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Culture

Interview avec Armand Boua : Immersion dans le monde du porte-parole des «enfants de la rue»


Rédigé par Houda BELABD le Vendredi 10 Novembre 2023

Sur du carton, il peint le quotidien des enfants des rues, avant de trancher la surface de ses œuvres à l'aide d'un cutter. Ainsi, il entend nous rappeler à quel point ces enfants sont invisibles aux yeux de la société. Ce message poignant est le fil conducteur de son travail artistique. Lui, c'est Armand Boua. Interview.



Photo: droits réservés.
Photo: droits réservés.

- Votre œuvre est un cri, voire un engagement. Pourrait-elle, ne serait-ce qu'indirectement, ne serait-ce que partiellement, changer l'expérience de vie de ceux que vous appelez "les petits" et que le commun des mortels appelle "les enfants de la rue" ?

- Lorsque j'ai décidé de faire de ce thème le sujet de mon travail artistique, c'était avant tout pour leur témoigner ma sympathie, et parce que leurs expériences me touchent profondément. Au départ, ma démarche était purement et simplement de peindre des portraits de personnes qui méritent toute la considération et toutes les attentions. J'ai pensé à eux pour la simple raison que je les rencontre presque tous les jours. Réaliste que je suis, je savais que mon pinceau n'était pas une baguette magique qui changerait leur vie ou leur avenir, mais je voulais apporter ma pierre à l'édifice pour sensibiliser le plus grand nombre de personnes. Je pense sincèrement qu’ils n’ont pas besoin de moi, mais j’accepte la grande aventure d’être leur porte-parole. De ce fait, leur prise en charge est le travail des ONG et des politiques. Mon grain de sel, aussi modeste soit-il, ne servira qu’à bousculer les consciences.

- Qu'est-ce qui vous a incité à vous intéresser à cette composante fragile de la société ?

- Lorsque j'étais élève en école d'art, mon pays croulait sous le poids des scissions politiques. La conjoncture économique était des plus dures et beaucoup d'Ivoiriens se sont retrouvés du jour au lendemain sans travail, voire sans toit. Cela m'a ouvert les yeux et m'a rappelé que notre confort est très fragile et que les aléas de la vie peuvent tout faire basculer. De plus, nous ne connaissons pas tous les enfants qui vivent dans nos rues africaines. Nous ne savons pas ce qui les a amenés à cette réalité. Nous devrions donc les juger moins, voire ne pas les juger du tout.Nous ne devons pas penser que certaines vies sont plus importantes que d'autres. Toutes les vies se valent. Les enfants des rues sont des êtres humains dignes de ce nom.

- Selon votre travail artistique et de terrain, à quel point vos œuvres exposées à New York, Londres, Paris, Marrakech et partout dans le monde ont réussi à sensibiliser votre public ?

- Au point d’interpeller certains médias, mécènes et ONG internationales, et ce, en leur donnant envie de véhiculer mon message, comme une bouteille jetée à la mer. 

- Qu'est-ce que votre séjour au Maroc représente pour vous sur le plan artistique ?

- Depuis 2017, année durant laquelle j’ai participé au programme IN-discipline de la Fondation Montresso, je suis un hôte régulier de la résidence artistique Jardin Rouge de Marrakech. D’ailleurs, j’y ai passé une année entière à préparer cet événement qui n’est autre que "Les invisibles", exposé du 28 octobre au 20 janvier 2024 au Jardin Rouge même. Ici, j’ai eu l’occasion de réfléchir en profondeur à mes projets artistiques et à rencontrer de nouveaux acteurs du secteur artistique venus de divers horizons.

Propos recueillis par Houda BELABD

 

Boua l'artiste, boua l'humain

Armand Boua milite par le pinceau depuis plus de quinze ans car il est convaincu que la peinture est un moyen efficace pour devenir la voix des sans-voix. Pour ce qui est de sa démarche artistique, il a choisi d'être la voix des sans-toit : des "enfants de la rue" comme il est devenu normal de les appeler.
Enfant d'Abidjan, il se fond dans un vivier humain, voire dans un chassé-croisé où des kyrielles d'individus se croisent sans réellement se voir. D'ailleurs, Armand Boua scrute au quotidien ce territoire où la classe dorée n'échange qu'en cas de force majeure avec les laissés-pour-compte. 
Ainsi, l'artiste observe les déambulations de ces visages et de ces corps qui créent cette singulière énergie de vie.
Chacune de ses œuvres rend compte de cette territorialité. Pour l'artiste, brosser des portraits de ces enfants n'est pas une approche statique qui montre vulgairement des enfants malpropres et mal habillés. Bien au contraire, il s'agit d'une approche dynamique qui peint leurs mouvements, leurs éclats en sanglots ou éclats de rire, leur mélancolie ou leur joie, leurs disputes ou leurs embrassades. En termes plus concrets, les portraits de Boua ne sont jamais immobiles.
En outre, il confère une identité aux enfants des rues, ainsi que sa vision d'une société en mutation où tradition et modernité se côtoient et se confrontent. L'on y sent le bruit, la poussière des villes et des langues multiples, l'on y sent le temps de la rue, fait de l'illusion de la liberté dissimulant une urgence à survivre et un aléa à vivre.
Ses tableaux traduisent la sensibilité de l'artiste à l'égard des matériaux. Aux éléments habituels, il ajoute le carton, le papier journal, le goudron, de la terre, la sciure de bois.
Les œuvres gardent en elles la partition et la mémoire des communes. Les silhouettes oscillent sous nos yeux, nous obligeant à nous immerger dans l'atmosphère de la ville.
L'absence de figuration est plus forte que l'image. Ce qui nous intéresse, c'est l'épaisseur du quotidien et, justement, cette mise à l'écart de la figuration.

Montresso hisse l'art au pinacle

"Dans un monde de plus en plus spécialisé où la mondialisation écrase et égalise les cultures, recevoir des artistes aux multiples talents est une récompense et un message d’espoir. D’où que l’on vienne, tout est possible dès lors que nous sommes passionnés par les autres". Ces paroles de sagesse sont de Jean Louis Haguenauer, fondateur de Montresso Art Foundation. Devenue le credo de cette institution artistique, cette philosophie n'a de cesse de faire fédérer les nationalités du monde entier autours de l'art engagé porté, tout au long de l'année, aux cimes des salles d'exposition du Jardin Rouge de Marrakech.

Montresso, instigatrice de "la fresque de la gare"

Les voyageurs qui franchissent la gare de Marrakech sont habitués au visage de Mohamed, un agriculteur dont le visage est peint sur l'un des murs du Centre ville de la Cité ocre. Il s'agit de l'une des peintures murales d'Hendrik Beikirch, qui rend hommage aux personnes lambda du Maroc. Il ne s'agit pas d'une improvisation savante, comme c'est souvent le cas dans le street art. Bien au contraire, l'artiste allemand veille à rencontrer tous ses modèles. Pour la petite histoire, tout a débuté pour cet artiste à Marrakech, en 2014, dans le cadre d'une résidence au Jardin Rouge, qui abrite la Fondation Montresso. Le plasticien a pris le temps de réaliser un véritable travail à partir de diverses photographies avant de se livrer sur des toiles titanesques, car l'intervention urbaine se fait toujours au terme d'un lent processus de maturation.



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