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Interview avec Aristide Ouattara et Ramatoulaye Goudiaby : Allier industrie financière africaine et innovation


Rédigé par Wolondouka SIDIBE Mardi 16 Mai 2023

Depuis la publication du Baromètre de l'Industrie Financière Africaine 2023, on connaît désormais les défis qui se dressent dans ce secteur quand on sait que les coûts d'opportunité ont augmenté de manière disproportionnée. Explications avec Aristide Ouattara et Ramatoulaye Goudiaby, respectivement Associé Leader Industrie Financière de Deloitte Afrique Francophone et Directrice d’Africa Financial Industry Summit (AFIS).



 
Aristide Ouattara : Comme tout baromètre, cette édition reprend les mêmes thématiques que la précédente afin de déceler les grandes tendances de l’industrie financière africaine en matière de stratégie, business model, gouvernance et gestion des risques, réglementation, innovation et développement durable. Nous avons aussi couvert de nouveaux sujets d’actualité tels que la pression inflationniste, l’émergence des actifs digitaux (cryptoactifs, monnaies digitales de banques centrales) et de nouvelles technologies telles que l’Intelligence Artificielle.
 
Enfin, l’étude de cette année a été finalisée après la récente crise bancaire consécutive à la faillite de SVB et les déboires du Crédit Suisse. Nous avons donc lancé une étude supplémentaire sur l’impact de cette crise sur le secteur financier africain et partagerons bientôt les conclusions en complément du baromètre.
 
 
L’économie mondiale est marquée aujourd’hui par une montée en flèche de l’inflation dans plusieurs Etats, à laquelle fait face l’industrie financière africaine. Quelles sont les pistes de réflexion ou les mesures à entrevoir à court et à moyen termes ?
 
Ramatoulaye Goudiaby : La résilience des pays africains a été mise à rude épreuve par la succession de facteurs exogènes (pandémie de Covid-19, conflit russo-ukrainien et ses effets collatéraux sur les prix et l'accès aux denrées alimentaires, pressions inflationnistes record et dernièrement, nouvelle vague de faillites bancaires). En corollaire à ces vulnérabilités du système financier international, les inquiétudes récurrentes sur la viabilité des dettes souveraines des pays africains sont réapparues.
En effet, si depuis 2020, les gouvernements africains ont emprunté plus de 30 milliards de dollars, via des émissions d'euro-obligations, ces dernières ont été considérablement réduites à presque zéro au cours des dix derniers mois. Ce qui a créé d'immenses problèmes de liquidité et des difficultés de renouvellement de la dette, ceci, en partie à cause de la dépréciation importante de la monnaie locale dans plus de la moitié des pays africains (dont plus de 40% pour le Ghana, la Sierra Leone et l'Égypte).
 
En outre, le service de la dette a augmenté en pourcentage des dépenses publiques et les emprunts nationaux, pour compenser ces difficultés, évincent le secteur privé. De plus, les coûts d'opportunité ont augmenté de manière disproportionnée. Ce qui affecte l'ensemble de l'économie de la majorité des pays africains, inhibant la croissance et les possibilités de réformes structurelles. 
 
Cet environnement macroéconomique à haut risque menace la solidité financière de l’industrie africaine, notamment subsaharienne qui souffre actuellement de la rareté de la liquidité et de l’assèchement du crédit. Elle est, en outre, très vulnérable à l’accroissement des risques de crédit et notamment l’augmentation significative des créances douteuses à très court terme, la baisse de la rentabilité, et de la génération interne de capital, sans compter les risques climatiques et de la cybercriminalité.
 
A court et moyen termes, il faut mettre en œuvre des réformes structurelles en Afrique pour rétablir une stabilité macroéconomique durable et réduire l'exposition des économies africaines aux chocs extérieurs ; améliorer l’espace fiscal des pays africain, car en effet, les pays africains n'ont pas la marge fiscale nécessaire pour pouvoir faire face à ce genre de chocs, ni les mêmes outils pour y répondre comme l'Occident ; revoir les classements risque pays établis par les agences de notation (Fitch Moody’s, S&P pour ne citer que celles-ci) compte tenu du décalage de l'appréciation du risque africain par rapport à la réalité, étant que plusieurs Etats africains n’ont jamais fait défaut en 20 ans mais sont classés comme ultra risqués ; utiliser les mécanismes innovants offerts par les fintechs notamment et les marchés de capitaux susceptibles de favoriser la transformation économique.
 
On ne peut passer sous silence les risques de cybersécurité, lesquels constituent un autre point de vigilance, selon le rapport. Comment évaluez-vous ces risques et leurs conséquences ? Comment les institutions financières peuvent-elles se protéger ?  
 
Aristide Ouattara : Sans surprise, la cybersécurité ressort à nouveau comme la première préoccupation des dirigeants du secteur financier africain en matière d’exposition aux risques. Les institutions financières africaines n’intègrent malheureusement pas la cybersécurité et les autres risques liés à la digitalisation suffisamment en amont de leurs plans stratégiques et n’allouent pas un budget adéquat afin de mettre en place des outils innovants de gestion de ces risques.
 
La recrudescence du nombre des cyber-attaques et la croissance de leurs impacts financiers exposent les institutions financières victimes à un risque de réputation qui peut avoir une répercussion à moyen – long terme sur leur positionnement commercial et leur rentabilité. Il est donc urgent que l’industrie financière adopte les bonnes pratiques. Pour cela, il s’agira de faire participer de manière proactive les membres du conseil d'administration en leur expliquant en détail comment la direction aborde ce problème crucial et comment ils doivent allouer les ressources pour atténuer ce risque.
 
