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Interview avec Amina Bouayach : À bâtons rompus avec la protectrice des Droits de l’Homme au Maroc


Rédigé par Mariem LEMRAJNI Mardi 7 Mars 2023

A l’aune des efforts accomplis par le Maroc pour assurer au mieux la protection des droits et libertés, Rabat a été propulsée en capitale mondiale pour accueillir les travaux du pré-forum international des droits de l’Homme, qui procède d’une initiative du Conseil national des Droits de l’Homme (CNDH), en coopération avec l’UNESCO, avec à son agenda l’examen de maints défis touchant à la migration et aux changements climatiques. Dans ce sillage, la présidente du CNDH, Amina Bouayach, a répondu à nos questions.



- En perspective de la participation du Maroc au troisième Forum mondial des droits de l’Homme, le pré-forum préparatif a été accueilli à Rabat, sur initiative du CNDH en coopération avec le centre argentin CIPDH-UNESCO. Quel bilan dressez-vous des travaux de cette session et des missions qui lui ont été imparties ?   

Il s’agit du premier pré-forum d’envergure internationale tenu en prélude au Forum mondial des droits de l’Homme, prévu en Argentine en ce mois de mars 2023. Le Pré-forum constitue une continuation logique de notre engagement dans le processus du Forum mondial des droits de l’Homme, événement que le Maroc avait abrité en 2014.    

Le pré-forum nous a permis non seulement de lancer des réflexions collectives sur trois thématiques interconnectées et de nature transfrontalière, à savoir la migration, la justice transitionnelle et mémoire, et les changements climatiques, mais également d’appréhender, sous le prisme des droits de l’Homme, certains enjeux émergents qui sont observés de nos jours. Pour vous donner des exemples, et au risque d'être sélective, je m'arrêterais sur les effets grandissants des changements climatiques sur les droits de l’Homme et les répercussions des crises énergétiques et financières sur les droits et sur nos sociétés, qui relèvent aujourd’hui de l’ordre des évidences.     
   
Sous un spectre large, on a été en mesure de partager des expériences, discuter des défis, dégager des recommandations, mais également de maintenir une situation de vigilance, condition sin qua non de tout effort aspirant à renforcer l’effectivité et la pérennité des acquis.    
   
À la faveur du concept du pré-forum et de la qualité des intervenants et participants, le bilan est, de notre avis, somme toute positif, aussi bien sur le plan qualitatif que quantitatif.  
                                                                           
Je voudrais souligner ici une caractéristique très importante de ce forum : les travaux ont été d’abord menés dans une optique d’optimisation et de renforcement de l’effectivité des droits, et ensuite selon une logique de partage, car les participants étaient tous de l’avis que les droits ne se décrètent pas, bien au contraire, ils se cultivent progressivement et sûrement et que la consolidation démocratique se nourrit des expériences respectives des uns et des autres.  
                
D’ailleurs, le document final adopté lors de la séance de clôture énonce des idées et des recommandations fortes et franches, mais constitue en même temps une appréciation sereine et objective de certains phénomènes contemporains, dont   notamment l’impact de la polarisation et la politisation des débats autour des droits de l’Homme.   
 
- Cette manifestation a mis en avant les préoccupations humanitaires de la communauté internationale, en matière de protection et d’élargissement de l’exercice des droits et libertés dans les différents champs économiques, sociaux et culturels. Quelles en ont été les conclusions et les Résolutions finales ?  

Je ne m’arrêterais pas sur l’ensemble des conclusions et Résolutions dégagées lors du Pré-Forum, car elles sont riches et exhaustives. Je préfère plutôt faire part d’une ou deux conclusions qui sont, à mon sens, transversales et s'appliquent à l'ensemble des acteurs des droits de l’Homme de par le monde.  
La première est une réflexion partagée par les intervenants et participants : en plus de défis classiques, les valeurs que nous défendons sont confrontées à des menaces émergentes et multiples. Ces menaces sont certainement complexes et nous appellent à regarder au-delà des actions individuelles et adhérer à des initiatives et des approches universelles.   

La deuxième, qui est à mon sens essentielle : on a été, hier, communauté des défenseurs des droits de l’Homme et autres acteurs, conscients de la nécessité de protéger et promouvoir les droits les plus élémentaires ; nous sommes aujourd’hui conscients de l’impératif de maintenir la vigilance vis-à-vis des nouveaux défis, et la nécessité de faire raviver les repères, mais surtout d’en définir et d'en construire d’autres. 

