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Interview avec Anace Heddan : « Nous cherchons à outiller les jeunes en savoir-faire »


Rédigé par Safaa KSAANI Jeudi 3 Juillet 2025

Anace Heddan, Directeur Général de l'association « Les Citoyens », nous ouvre les portes d'une décennie d'engagement. De la création de « Tiflet Young Leaders Network » à son rôle actuel, il retrace un parcours consacré à l'autonomisation des jeunes et à la co-construction d'une société plus juste.



-Vous avez un parcours notable, ayant fondé « Tiflet Young Leaders Network » avant de diriger « Les Citoyens ». Pourriez-vous nous éclairer sur l'origine de cette profonde volonté de renforcer la participation des jeunes à la vie publique et citoyenne au Maroc ? Quel a été le déclencheur de cet engagement spécifique envers la jeunesse ?

-Le déclic remonte à mon enfance. J’accompagnais mes frères et sœurs à la maison des jeunes de Tiflet, où je me suis progressivement intéressé aux activités liées aux droits de l’Homme, au théâtre, à la citoyenneté. Très tôt, je me suis senti obligé d’agir. Mon esprit analytique et critique, présent dès l’adolescence, m’a poussé à m’impliquer concrètement dans mon quartier : je fédérais les voisins pour réaménager le jardin collectif, j’organisais mes amis autour d’initiatives communautaires hebdomadaires.
Cette fibre citoyenne n’a cessé de se renforcer, jusqu’à la création, en 2015, du Tiflet Young Leaders Network. L’idée était simple mais ambitieuse : rassembler des jeunes originaires de Tiflet pour “redonner” à notre ville ce qui nous avait manqué en grandissant : de l’orientation, des opportunités, de l’espoir. La ville souffrait d’un déficit d’activités pour les jeunes, d’inégalités et d’un sentiment d’injustice sociale. J’ai alors décidé de transformer ma passion en métier. C’est ainsi que j’ai rejoint « Les Citoyens » en tant que chef de projet, et me voilà aujourd’hui Directeur Général, œuvrant quotidiennement pour faire de la participation citoyenne des jeunes et du développement inclusif des territoires mon combat, au Maroc comme dans la région euro-méditerranéenne.

-L’association « Les Citoyens » met un accent particulier sur la co-construction et l’intelligence collective pour le développement démocratique. Quelle est, selon vous, l'importance de cette approche collaborative, notamment pour impliquer efficacement la jeunesse dans les processus de développement ?

-Aujourd’hui, la co-construction n’est plus un supplément d’âme ou une approche « innovante » à la marge : c’est un impératif démocratique. Il est tout simplement impossible de parler de développement inclusif ou de transformation durable sans penser les politiques publiques avec les citoyens, et non pour eux. Toutes les expériences internationales le démontrent : on ne peut pas espérer une adhésion citoyenne sincère au changement sans leur implication active dès les phases de diagnostic, de conception et de suivi. C’est encore plus vrai pour la jeunesse, qui a besoin de sentir que sa voix compte et qu’elle peut contribuer à façonner l’avenir. C’est pourquoi, chez « Les Citoyens », nous misons sur des formats ouverts, participatifs, comme les Cafés Citoyens, qui permettent à chacun de devenir acteur du débat public et de proposer des solutions ancrées dans la réalité locale.

-Au regard de votre expérience, quel bilan dressez-vous de l’implication des jeunes dans la vie politique et la prise de décision aujourd’hui ? Quelles avancées avez-vous constatées, et quels sont, selon vous, les principaux freins persistants ?

-Contrairement aux idées reçues, les jeunes sont politiquement conscients, socialement actifs et profondément intéressés par les enjeux publics. Cependant, ils sont confrontés à une crise de confiance systémique, notamment vis-à-vis des institutions politiques. À force de voir les mêmes visages, les mêmes discours, les mêmes pratiques, sans résultats tangibles, beaucoup se détournent des espaces formels de participation. En l’absence d’une éducation citoyenne solide et continue, leur énergie se disperse ou se transforme en désillusion. C’est justement là que nous intervenons : « Les Citoyens » agit comme catalyseur pour accompagner ces jeunes, les écouter, les former, leur donner des espaces d’expression, et surtout les soutenir dans leurs actions de plaidoyer. Notre ambition est de leur redonner la capacité d’agir, de construire plutôt que de se contenter de contester.

-Au-delà de la participation politique, les jeunes font face à de réels défis socio-économiques : emploi, entrepreneuriat, compétences du futur... Comment « Les Citoyens » soutient-elle la jeunesse face à ces enjeux ?

-Le chômage des jeunes au Maroc est un défi majeur. Et le problème est double : peu d’offres d’emploi d’un côté, et un déficit d’adéquation des compétences de l’autre. Le capital humain est sous-exploité, mal orienté, et parfois démotivé. À notre échelle, nous cherchons à outiller les jeunes en savoir-faire (compétences techniques, numériques, professionnelles) et en savoir-être (soft skills, leadership, intelligence émotionnelle), à travers différents programmes de renforcement de capacités, des académies citoyennes ou des bootcamps. L’idée est de faire d’eux non seulement des citoyens actifs, mais aussi des acteurs économiques à part entière, capables d’entreprendre, d’innover et de créer de la valeur.

-Compte tenu de l’évolution de la société et des défis globaux, quels sont les principaux enjeux que vous anticipez pour l’engagement de la jeunesse dans les prochaines années ?

-L’un des défis majeurs sera de reconstruire la confiance entre les jeunes et les institutions. Dans un monde en mutation rapide - crise climatique, transformation numérique, incertitudes économiques -, les jeunes auront besoin de nouvelles formes d’engagement, plus hybrides, plus agiles.
Nous allons devoir créer des ponts entre engagement informel et reconnaissance institutionnelle, entre le terrain et la décision politique. Le défi est aussi d’assurer l’inclusivité territoriale : que les jeunes en milieu rural, souvent invisibilisés, aient autant de voix que ceux des grandes villes.

-Quelles sont les perspectives d’avenir pour « Les Citoyens » ? Envisagez-vous d’élargir votre champ d’action, ou d’introduire de nouvelles approches ?

-Nous fêtons bientôt nos 10 ans d’existence, et nous préparons plusieurs événements nationaux pour marquer cette décennie d’impact. L’une de nos grandes réalisations récentes est la publication de notre nouveau livrable : Comment les jeunes voient-ils la participation citoyenne au Maroc ?
Ce rapport est le fruit d’un travail de terrain dans les 12 régions du Royaume en 2024, avec des Cafés Citoyens, des focus groupes, et un questionnaire national ayant recueilli plus de 1100 réponses en zones rurales et urbaines. Il propose un état des lieux réaliste mais porteur d’espoir, et constitue une feuille de route pour les années à venir, nourrie par la voix directe des jeunes. Sur cette base, nous lançons dès cette année un nouveau programme : Les Lab’ Citoyens. Il s’agit d’espaces d’intelligence collective, dans lesquels les jeunes deviennent des « designers » de politiques publiques, à la veille des élections. L’objectif : que leurs idées puissent être traduites en propositions concrètes dans les programmes électoraux, et qu’ils se positionnent non plus seulement en observateurs, mais en forces de proposition, capables d’influencer le prochain Exécutif.







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