des violences à l’égard des enfants et les dispositifs mis en place par l’Etat et les associations pour accompagner les enfants victimes et leurs familles et lutter contre les effets dévastateurs des violences sur la construction de la personnalité des enfants.