Dans la même démarche, il faudra engager l'ensemble de l'organisation dans la cybersécurité en faisant en sorte que chacun comprenne et assume son rôle et ses responsabilités essentiels dans la détection des intrusions, le reporting des signaux d'alerte et le maintien d'une bonne hygiène de sécurité.
 
Ces bonnes pratiques consistent aussi à fournir des lignes de défense multiples en intégrant des pratiques et du personnel de cybersécurité dans les unités opérationnelles. Enfin, il faudra investir dans des outils innovants de gestion du risque cybernétique, tels que la surveillance et les opérations, la sécurité des terminaux et des réseaux, la gestion des accès aux identités et la résilience en cas d’incident Cyber.
 
Votre document évoque aussi des difficultés structurelles dont la faible profondeur des marchés financiers, la limitation des instruments d’atténuation des risques et la faiblesse, voire l’absence, de réglementation sur certaines thématiques émergentes dont la finance digitale. De quoi s’agit-il exactement ?
 
Ramatoulaye Goudiaby : Effectivement, l’industrie fait face à de nombreuses difficultés structurelles. Commençons par la profondeur des marchés financiers. Il s’agit ici de la faiblesse du nombre et de la taille des investisseurs susceptibles d'investir, et qui ont donc un minimum d'intérêt pour les marchés de capitaux africains.
 
Deuxièmement, l’industrie ne bénéficie pas assez d’instruments lui permettant d’atténuer ou de transférer leurs risques financiers. Les fonds de garantie, qui présentent le niveau de maturité le plus élevé, ne sont perçus comme suffisamment développés que par 6% des institutions, ce qui a pour conséquence de ralentir l’investissement privé dans les grands travaux d’infrastructure par exemple et d’encourager les partenariats public-privé (PPP).
 
Ces instruments consistent entre autres en (i) de la liquidité pour garantir les obligations de paiement des entreprises publiques vis-à-vis de projets privés ; (ii) des garanties maison mère ou à première demande contre des risques de défauts ou de retard de paiement.
 
Enfin, dans un contexte de digitalisation et d’ouverture progressive des systèmes d’informations aux partenaires, le risque de cybersécurité représente, pour la deuxième année consécutive, la première préoccupation des institutions.
 
La majorité des normes requiert des améliorations significatives, notamment en matière de système d’information et de cybersécurité (50% des sondés), de lutte contre l’évasion fiscale (43%) et de protection des consommateurs (42%). La mise en place des cadres réglementaires et prudentiels internationaux pour les banques africaines est à la fois lente et insuffisante. Toutefois, l'industrie converge sur l'importance d'avoir un cadre panafricain spécifique avec des adaptations appropriées.
 
Parlez-nous de la capacité d'adaptation et de l'appétit d'innovation des institutions financières africaines face à un environnement en perpétuelle évolution ?
 
 Aristide Ouattara : L’industrie financière africaine reste l’une des plus dynamiques en matière d’innovation car elle évolue sur un marché offrant un nombre extraordinaire d’opportunités afin d’accélérer l’inclusion financière. Tout d’abord, en matière de digitalisation, poussées par une génération de plus en plus « digital friendly », les institutions financières s’efforcent de rattraper leur retard pour innover et étoffer leurs offres de services.
 
L’autre domaine d’innovation porte sur l’Open Banking / Open Insuring, qui permet aux acteurs traditionnels (banques, assurances) d’établir des partenariats avec des acteurs de niches (Fintechs / Insurtechs) afin d’améliorer les produits et services offerts aux clients. Plus de 79% des banques et assurances sondées déclarent en effet avoir initié de tels partenariats.
 
Enfin, en réponse à l’émergence de la blockchain et des nouvelles chaines de valeurs financières (notamment les cryptoactifs), les institutions financières se montrent optimistes et perçoivent à plus de 80% ces nouveaux acteurs / produits comme une opportunité tant pour les économies africaines que pour l’industrie dans sa globalité, sous réserve d’une réglementation adaptée.
 
Interview réalisée par Wolondouka SIDIBE

 
 

Bon à savoir

Deloitte Afrique francophone, fort de plus de 1500 collaborateurs dont 55 associés basés dans 15 bureaux en Afrique francophone, offre un accompagnement grâce à la maîtrise des enjeux locaux avec une capacité d’intervention dans 51 pays. Il est actif depuis plus de 30 ans dans les régions d'Afrique francophone : Afrique du Nord, Afrique de l’Ouest et Afrique Centrale. Ses activités d’Audit & Assurance, du Conseil, du Risk Advisory, du Financial Advisory, du Tax & Legal et du Business Outsourcing lui permettent de répondre aux attentes et aux besoins des acteurs publics et privés (Banques, Assurances, Technologies Médias Télécoms …). Pour sa part, Africa Financial Industry Summit (AFIS) accompagne la finance africaine dans sa transformation. Son objectif est de construire une industrie financière robuste au service de l’économie réelle et du développement durable. AFIS s’engage activement à contribuer au succès de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), qui devrait accélérer l’intégration et la croissance du secteur financier africain. Fondée par le groupe Jeune Afrique Media en 2021, avec le soutien de l’IFC (Groupe de la Banque mondiale), AFIS est une organisation sœur de l’Africa CEO Forum, principale plateforme du secteur privé africain.








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