De manière générale, on a toutes et tous été d’accord qu’on doit contrecarrer le décalage qui continue de se creuser, de par le monde, entre la loi et la justice, les droits de l’Homme et leur effective concrétisation.    

- Quels genres de défis se posent avec plus d’acuité dans le contexte actuel en changement ?  

Je viens de citer l’exemple de la désinformation et la mésinformation, et j’ajouterai un autre exemple, qui est, à mon sens, de nature urgente et interpelle l’ensemble des acteurs des droits de l’Homme. On continue d’observer, de plus en plus, une tendance à banaliser l'importance des acquis enregistrés et de réduire leur importance dans un monde qui demeure, comme nous en témoignons tous, perturbé et en proie aux incertitudes.   

Un autre exemple : les tendances de globalisation, qui devaient normalement faire propager les valeurs universelles des droits à l’échelle mondiale, ont eu par contre certains effets qui relèvent plutôt de l’effet de choc à en juger par la fragmentation des opinions, la multitude des positions, voire la politisation des débats. Ces effets se manifestent aussi en tant que ligne de fracture qui continue de se creuser entre plusieurs régions du monde. Les critiques à l’encontre des processus passés ou engagés de certains pays se focalisent souvent sur des incidents éparpillés et limités dans le temps et l’espace, et mettent de côté des dynamiques évolutives inspirantes qui mériteraient plutôt l'intérêt et l'attention. 

Le contexte actuel pose aussi une question fondamentale. Si on parle des crises au sein des démocraties dites « nouvelles » ou «émergentes », n’oublions pas que les démocraties dites traditionnelles sont confrontées à leurs propres défis, incontestablement de taille aussi, oscillant entre une montée en puissance des courants de xénophobie, rejet de l’autre et un refus « parfois silencieux » de reconnaître ses propres problèmes.  

- Quelles sont les impressions des délégations présentes à propos des évolutions et défis au Maroc ?   

J’estime que les échanges tenus lors du rassemblement ont permis aux participants de saisir les développements enregistrés et les diverses dimensions des réformes entreprises dans le Royaume aux niveaux humain, culturel, politique et socio-économique.    

Le rassemblement a également permis aux participants de voir de près le corps de doctrine en matière des droits de l’Homme mis en place, mais aussi d’observer que les évolutions nationales sont surtout endogènes. Je pense aussi que le constat le plus important demeure cette prise de conscience que les approches et les initiatives adoptées dans le pays sont faites pour évoluer, et que c’est ce qui inspire d’une manière indirecte les dynamiques constamment renouvelées au Maroc.    

- Quels pas le Maroc a-t-il franchi dans le terrain des droits de l’Homme dans la convergence des efforts pour assurer la protection des libertés ? Et quelle forme d’action le Maroc doit-il déployer au sein des instances concernées pour assurer au mieux la protection des droits de l’Homme ?    

Cette question évoque deux réflexions, au demeurant complémentaires. Le bilan de l’évolution des droits au Maroc, aussi bien sur le plan qualitatif que quantitatif, est certainement salutaire. Notre pays a mis en place des institutions solides et des stratégies et politiques ambitieuses, ces évolutions sont une consécration naturelle d’un engagement soutenu et d’une approche volontariste et endogène.  

La Constitution de 2011 est venue renforcer les fondements de l’Etat de droit et de la démocratie, tout en consacrant un tiers du texte constitutionnel aux garanties des droits et libertés. A choisir d’autres exemples, je m'arrêterai sur le renforcement institutionnel des droits de l'Homme au Maroc, en particulier avec la promotion du nouveau concept de l’autorité, le processus de justice transitionnelle, l'inclusion d'une approche participative des droits de l'Homme et de la démocratie dans les politiques publiques nationales. 

Quant au second volet de ma réflexion, il est essentiel pour nous que le processus de réformes se poursuive et qu’on ne succombe pas à la tentation de croire qu'on a tout édifié et qu’il ne nous reste plus rien à améliorer. Nous nous devons, en tant qu’acteurs, de renouveler l’engagement pour améliorer nos indicateurs en matière des droits de l’Homme. 

Il existe toujours des chantiers à entamer et on ne doit pas oublier que les développements et les changements au Maroc et à l’échelle internationale sont porteurs de nombreux défis. Pour illustrer, je me limiterai ici aux exemples des chantiers qu’on doit faire avancer, à l’instar du parachèvement du processus de mise en œuvre de la Constitution de 2011 d'une manière qui réponde aux engagements conventionnels, et le chantier de la pleine consécration du principe de l’égalité et de la parité.     
 








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